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Presse. La condamnation d’un journaliste du quotidien indépendant Al-Masri Al-Yom à un an de prison pour diffamation contre l’ancien ministre du Habitat, tout comme son annulation, a remis sur le tapis la question des peines pénales qui menacent les journalistes.

Une promesse hypothéquée

Deux ans, jour pour jour, après l’annonce par le président Hosni Moubarak d’une modification de la loi sur la presse de 1996 de manière à supprimer les peines d’emprisonnement pour les délits de presse, un verdict du tribunal est intervenu comme l’explosion d’une véritable bombe à retardement. Le 24 février dernier, le tribunal du sud du Caire condamne pour diffamation le journaliste Abdel-Nasser Al-Zoheiri à un an de prison et 10 000 livres d’amende, suite à un article publié le 18 août 2004, intitulé Le bureau d’Ibrahim Soliman perquisitionné.

Cet article faisait référence à une enquête pour corruption mettant en cause le beau-frère du ministre. Il mentionnait que le bureau du ministre avait été perquisitionné par la police et qu’il lui était désormais interdit de s’y rendre. Le lendemain, le journal avait publié une déclaration officielle du cabinet du ministre, démentant l’information. Tous les journalistes et les partisans des libertés ont réagi avec émotion à cette condamnation qui représentait un pas en arrière, voire une dénégation des progrès en matière de liberté de presse et de liberté, tout court, au sujet desquelles des promesses de toutes sortes étaient données et nommément par le chef de l’Etat. La situation devenait inconfortable à tous les niveaux, d’autant plus qu’il s’est avéré que la nouvelle loi supposée ne constituait qu’un vœu pieux et n’a jamais pris forme.

Face à la révolte des journalistes, il y a eu une sorte de course contre la montre pour contenir la situation sous l’égide de Safouat Al-Chérif, président du Conseil suprême de la presse et du Conseil consultatif, et d’Anas Al-Fiqi, ministre de l’Information. Galal Aref, président du Syndicat des journalistes, s’y est associé pour parer au plus pressé. L’ex-ministre et actuel député a abandonné ses plaintes en diffamation qu’il avait déposées contre des journalistes. Ce faisant, la condamnation d’un an de prison contre Abdel-Nasser Al-Zoheiri se trouve donc annulée.

Satisfaction de tous les côtés ? Soliman « estime que les condamnations prononcées lui ont rendu justice et qu’il ne peut accepter l’emprisonnement de journalistes. Il a donc accepté de renoncer à toutes les plaintes qu’il a déposées devant la justice et le procureur général contre les journalistes », affirme un communiqué conjoint de l’ex-ministre et du Syndicat égyptien des journalistes. Du côté des journalistes cependant, on a bien fait valoir que là n’était pas la question. L’initiative personnelle, prise d’ailleurs dans un contexte visant à éviter l’exacerbation de l’esprit de révolte au sein de la société civile, si elle règle un cas en particulier, ne met pas fin à l’affaire. L’épée de Damoclès, à savoir cette loi, qui n’aurait son pareil que dans les pays les plus dictatoriaux, reste suspendue sur le cou de tous les journalistes. Voire, des journaux indépendants ont quasiment rejeté l’acte d’Ibrahim Soliman. « Pas de réconciliation, mais plutôt les droits des journalistes et leur nouvelle loi », titrait Sawt Al-Omma qui annonçait d’ailleurs en « exclusivité » qu’il publiait « textuellement les enquêtes dans la grande affaire de corruption au sein du ministère de l’Habitat ». « Nous continuerons de demander à traduire à Ibrahim Soliman en justice ... ». D’autres journaux ont réagi de la sorte, c’est dire que la question fondamentale est celle du principe, avec cette interrogation : à quand cette loi promise ?

Remise aux calendes grecques ? C’est l’impression qui se dégage des déclarations officielles. Fathi Sourour, président de l’Assemblée du peuple, a rappelé purement et simplement que la législation en préparation depuis deux ans et débattue par le Parlement est devenue caduque avec l’élection d’un nouveau Parlement. Il faut repartir selon lui à zéro. Ce que déplore Sayed Abou-Zeid, avocat du Syndicat des journalistes. « Nous nous opposons à ces propos. Un grand effort a été déployé pour établir ce projet de législation au cours de dizaines de séances avec la participation du ministère de la Justice, du Conseil suprême de la presse et du Syndicat des journalistes. Des experts gouvernementaux et des spécialistes s’y sont attelés. Le projet a été présenté au Conseil des ministres ».

Cela dit, Abou-Zeid ne baisse pas les bras. « Nous sommes disposés à préparer un autre projet de loi qui serait débattu lors de l’actuelle session ».

Mais il est certain que de report en report, il y a atermoiement. Le président Moubarak, lors d’une déclaration faite la semaine dernière, a affirmé que le projet devrait être débattu lors de la session parlementaire. Toutefois, il a bien précisé qu’une telle loi doit être soigneusement préparée. De quoi alimenter les doutes, d’autant plus que les journalistes se souviennent d’une déclaration du premier ministre, Ahmad Nazif, en janvier dernier, lors de la prestation du serment constitutionnel après la formation du gouvernement, selon laquelle : « La loi ne sera pas promulguée de la manière que vous imaginez ». Ce qu’interprète Abdallah Al-Sennawi, rédacteur en chef d’Al-Arabi, organe du Parti nassérien et l’un des principaux initiateurs du mouvement des journalistes : « L’abolition absolue de la peine d’emprisonnement n’est pas envisagée par l’Etat. Le gouvernement veut au contraire renforcer les peines : emprisonnement accompagné d’amendes ». Pour lui, c’est un mélange de deux juridictions, celle des Etats dictatoriaux qui pratiquent l’emprisonnement et les démocraties occidentales qui se contentent d’amendes.


La question des libertés

Faut-il séparer cette liberté de la presse que souhaitent les journalistes et compromise par cette loi du contexte plus global des réformes démocratiques ? Les hasards du calendrier sont significatifs à cet égard. Il y a un an, le président Moubarak a surpris l’opinion en annonçant un amendement de la Constitution permettant d’élire le président de la République grâce à des élections au suffrage universel et avec la participation de plusieurs candidats. Un printemps de la liberté s’annonçait, mais l’horizon a été vite bouché d’une part, notamment avec les irrégularités qui ont entaché les législatives, et d’autre part par le report pour deux ans des élections municipales. De plus, la loi d’urgence continue à fonctionner. Même si on ne peut nier une ouverture relative, il y a encore beaucoup à faire. Le problème aussi est dans cette résistance qu’opposent certaines forces à toute avancée, vidant de leur substance des initiatives placées sous le signe d’une plus grande libéralisation. La presse peut-elle espérer donc une nouvelle loi dans ce contexte ? « L’atmosphère générale ne permet pas qu’il y ait une législation de ce genre. La liberté forme un tout indissociable. Comment y aurait-il une loi de ce genre avec le maintien de l’état d’urgence et de la loi martiale ? », se demande Mohamad Abdel-Qoddous, président du comité des libertés au sein du Syndicat des journalistes. Il réitère la crainte de Sennawi, selon laquelle le gouvernement pourrait faire adopter une loi en l’absence des journalistes. « Si les choses se passent ainsi, on ne peut pas être optimiste ».

Ce manque de confiance est partagé par Gamal Fahmi, membre du syndicat et éditorialiste à Al-Arabi. « Il est important qu’il y ait des consultations sur le projet de loi entre le gouvernement et le syndicat ; sinon il s’agira d’une législation qui entravera la liberté », affirme-t-il. Il se base sur des antécédents. « La loi sur l’indépendance du pouvoir judiciaire revendiquée par les juges a été formulée de manière à empirer le statut contesté ». Et de préciser qu’il est donc impératif que le projet de loi soit proposé au syndicat et qu’il soit conforme au projet présenté par le syndicat il y a six ans. De plus, d’aucuns estiment que le rejet de la liberté de presse s’explique par les privilèges que veulent maintenir un groupe de privilégiés et de corrompus dont les frasques font lune des journaux.


Que faire ?

Il y a un gouvernement qui semble peu décidé à lâcher du lest et un syndicat lui aussi résolu de se battre jusqu’au bout. La réunion qui a eu lieu dimanche dernier 5 mars au siège du syndicat, avec la participation des rédacteurs en chef des journaux nationaux, indépendants et appartenant aux partis politiques, a débattu essentiellement les moyens de faire pression sur l’Etat pour l’obliger à présenter le projet de loi. « Pas de droit acquis sans pressions », a lancé Gamal Fahmi. De toute façon, des résolutions ont été prises : formation de deux commissions. La première mobilisera pour réunir l’assemblée générale le 17 mars. La deuxième commission, présidée par Aref, donnera aux journaux toutes les données concernant le projet de loi et ses principes, afin que l’opinion publique soit partie prenante dans l’affaire. « Elle a le droit d’avoir une presse libre. L’emprisonnement n’est pas comme d’aucuns le soutiennent destiné aux seuls journalistes. Mais tous ceux qui utilisent la publication ou utilisent une plume. Une lectrice a été condamnée à 6 mois de prison parce qu’elle a envoyé une plainte à un journal national », souligne Gamal Fahmi. Par ailleurs, les grands écrivains devront expliquer à la population que la liberté de presse est la clef de la liberté de la société.

Pour ce, certains mécanismes doivent être adoptés permettant d’aller, au cas où, jusqu’à la non parution des journaux, et ceci de manière graduelle. « Cela commencerait par des espaces laissés blancs avec certains slogans, et ce dans tous les journaux y compris nationaux », relève Fahmi. Ensuite, il y aurait une marche des journalistes vers l’Assemblée du peuple ou la présidence.

Il est certain que cette action et ces revendications font partie de tout un mouvement de la société civile. Quels que soient les obstacles, cette dernière maintient ses revendications face à un gouvernement un peu désemparé et à la recherche de compromis .

Ahmed Loutfi
Aliaa Al-Korachi

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Galal Aref, président du Syndicat des journalistes, estime que dans tous les pays du monde, les personnalités publiques acceptent d’être critiquées, sauf en Egypte. Entretien.

« La loi en vigueur est, selon moi, un honte pour notre pays »

Al-Ahram Hebdo : Que pensez-vous de la loi sur la presse en vigueur et notamment des sanctions pénales prévues à l’encontre des journalistes ?

Galal Aref : Cette loi à laquelle les journalistes sont soumis doit absolument être abolie pour deux raisons très importantes, et c’est d’ailleurs ce que nous essayons de faire à travers un projet de loi que nous avons présenté. D’une part, la condamnation des journalistes à des peines de prison a été abolie dans tous les pays du monde. D’autre part, la loi concernant les journalistes reste vague et imprécise, ce qui permet d’incriminer à une large échelle. Ce qui entraîne une condamnation du journaliste pour de simples expressions qu’il a utilisées ou même pour des informations correctes qu’il a publiées. Nous avons donc absolument besoin d’une nouvelle loi plus précise qui arrêtera de faire un crime de ce qui ne l’est pas.

— La loi actuelle serait-elle donc antidémocratique ?

— Oui, bien sûr. C’est quelque chose qui porte préjudice à la démocratie en Egypte. Car on ne peut pas parler d’indépendance politique sans indépendance de la presse. Avoir une presse indépendante est un préambule à la démocratie. Raison pour laquelle le président Hosni Moubarak nous a promis il y a deux ans de changer cette loi. Il est très conscient que la liberté de la presse est nécessaire avant toute réforme politique. Mais comme nous le savons, le chemin est semé d’obstacles. C’est pourquoi jusqu’à présent, rien n’a été entrepris.

— Comment, selon vous, le journaliste pourrait être sanctionné en cas d’erreur ?

— Tout d’abord, on ne cherche pas à ce que le journaliste ne soit pas sanctionné pour ce qu’il publie. Ce que nous réclamons est qu’il ne soit ni condamné à la prison ni détenu provisoirement pour diffamation ou outrage. Il suffit de lui imposer une amende ou de verser des dommages et intérêts. Il ne faut pas oublier le droit de réponse qui accorde à la personne, sujet de la publication, tout le droit de publier dans le même journal et sur la même page un démenti ou rectification de ce qui a été déjà publié. Mais de grandes personnalités et des propriétaires de telle ou telle firme n’hésitent pas à recourir à la justice. Dans tous les pays du monde, les personnalités publiques acceptent d’être critiquées mais en Egypte, le refus est strict.

— Quel est le rôle du Syndicat des journalistes dans la défense et la protection de ces derniers ?

— Le Syndicat des journalistes joue un rôle très efficace à l’égard des journalistes. Il les soutient et les défend dans leurs procès jusqu’au règlement final. Mais nous avons besoin d’une nouvelle loi qui soit promulguée rapidement à condition qu’elle convienne à la presse égyptienne. La loi en vigueur est, selon moi, une honte pour notre pays. Et si nous continuons ainsi, nous serons considérés comme un des pays les plus en retard sur la question (lire extrait du rapport de RSF page 5).

— Croyez-vous qu’une nouvelle loi peut voir le jour dans le contexte politique actuel ?

— On ne perdra jamais l’espoir. Il faut bien comprendre qu’il s’agit de l’image de notre pays et de notre démocratie devant le monde entier .

Propos recueillis par
Chaïmaa Abdel-Hamid

 

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