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Abou-simbel . C’est la haute saison pour ce site magnifique, notamment avec cet événement annuel, le solstice d’hiver le 22 février, lorsque les rayons de soleil tombent perpendiculairement sur le visage de la statue de Ramses II. Récit de voyage.

Hommage à Nefertari et Bakkar

Prendre l’avion pour aller à Abou-Simbel, c’est tout simplement « se déplacer » d’un point à un autre à l’échelle d’une carte de géographie. Manière simple, pratique et rapide que citent les guides touristiques pour voyageurs pressés qui tiennent surtout à la fameuse photo à montrer aux amis comme preuve de voyage et à susciter des jalousies. Mais si vous êtes déjà à Assouan, on vous demandera — en tant qu’étranger — de vous joindre au convoi (comme ils l’appellent) : départ à 2h du matin pour commencer à 6h la visite du site et reprendre le car avant le déjeuner. Rares sont ceux qui passent la nuit pour assister au merveilleux son et lumière.

Il y a cependant une troisième façon de « voyager ». C’est d’abord respecter les quelque mille kilomètres qui séparent Le Caire des frontières égyptiennes les plus éloignées. C’est-à-dire prendre le rythme de cette très longue distance : le souffle du parcours qui prolonge le plaisir de la découverte. En d’autres termes, prendre le temps qui correspond à la distance. Aller loin, très loin, exige un état d’esprit qui vous renvoie en quelque sorte aux images du début du siècle dernier. Ainsi commence notre voyage.

Munies de chapeaux de paille, de chaussures à lacets avec semelle imitation crêpe et thermos marque Thermos, ma sœur et moi prenons le train de 19h à la gare du Caire, en direction d’Assouan. 14 heures de voyage en couchette sont prévues, avec dîner chaud servi à 20h30. L’un des employés vous dira : « Ce train fabriqué en Allemagne de l’ouest il y a 27 ans n’est plus utilisé là-bas. Chez nous, il continue de rouler sur les rails et les passagers en sont satisfaits ». Le chrome et le bois ininflammable contribuent à lui donner cet air de modernité révolue. Son système anti-secousses permet de dormir profondément. « Au contraire du train de 22h, en plastique, plexiglas et je ne sais quel autre matériau léger, reprend l’employé, celui-ci c’est du solide, croyez-moi ». Parti pris rassurant, même si cela ne ressemble en rien aux wagons-lits d’antan.

Plusieurs arrêts scandent ce long voyage. Long mais pas fatigant. Levées à 6h, nous avons le luxe et le privilège de revisiter notre nostalgie. Ah ! Cette belle et profonde campagne égyptienne : à perte de vue s’étendent des champs d’un vert vert. Comme il devrait être. Il faut le voir pour comprendre ce que nous décrivons. Nous les habitués de la pollution, accoutumés à un vert terreux, familiers au paysage cimenté du Delta surpeuplé. Tiens ! Un chadouf. Cela existe-t-il encore ? Eh bien oui, et ça fonctionne. On dirait que le temps passe lentement en Haute-Egypte. Peu de changements, pense-t-on, puisque des maisons en terre sont encore habitées et que sur leur toit sont entassées des branches séchées au soleil pour les fours. La vitesse du train nous engage à focaliser notre regard ; ainsi, nous pouvons remarquer que les traditions vestimentaires sont en vigueur, que le « zir » continue inéluctablement de faire partie du décor rural … que les paysans égyptiens — gloire de l’Egypte agricole —, basanés, avancent avec fierté vers les champs de canne à sucre comme s’ils s’étaient juré de ne pas rompre le pacte qu’ils avaient conclu avec leurs ancêtres. Chaque fois que le train s’arrête, nous pouvons admirer l’architecture des différentes gares.

Un autre plaisir. Encore !

Arrivée à Assouan et début de la seconde étape. Nous prenons le car à 11h pour faire quatre heures de route désertique qui n’est pas spécialement belle. Pour dire que le désert n’est pas partout pareil.


Un rêve devient réalité

Je n’avais jamais visité Abou-Simbel auparavant. C’était donc un rêve en train de se réaliser. Nous nous installons dans une maison d’hôtes tenue par un couple nubien, Fikri et Amal Kachef. F. Kachef a dirigé pendant longtemps une patinoire à glace près de Lausanne avant de rentrer s’installer au pays natal où il sera guide sur le bateau Eugénie qui offre des croisières sur le lac Nasser. Référez-vous à la propreté suisse et à la très renommée propreté nubienne, vous saurez de quoi il s’agit.

Construire cette maison, au style nubien, était une décision que Kachef avait prise dès sa tendre enfance quand il a dû quitter à neuf ans la demeure familiale, lors de la construction du Haut-Barrage. « C’est une maison nubienne typique, construite en briques de terre (que nous avons confectionnées ici-même). Seuls le sanitaire et la cuisine ont été bâtis en ciment, pour des raisons d’hygiène. Cinq chambres et deux spacieuses salles de réception sont séparées par une cour intérieure. Pour les voûtes et les dômes, on a fait appel à de vieux maçons qui en conservaient encore le secret, car c’est un travail artisanal en voie de disparition. J’aimerais vous rappeler que le grand Hassan Fathi s’en était inspiré ». La beauté de la maison est accentuée par sa simplicité. Loin de tout folklore exotique, l’intérieur respire l’authenticité. Les objets proviennent de chez la famille élargie et les lits sont une réplique des plus exactes du lit de la grand-mère qui est — pour sa part — une extension populaire du lit de Toutankhamon.


Une culture d’eau

La maison est située à quelques mètres du Nil, comme l’étaient d’ailleurs les maisons de la Nubie noyée à 60 mètres de profondeur. N’oublions pas que la civilisation nubienne avait une culture d’eau : maints rituels étaient exercés sur les rives du Nil. Tout autour, un potager, des arbres fruitiers (goyave, orange et citron) et des palmiers, symbole de la région. Et une saqia (roue hydraulique) qu’un vieux menuisier d’un certain âge, spécialiste, a réalisée selon les normes héritées de père en fils. La maison n’est pas une reconstitution d’un passé périmé. Elle vit et s’épanouit grâce à ses portes ouvertes : « Je l’ai voulue et conçue ainsi pour que tout le monde y ait accès ». De jeunes adolescents nubiens venus d’Alexandrie, où ils résident, entrent familièrement et s’installent, le temps de boire un karkadé. Le soir est réservé aux amis qui discutent des problèmes de la nouvelle ville, au nom officiel de « Ville touristique d’Abou-Simbel ». La ville est calme, propre, accueillante, mais sans touristes. Un homme d’une soixantaine d’années, président d’une association nubienne dont le siège se trouve au Caire, souhaite pouvoir aider ses compatriotes à revenir occuper les terres qui bordent le Nil. Un autre, fonctionnaire à l’Unesco, s’inquiète des vibrations causées par les avions qui survolent le site. Un quatrième énumère les contraintes que rencontre son projet culturel. Ensuite, la soirée se détend et Fikri chante, accompagné de son oud. Des chansons tristes comme des mélopées, puis le ton s’égaye quand il chante l’amour et la moisson.

Nous étions parties pour Abou-Simbel non seulement pour visiter les temples, mais aussi pour passer trois jours au repos, avec une lecture appropriée : Contes populaires de l’Egypte Ancienne. En prenant le rythme de ce lieu paradisiaque, vous pouvez visiter le temple au premier jour et économiser le spectacle du son et lumière pour le lendemain.

L’amoureux de Nefertari

Les colosses de Ramsès se trouvent à une demi-heure à pied de la maison. Pour y arriver, comme en promenade, vous longez des jardins luxuriants. Ahmad Saleh, inspecteur auprès du service des antiquités, rencontré la veille, est au rendez-vous. Il vous surprend par son savoir, son intelligence et sa profonde finesse. C’est un des rares égyptologues à être spécialisé dans le domaine de la momification. D’ailleurs, il a un site à ce sujet que vous pouvez consulter : www.mummyspeaks.net. D’un sourire timide, il nous dévoile un secret : « J’aime Nefertari ». Pour les Nubiens, c’est leur déesse. En fait, Nefertari veut dire en arabe Halawethom, c’est-à-dire « leur beauté ». Et elle est effectivement très belle. Etant la dulcinée de Ramsès II, il lui fit édifier l’un des deux temples rupestres qu’elle ne verra jamais. Car, comme souvent dans les histoires d’amour, lfin est tragique : Nefertari mourra avant les cérémonies d’inauguration.

Il est clair que nous ne nous sommes pas attardées à décrire notre émerveillement quand, pour la première fois, on a vu le temple, de vrai. Cela va de soi. Et d’ailleurs, c’est indescriptible. Vous pouvez passer des heures à contempler le travail surhumain, et méditer. Les pharaons. Nasser. Khrouchtchev … et la vie continue.

Rentrées dans l’après-midi, un super repas préparé par Amal nous attend : un excellent poisson fraîchement pêché et de la Weka (cornes grecques séchées et pilées dans un mortier que l’on fait mijoter avec la viande).

Demain, c’est déjà le retour. Mais avant de partir, je voudrais vous faire part de ce qui m’a le plus attendrie : partout, sur les murs, dans les boutiques, les échoppes, chez l’épicier et le marchand de légumes, dans les chambres des enfants, partout, un petit personnage vous accueille : c’est Bakkar. Personnage d’une série télévisée, créé par Mona Aboul-Nasr. Pourquoi est-il là si abondamment ? Car c’est un petit héros national nubien.

Menha el Batraoui
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