Incertitudes.
Tel est le mot d’ordre aujourd’hui au Tchad, même si un calme
précaire est revenu en début de semaine après la victoire de
l’armée sur les rebelles, qui étaient arrivés aux portes de la
capitale N’Djamena. Les inquiétudes touchent en effet à
plusieurs questions hautement délicates : l’avenir du régime du
président tchadien Idriss Deby à trois semaines des
présidentielles, les relations avec le Soudan, voisin accusé de
soutenir la rébellion, le conflit du Darfour, qui est à
l’origine même de la crise entre les deux pays et enfin la
position de la France qui soutient le président Deby et qui est
liée au Tchad par un accord de coopération militaire. On peut
même ajouter à cela le conflit qui oppose le Tchad à la Banque
mondiale sur la gestion de ses revenus pétroliers. C’est dire
que la récente escalade au Tchad suite à l’assaut manqué des
rebelles du Front Uni pour le Changement (FUC) contre N’Djamena
ne risque pas de s’arrêter là. Et la reprise du contrôle de la
capitale, ainsi que la répression de la rébellion ne signifient,
en aucun cas, que la menace s’est écartée. Il s’agit en effet
d’un enchevêtrement de circonstances qui ont donné naissance à
la donne actuelle.
C’est d’abord au Soudan voisin qu’il faut, en
partie, chercher l’origine de la crise qui sévit actuellement au
Tchad. Le président tchadien accuse en effet Khartoum de
soutenir les rebelles du FUC ayant mené l’assaut contre la
capitale tchadienne, alors que le FUC a encore démenti, samedi,
tout soutien du Soudan, accusant au contraire N’Djamena de
recruter des rebelles soudanais du Darfour. Pour N’Djamena, qui
a dénoncé dès jeudi une « agression programmée à partir de
Khartoum » et qui a rompu ses relations diplomatiques avec le
Soudan, c’est Khartoum qui finance et arme les rebelles, ce que
le gouvernement soudanais dément tout aussi systématiquement,
rétorquant que le régime tchadien appuie les rébellions actives
au Darfour.
Accusations et contre-accusations fusent de
toutes parts. Le président soudanais a ainsi accusé le Tchad
d’être responsable de l’insécurité à la frontière, estimant que
« son échec à envoyer des représentants à un comité de sécurité
chargé de superviser la frontière bloquait l’application de
l’accord ». Il faisait référence à l’accord de paix signé le 8
février sous l’égide de la Libye entre Khartoum et N’Djamena,
dans lequel les deux pays s’interdisaient mutuellement
d’entretenir sur leur territoire des rébellions ou de mener des
activités hostiles à l’autre et que le Soudan « respecte
toujours », selon M. Béchir.
Relations intrinsèques
En fait, c’est pour avoir trouvé refuge en
1990 au Darfour, après sa défection du régime d’Hissène Habré et
en avoir fait le point de départ de son offensive victorieuse
sur N’Djamena, que le président tchadien Idriss Deby a compris
dès 2003 les risques du conflit du Darfour pour son régime.
Après s’être dans un premier temps impliqué dans ce conflit,
Deby a fait marche arrière.
Aujourd’hui que la menace s’abat directement
sur son régime, il fait appel à la communauté internationale
pour régler le conflit et s’en prend ouvertement aux autorités
de Khartoum. Samedi, le président tchadien a ainsi violemment
critiqué son homologue soudanais, Omar Al-Béchir, parlant de «
génocide » au Darfour et qualifiant Béchir de « traître ».
Idriss Deby veut en fait tirer profit de la mauvaise gestion par
Béchir du dossier du Darfour pour faire intervenir la communauté
internationale. « Je demande à toutes les grandes puissances, à
l’Union africaine, aux Nations-Unies, à l’Union européenne, aux
Etats libres épris de paix et de justice d’intervenir
militairement pour sauver les populations du Darfour qui
subissent le pire génocide de la part du président Béchir de
Khartoum », a-t-il déclaré, réclamant que cette province soit «
sous mandat onusien ».
Mais son objectif n’est certainement pas de
sauver les populations civiles. Pour le président Deby, régler
le conflit du Darfour équivaut à affaiblir la rébellion. De même,
une stabilisation de la région lui permettrait de mieux garder
le contrôle de la situation à l’intérieur du Tchad.
Quoi qu’il en soit, que le Soudan soit
impliqué ou non, la crise du Darfour a un retentissement direct
sur la situation au Tchad, et vice-versa. Sur le plan interne,
Idriss Deby a été longtemps soumis à la pression d’une grande
partie de son clan zaghawa, une ethnie qui se partage entre le
Tchad et le Soudan, pour qu’il aide les « cousins » zaghawas du
Darfour. Son refus ferme de s’impliquer dans le conflit a alors
provoqué une large fracture au sein du clan, et une tentative de
coup d’Etat, dont les instigateurs auraient été des proches du
chef de l’Etat, a été déjouée en mai 2004. Selon les
observateurs, cette tentative de coup d’Etat était destinée à
obliger Deby à changer son attitude sur le Darfour, même si des
conflits au sein du clan sur la gestion de la manne pétrolière,
la réforme de l’armée ou les velléités de Deby de briguer un
troisième mandat ont exacerbé les ressentiments.
Abir Taleb