Un
deuxième Taëf. C'est ainsi qu'a été surnommé le dialogue national
qui se tient actuellement au Liban, et qui vise à sortir le
pays de la crise dans laquelle il est plongé depuis l'assassinat
de l'ex-premier ministre Rafiq Hariri, il y a un peu plus d'un
an. Un dialogue qui revêt une importance cruciale au vu de la
situation interne, d'autant plus que c'est la première fois
depuis 1975 qu'un dialogue national s'engage sans parrainage
international ou arabe. Cependant, si l'accord de Taëf, qui
avait été signé en 1989 en Arabie saoudite sous l'égide d'un
triumvirat arabe appuyé par la communauté internationale, avait
permis aux Libanais de mettre fin à la guerre civile, cette
fois-ci les divergences quant aux questions de la destitution
du président Emile Lahoud ou encore celle du désarmement du
Hezbollah montrent à quel point le fossé qui sépare les Libanais
est profond. En effet, si les Libanais ont réussi en 1989 à
s'accorder pour déposer les armes, 17 ans après, il reste encore
de profondes séquelles qui prouvent que les divergences interlibanaises
n'ont jamais réellement disparu. Cette fois-ci également, le
pari est plus dur car les Libanais doivent confirmer qu'ils
sont capables de s'en sortir tous seuls, alors que jusque-là,
il a toujours été nécessaire qu'une ou plusieurs tierces parties
interviennent.
Quatorze personnalités
participent à ce dialogue organisé au Parlement à l'invitation
du président de l'Assemblée, Nabih Berri, et chef du mouvement
chiite Amal, proche de Damas, qui dirige les débats. Parmi elles,
figurent le druze Walid Joumblatt, le sunnite Saad Hariri, les
chrétiens maronites Michel Aoun et Samir Geagea, le chef du
Hezbollah, le chiite Hassan Nasrallah, ainsi que le premier
ministre Fouad Siniora.
Le dialogue a certes
débuté dans un climat de relative détente, mais pour l'heure,
la seule question sur laquelle un consensus a été trouvé est
celle de la nécessité de faire la lumière sur l'assassinat de
Hariri. Ainsi, grâce notamment à l'attitude conciliante du Hezbollah,
il a été possible d'adopter à l'unanimité le principe de la
constitution d'un tribunal à caractère international pour juger
les coupables et l'extension de l'enquête aux autres assassinats
politiques au Liban. Une certaine avancée puisque ces sujets
avaient constitué en décembre 2005 un sujet de discorde au sein
du gouvernement auquel participent le Hezbollah et Amal.
Mais ces progrès
significatifs ne sont pas suffisants, car la question de l'enquête
sur la mort de Hariri ne constitue certainement pas une ligne
de clivage de la classe politique libanaise. D'autres sujets
hautement sensibles restent en suspens. Nabih Berri, porte-parole
de la conférence, a en effet reconnu en substance que les deux
dossiers litigieux, la poursuite de l'application de la résolution
1 559 du Conseil de sécurité de l'Onu (qui comporte entre autres
un appel au désarmement du Hezbollah), et les relations libano-syriennes
faisaient l'objet d'âpres discussions entre les principaux leaders
musulmans et chrétiens du pays. La majorité parlementaire estime
que cette résolution stipule le départ du président Emile Lahoud,
dont le mandat a été, selon elle, illégitimement prorogé de
trois ans le 3 septembre 2004 par le Parlement libanais, alors
contrôlé par la Syrie. La résolution 1 559 adoptée la veille
de cet amendement avait en effet mis en garde contre le non
respect de la Constitution libanaise, dont le texte initial
interdit le renouvellement du mandat du président de la République.
A ce sujet, la majorité parlementaire antisyrienne, menée par
Saad Hariri, a estimé que les nouvelles dispositions du Hezbollah
et d'Amal à discuter du sort du président Lahoud signifiaient
que ces partis ne considèrent plus comme un tabou son maintien
à la tête de l'Etat. Mais des sources proches du Hezbollah ont
indiqué qu'il s'agissait d'une fausse interprétation. « Le fait
que nous acceptions de dialoguer sur tous les sujets ne veut
pas dire que nous nous sommes ralliés à ceux qui exigent le
départ de M. Lahoud », a indiqué cette source. « Je ne me permettrais
pas d'entraîner le Liban dans un saut dans l'inconnu en adoptant
le point de vue de ceux pour qui la priorité est le départ du
président Lahoud sans savoir à l'avance qui serait son successeur
ni quelle sera son attitude envers la résistance (contre Israël)
», a indiqué le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
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Si le Hezbollah
et Amal peuvent encore fléchir au sujet du départ de Lahoud,
la question du désarmement du Hezbollah ne risque pas d'être
résolue de sitôt. A ce sujet, les discussions se sont concentrées
sur les moyens de récupérer le secteur controversé des fermes
de Chebaa, le Hezbollah ayant fait de leur occupation par Israël
un « casus belli ». Car pour le parti chiite, l'occupation par
Israël des fermes de Chebaa constitue un motif pour poursuivre
la résistance et donc ne pas se désarmer. Le Hezbollah affirme
en outre que l'option de la résistance armée est susceptible
de renforcer la position du Liban, soulignant que c'est grâce
à son action qu'Israël s'est retiré du Sud-Liban, 22 ans après
l'adoption de la résolution 425 qui exigeait son retrait immédiat.
De leur côté, les
chefs sunnite et druze, Saad Hariri et Walid Joumblatt, et leurs
alliés chrétiens donnent leur préférence aux moyens diplomatiques,
mais soulignent que cela exige une reconnaissance syrienne devant
l'Onu de la libanité de ces fermes et un tracé définitif des
frontières entre le Liban et la Syrie.
Autre sujet délicat
: les relations libano-syriennes. Les partis chiites sont pour
la dissociation entre ces relations et le cours de l'enquête
sur l'assassinat de Rafiq Hariri, mais la majorité parlementaire
accuse la Syrie d'être derrière les assassinats politiques et
de continuer à déstabiliser le Liban et exige des garanties
sur un changement de comportement.
Autant de questions
hautement sensibles qu'il faudra régler en un temps record.
Si les participants au dialogue national y parviennent, les
décisions de la conférence « seront considérées comme des annexes
au accords interlibanais de Taëf », comme l'a indiqué Nabih
Berri, et un nouvel accord interlibanais « servira de base à
la reprise d'une initiative arabe » qui vise à régler les contentieux
entre le Liban et la Syrie. Sinon, les pires scénarios sont
envisageables
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