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Événement . A l’occasion de la parution d’un livre d’art sur ses œuvres, une rétrospective des peintures et sculptures d'Adam Hénein est organisée par la fondation Al-Mansouria, dans le cadre féerique du palais mamelouk Taz.
Enchantement des yeux

A l’âge de huit ans, le petit Adam se rend pour la première fois au Musée égyptien du Caire. Le monde chavire autour de lui et il en sera ainsi pour sa vie. Sa destinée d’artiste est déjà tracée. Et il n’aura de cesse de retrouver le sentiment intense qu’il a vécu ce jour-là : « Lorsque j’ai vu la statue du cheikh al-balad, j’ai eu le sentiment de me trouver en face de mon grand-père, j’ai senti confusément quelque chose se modifier en moi (…) comme la présence d’un univers étrange, en face de nous, à le toucher (…) Quoi qu’il en soit, ce moment aura eu sur moi une influence déterminante, et je n’ai pas cessé depuis lors de rechercher, inlassablement, le goût de cette expérience ». La quête de l’artiste n’aura plus de fin …

Aujourd’hui, des années plus tard, on fête une rétrospective du peintre et la publication d’un livre d’art sur ses œuvres. Et cela dans un endroit féerique, le palais du Prince Taz, où la magie de l’histoire et la magie de l’art ne font plus qu’un. Quoi de plus naturel pour un artiste qui, inlassablement, à travers ses sculptures et ses peintures, recherchait dans cette quête des origines, surtout pharaoniques, une continuité qui le place actuellement parmi les grands artistes de la modernité.

Il suffit de se promener à travers cette exposition, qui ne comprend que le dixième de l’œuvre prolifique de cet artiste comme le fait remarquer Salah Maréï, scénographe qui a fait de cet endroit avec ses agencements et les feux de ses projecteurs un lieu enchanteur qu’on ne voudrait pas quitter de sitôt, pour s’en persuader.

Dans le cadre de ce superbe palais mamelouk qui vient d’être restauré, dans la cour à ciel ouvert et à l’intérieur de deux grandes salles, des œuvres de l’artiste dans toutes les dimensions et avec tous les matériaux (à l’exception des grandes statues qui n’ont pu être déplacées) trônent comme si elles avaient toujours été là, ayant fait depuis des siècles partie intrinsèque de ce lieu.

Après avoir franchi la porte de bois massif qui mène à l’intérieur du palais pour pénétrer dans l’enceinte garnie d’un bouquet de palmiers, il vous semble avoir remonté le temps. Au dehors, les petites échoppes d’artisans, les ruelles étroites et l’agglomération des hommes simples, dans ce quartier de Hélmiya qui abritait les grands de l’époque sur plusieurs décennies et qui au fil des siècles est devenu un lieu populaire grouille d’une vie intense et conviviale. Pourtant, sur les visages de ces hommes et de ces femmes, dans leur humour et leur chaleureuse cordialité, nous savons d’une manière ou d’une autre qu’ils sont le prolongement de ces pierres et de ces demeures splendides, bien qu’abîmées, qui les entourent. De la même manière, lorsqu’on se promène entre les statues placées ça et là, et qu’on visionne les vitrines et les pans de murs habillés de fresques, de peintures sur papyrus, de dessins au charbon, de peintures à l’huile ou autre, force est de constater que cette modernité qui nous entoure nous rappelle constamment quelque chose que nous savions déjà. Comme si des réminiscences du passé nous rappelaient nos origines en quelque sorte.


Les personnages de l’artiste

Dans une petite cour extérieure, nous sommes accueillis par les personnages et les créatures d’Adam Hénein. Personnages que nous n’avons pas de peine à reconnaître bien qu’ils nous forcent à aller vers eux, pour les saluer. En effet, la disposition de Salah Maréï qui a placé certaines statues de dos, impose de se promener parmi elles et de ne pas les contempler, uniquement, comme on le ferait dans un musée. Le lieu est à la convivialité et il nous incombe à nous, visiteurs étrangers, d’aller vers eux, en signe de reconnaissance et d’admiration. Om Kalsoum, grande cantatrice égyptienne, figure charismatique du monde arabe, se tient de dos, avec son mouchoir, harmonieuse dans la grandeur de ces lieux qui lui ressemblent. Non loin, un âne, en toute simplicité s’y tient. Contradiction de notre monde ou complémentarité harmonieuse ? Tout au long de cette exposition, le mélange des styles, la confusion des temps et des messages sont un leitmotiv de la disposition des œuvres qui souligne la diversité et la complexité de l’univers artistique d’Adam Hénein. Et ce, malgré la complémentarité entre sculpture et peinture qui ne peut passer inaperçue. Comme si la peinture n’était que l’autre facette de la sculpture de cet artiste pour qui sculpter est une manière d’être.

Sur les papyrus, les formes sculpturales nous fascinent, mais ailleurs, sans préavis sur de très belles fresques un trio de chanteuse, un homme et une femme assis, une femme avec humour entourée de végétation et qui ne fait pas mine de nous regarder, nous projettent dans un autre univers. Les couleurs pastel et une touche d’humour nous placent loin des sculptures, dont la symétrie et la pureté des lignes rappellent cette inspiration pharaonique des temps glorieux. Toutefois, chez Adam Hénein, il n’y a jamais cette déformation de souffrance que l’on retrouve dans certaines œuvres modernes. Il est, lui, à la recherche d’une complémentarité entre lumière et légèreté. Bien que fortement ancrées dans le sol, ses sculptures aspirent à toucher la cime des cieux. Qu’elles soient de grandes ou de petites tailles, elles offrent au spectateur un sentiment de paix. Quoi de plus bénéfique de nos jours ! Et pourtant, son monde est loin d’être plat et simplifié. Dans la simplicité de ces armoires de grand-mère à travers lesquelles il s’amuse en créant une multitude de formes et de couleurs, un monde de souvenirs et de réflexion nous attend derrière ces portes entrouvertes ou fermées qui cachent leur mystère dans le secret de leur histoire. A nous d’être attentifs à leurs messages.

Sur les pans de couleur marron choisis par Salah Maréï pour rappeler la couverture du livre d’art, la diversité des mondes nous émeut. On ne sait où donner de la tête, quoi préférer ? Mais faut-il vraiment faire un choix ? Dans les vitrines, des petites statues en ardoise ou en plâtre fascinent. Des créatures de la vie quotidienne, emmagasinées dans la mémoire du sculpteur, à travers ses différentes vies dans les villages égyptiens, à Paris ou dans son monde intérieur fait de symboles et de mythes de sacré et de surnaturel.


Le vaisseau d'Adam

Si l’art pour les pharaons avait une connotation sacrée, il en va de même pour cet artiste qui créa dans son jardin de Harraniya, près des pyramides, le vaisseau d’Adam qui tel celui de Noé devait sauver ses créatures d’un déluge imminent. Sur le vaisseau, ses hiboux, ses chiens, ses poissons, ses ânes et ses personnages seront à l’abri et pourront transcender une réalité qui n’est peut-être pas à la hauteur de l’art. Dans l’exposition, une réplique de petite taille et des photographies sur les murs rappellent cet environnement, de Harraniya, où il fait bon vivre. Elles nous donnent surtout à contempler un monde de créatures où formes abstraites, hommes ou animaux se tiennent côte à côte et nous lancent un clin d’œil comme pour nous dire : « Créatures de peu de foi ! Vous n’avez pas encore compris ! ».

Cependant, la joie de vivre est là, partout, au détour d’une peinture, sur le visage de Salah Jahine, grand poète du dialectal et ami de l’artiste et pour lequel il a dessiné quelques quatrains exposés sur les murs. Autour de son arbre de vie, dans les petites fentes des statues en ardoise, ou sur ses croquis accompagnés de ses comptes d’épicier, Adam Hénein ne se prend pas au sérieux, il se rit et de nous et de lui. Dans le court métrage présenté par Mariam Maréï à partir de ses croquis, nous le voyons qui dessine un monstre pour aussitôt se hâter d’ajouter en-dessous ces mots : Autoportrait de l’artiste.

Humour et joie de vivre accompagnent également ces superbes dessins au charbon. Des cafetières et des tasses de café attendent avec fantaisie, le moment délicieux de la pause-café. Des corps de femmes s’élancent et se profilent dans des tons de noir,blanc et gris comme pour une invitation à l’érotisme et au bonheur. De petits triangles rappellent les signes de leur féminité dans un ballet de formes où l’emplacement de la signature d’Adam Hénein, les petits tatouages que l’on décèle çà et là, sur les corps, les petites taches, comme autant de creux et de courbes fantasmés surgissent aux détours du crayon pour donner à ces êtres féminins uniques et sacrés, une aura de mystère qui communique avec l’au-delà.

Et c’est ce qui nous touche le plus dans cette exposition que l’on peut admirer au premier degré mais qui envahit le spectateur d’un sentiment indéfinissable de plaisir, de pureté mais aussi de profonde sérénité. Une sérénité qui n’est pas sans nostalgie dans la manière qu’elle a de se faufiler au plus profond de notre être pour rejoindre cette partie de nous-mêmes où notre humanité, au-delà de nos différences, de nos époques et de nos problèmes, est ce qu’il y a encore de meilleur en nous.

Soheir Fahmi

* Sculptures d'Adam Hénein, à la galerie Zamalek.11, rue Brazil, Zamalek. Jusqu'au 21 mars, de 10h30 à 21h, (sauf le vendredi).

Rétrospective d'Adam Hénein, au palais Al-Amir Taz. 17, rue Al-Swéfiya, bifurcation de la rue Saliba, Oum Abbass, Al-Khalifa. Jusqu'au 20 avril.

Le livre Adam Hénein est publié par la fondation Al-Mansouria pour la culture et la créativité, chez Skira pour l’édition française et anglaise et également par Al-Mansouria et Dar Al-Chourouq pour l’édition arabe. Al-Mansouria est une fondation internationale non lucrative qui siège à Paris et qui a pour mission de soutenir et de diffuser les arts et les lettres de qualité en Arabie saoudite et à travers le monde arabe.

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