Un
homme amaigri, les joues creuses, le corps flottant dans son
uniforme de policier qui se recueille avec ses quatre enfants
sur la tombe de son épouse morte il y a peu de temps, c'est
ainsi que débute le film. Des jours radieux où elle était encore
en vie restent peu de choses, mais son âme sillonne les dédales
de la maison, rappelant qu'il faut s'ancrer dans l'espoir d'une
vie meilleure. Elle avait encouragé Wadoud, le père (le prodigieux
Doreid Lahham), à entreprendre des études de droit pour occuper
un haut grade dans les rangs de la police et lui épargner d'assumer
le travail qui esquinte sa santé. Mais après sa mort, Wadoud
s'abaisse à un acte aussi désespéré que d'abandonner les études
pour cumuler les tâches de policier et de chauffeur de taxi
afin d'élever ses enfants. Cependant, le film développe, par
une harmonisation sur les nuances de gris et de blanc, le cheminement
de l'espoir que Wadoud réalise le rêve de sa femme d'être diplômé
en droit.
Le rêve ne cesse
d'être là, souterrain, mais qui fait jour. Le soleil, perdu
dans ses pensées, travaille à son insu. Les enfants œuvrent
à assumer des petites tâches : vendre des fleurs, travailler
dans une station-service, éplucher et préparer les légumes pour
la cuisson pour un maraîcher, et ainsi réunir les fonds nécessaires
à l'inscription du père en licence de droit. Le dévouement secret
et intime pour assurer un meilleur avenir au père transporte
les enfants de la puérilité pure et simple à la maturité. Mi-sérieux,
mi-jubilants, ils entrent de plain-pied dans un univers adulte,
les arrachant aux vicissitudes du monde. D'où le scénario tissé
autour de ces « jeunes pères » qui protègent leur famille menacée
du repli, lui ouvrant la voie au soleil. Pour augmenter leurs
ressources, ils vident une pièce de la maison et la louent à
Amal (Hanane Tork), une Egyptienne qui séjourne à Damas pour
étudier l'architecture de l'ancienne ville.
Cependant, le père,
qui voue un amour pour Amal, glisse vers une envolée lyrique,
qui laisse les enfants ahuris, inquiets pour le devenir de ses
études. Dès lors, ils s'emploient à rendre le rapprochement
de Wadoud et Amal, qui semble à première vue évident, dissonant.
Il s'agit d'une réaction de légitime défense, qui contribue
à entériner le partage entre ceux qu'exaltent les sentiments
et ceux qu'use le souci de voir aboutir leur rêve. Certes, il
ne paraît pas humainement possible que le père néglige les études,
laissant s'étioler l'espoir des enfants de le voir diplômé.
Dès lors, les travellings et les contre-plongées caressant les
hauteurs et les rues de Damas, où Wadoud guide les pas d'Amal
émerveillée, poussant à chaque changement de plan l'harmonie
de leur entente, alternent avec les tentatives des enfants de
saboter celle-ci. Deux forces contraires semblent jusqu'alors
passer dans la mise en scène. L'une qui dirait la permanence
imperturbable du havre naturel de l'univers familial. L'autre
qui mettrait un désordre dans cet ordre — désordre des activités,
des passions humaines, par l'entremise d'Amal. Deux forces ?
S'il y a bien ici le jeu de ce qui demeure et ce qui égare.
C'est la beauté du film, ce choix entre ce qui est utile pour
la petite communauté et ce qui décale.
Amal oppose fraîcheur
et jeunesse à la tension de la situation, prend une place d'adulte
au sein de la famille, la transforme sans la détériorer, faisant
aboutir son rêve. Le cinéma ne jouit pas d'une telle santé que
miroite ce petit film, dont le primitivisme de la technique
nuit pourtant à son aura dans les salles.
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