Peinture
et sculpture ensemble dans la même exposition. Ce n'est sans
doute pas inédit, mais le contraste reste frappant, et dans le
cas de Fathi Afifi et Yéhia Mohallel, qui exposent dans la même
galerie, la différence n'est guère source d'opposition mais
d'altérité qui ne réduit en rien le plaisir esthétique. On est
un peu comme dans un musée où l'on passe d'une époque à une
autre, d'un genre à un autre, de quoi parfois rapprocher et
trouver des dénominateurs communs entre des œuvres bien
éloignées. De toute manière, c'est l'idée de la propriétaire de
la galerie Fonoun, Fatma Al-Tanani, que d'essayer ces doubles
expositions dans l'idée aussi de mettre un peu l'accent sur la
sculpture qui semble moins connue ou fêtée que la peinture.
Avec le peintre Fathi Afifi, nous sommes en
présence de son habituel sourire sur la vie qui se transforme
parfois en clin d'œil. Avec une majorité de tableaux en noir et
blanc (deux seulement sont en couleurs), il est dans sa
thématique faite de volupté empreinte parfois de tristesse. Ses
femmes, si l'on peut dire, sont omniprésentes, êtres de chair,
des filles d'Eve telles qu'elles sont dans les quartiers
populaires et dans l'imaginaire et les fantasmes des hommes.
Réelles et aussi quasiment mythiques. Elles sont aux balcons et
fenêtres. Elles s'épanouissent et s'ouvrent sur la vie tout en
paraissant ainsi recluses. Mais ce n'est qu'illusion. Leur vie
quotidienne est faite de liberté comme celle qui étend son linge
et jetant sur autrui un regard triomphant. La féminité est
portée à son paroxysme avec souvent des proportions quasiment
gigantesques, de quoi nous rappeler le poème de Baudelaire La
Géante : « Du temps que la nature en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux, J'eusse aimé vivre
auprès d'une jeune géante, Comme aux pieds d'une reine un chat
voluptueux. (...) Parcourir à loisir ses magnifiques formes,
Ramper sur le versant de ses genoux énormes, Et parfois en été,
quand les soleils malsains, Lasse, la font s'étendre à travers
la campagne, Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins, Comme
un hameau paisible au pied d'une montagne ».
Fantaisiste
comme impression ? Mais c'est un aspect d'autant plus
significatif que les hommes que Fathi présente dans ses tableaux
semblent parvenir d'un univers un peu rugueux où le sourire est
rire. Tel cet homme lisant le journal se posant des
interrogations mais semblant plein de réserves, une curiosité
affaiblie par du conservatisme. Seule exception : l'homme au
vélo. Il a garé sa bicyclette. On le voit de dos. Le tout
suggère un questionnement un peu philosophique peut-être. Une
vision de la vie. Celle des sculptures de Yéhia Mohallel est
plus tragique, existentielle peut-être.
Une variation sur un thème prométhéen ? La
souffrance se généralise avec ces hommes inclinés, se cachant le
visage, courbés et même enchaînés. C'est le fardeau de
l'existence qu'ils arrivent à peine à supporter. Douleur et
conflit sont les mots d'ordre et les mains tendues semblent
sortir du néant pour se rendre plutôt vers un exil ou de nouveau
vers le néant. Les temps anciens suggérés et rappelant la
mythologie grecque semblent chez Mohallel illustrer les drames
de l'époque moderne. Prométhée reste toujours enchaîné.
Ahmed Loutfi