Si
l’examen attentif de l’acte constitutif de l’Union
Africaine (UA) et du Protocole relatif à la création
du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) donne
l’impression de l’émergence d’une nouvelle « doctrine
» dans les domaines de la paix et la sécurité,
il est à souligner qu’un décalage notable perdure
entre les textes audacieux d’une part, et les
évolutions pitoyables sur le terrain, d’autre
part. Au fond, on retrouve les mêmes carences
qui ont émaillé les démarches précédentes entreprises
depuis 1993 lors de l’établissement du mécanisme
de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) pour
la prévention, la gestion et le règlement des
conflits. Dans ce contexte, la crise du Darfour
fournit une illustration des défis majeurs qui
se précisent.
Prenant à son compte le principe
de la prévention, l’UA et son CPS semblaient,
a priori, être mieux outillés dans ce domaine
par rapport à l’OUA et son mécanisme de prévention.
En effet, conscient du fait que de nombreux
conflits internes, dans des formes différentes,
avaient surgi contre des régimes jugés autoritaires,
l’acte constitutif de l’UA fixait, à la fois
comme principe et objectif de l’UA, la promotion
et l’encouragement des pratiques démocratiques,
la bonne gouvernance et l’Etat de droit. Or,
la situation au Darfour se caractérise depuis
longtemps par un climat de malaise susceptible
de se transformer en conflit déclaré. Pendant
longtemps, l’OUA n’avait pas accordé la moindre
attention à cette situation explosive. En réalité,
les regards étaient plutôt portés sur le conflit
entre les autorités de Khartoum et le mouvement
rebelle du Sud-Soudan. Avec l’avènement de l’UA,
aucun changement n’a été enregistré à ce sujet
jusqu’au déclenchement de la rébellion au Darfour.
Pourtant, les signes précurseurs ne manquaient
pas. En effet, au moment où les informations
se succédaient montrant la gravité de la situation,
aucune mesure africaine de nature « préventive
» n’a été prise. L’UA semblait assister, impuissante,
à la triste naissance d’un nouveau conflit tant
sanglant que dramatique sur le sol africain.
En second lieu, la crise du
Darfour a fourni un exemple d’un gouvernement
accusé de violer les principes de bonne gouvernance,
de développement et de partage équitable des
ressources. Les autorités centrales soudanaises
n’étaient-elles pas accusées par les « rebelles
» de marginaliser la région en la négligeant
dans tous les projets de développement ? En
outre, les mouvements rebelles ont mis en cause
la politique de Khartoum qui favorisait, selon
eux, les tribus nomades, à majorité « arabes
», contre celles d’agriculteurs d’origine dite
« noire ». De telles accusations ne représentent-elles
pas un constat amer d’un contexte qui pourrait
être propice, au Darfour ou ailleurs, pour l’apparition
de nouveaux foyers de conflit ? Ce constat prend
de l’ampleur lorsqu’on constate le piétinement
des négociations menées sous les auspices de
l’organisation continentale.
Ensuite, le respect du caractère
sacré de la vie humaine ainsi que du droit international
humanitaire représentait l’un des objectifs
de l’UA et du CPS. Pour ce faire, le conseil
s’était vu doter du pouvoir d’intervenir au
sein d’un Etat membre dans certaines circonstances
graves relatives aux droits de l’homme. Or,
saisie par la question du Darfour, la conférence
de l’UA, réunie en juillet 2004, s’est hâtée
de noter que même si la situation humanitaire
y était grave, elle ne pouvait être qualifiée
de génocide. Cette prise de position avait-elle
pour objectif d’éviter de se heurter de plein
fouet au régime soudanais, afin de s’assurer
de sa coopération ?
En outre, la crise à l’ouest
du Soudan a démontré clairement qu’un conflit
pourrait être à l’origine d’une « déchirure
» au sein de l’Union. La question de la présidence
soudanaise de l’organisation continentale avait
fourni récemment un exemple patent. Par ailleurs,
le Soudan a fait savoir que l’UA n’avait pas
le droit de statuer sur un transfert à l’Onu
de la force africaine sur le sol soudanais.
Or, les pays membres ne s’étaient-ils pas engagés
formellement à ne pas s’opposer aux décisions
relatives à la paix et la sécurité prises par
l’organisation continentale ?
Enfin, en dépit de l’intérêt
manifesté au volet militaire par le protocole
relatif à la création du CPS, force est de constater
que l’aspect logistique demeure un handicap
majeur pour toute tentative d’intervention militaire.
En effet, la mise en œuvre de la décision du
CPS d’envoyer des troupes au Darfour était entièrement
dépendante de l’appui de ces partenaires externes.
Cette assistance, aussi louable soit-elle, ne
peut qu’hypothéquer la capacité du conseil d’entreprendre
une action à la fois décisive et rapide dans
un climat politique hautement sensible. Couplé
par l’incapacité de l’UA à financer pour une
longue durée sa mission dans la région, cet
aspect avait ouvert la porte à l’éventualité
d’un transfert à l’Onu de la responsabilité
de la force déjà déployée. Une telle orientation
ne pouvait qu’être déplorée par le dirigeant
libyen, qui rêvait de la mise sur pied des Etats-Unis
d’Afrique. En effet, il a qualifié de « honteuse
» l’incapacité de pays du contient à financer
cette force.
A la lumière de ce qui précède,
il devient clair que la crise du Darfour, à
elle seule, a démontré les limites d’action
de l’organisation panafricaine. En réalité,
les nouvelles orientations sembleraient appartenir,
jusqu’à ce jour, au domaine des vœux pieux.
Dans ce contexte, une évaluation générale de
la « doctrine » africaine et des moyens de sa
mise en œuvre s’impose. Pour l’heure, il revient
à l’UA, en collaboration avec l’Onu, de trouver
un arrangement acceptable quant à l’avenir de
sa mission à l’ouest du Soudan. En effet, la
décision prise le 2 février 2006 par le CPS
soutenant le remplacement d’une force de l’UA
par une force de l’Onu se heurte à une opposition
soudanaise farouche à la présence de troupes
non africaines sur son sol. Ce faisant, les
autorités soudanaises affichent leurs craintes
qu’un tel transfert ne soit un complot qui amènera
le Soudan à la même situation que l’Iraq. Dans
ce contexte, l’UA devrait trouver rapidement
un compromis viable entre les exigences sur
le terrain et la sensibilité d’un Etat membre
évoquant l’« invasion », l’impérialisme et le
complot.