Pèlerinage.
Plus de 68 000 Egyptiens se rendent cette année à La Mecque,
pour obéir au cinquième pilier de l’islam. Récit d’une ferveur
populaire conjuguant mysticisme et festivités.
Dans la force du hag
Le
village d’Abou-Diab, situé dans le gouvernorat de Qéna, a
revêtu un air de fête. Des lampes multicolores illuminent le
ciel. Les youyous qui fusent et les coups de feu indiquent le
début des festivités. Ahmad, qui habite ce village, s’apprête
à partir à La Mecque. Un moment très attendu par ce modeste
paysan de 70 ans qui a tant rêvé de faire ce pèlerinage. Les
murs du village semblent d’ailleurs être des fresques vivantes
qui racontent l’histoire du pèlerinage. Sur la façade d’une
maison mitoyenne, un peintre est occupé à dessiner la Kaaba,
alors que sur celle d’en face, c’est la tombe du prophète.
Cela donne l’impression de participer à une exposition à ciel
ouvert. C’est aussi la saison prospère pour les artistes
amateurs en Haute-Egypte qui en profitent pour se faire de
l’argent. La maison du futur « Hag Ahmad » grouille de monde.
C’est le va-et-vient incessant d’amis et de voisins venus le
saluer avant le départ. Et dans cette ambiance de fête, les
femmes aussi participent en fredonnant des chansons qui
racontent le périple du voyage vers La Mecque ou font l’éloge
de la famille du prophète. « Tu vas être bientôt Hag chez le
prophète, on souhaiterait être avec toi », répète la foule
alors qu’un deuxième chœur répète sur un autre air : « Ya
Fatma, fille du prophète, ouvre ta porte, car ton père nous
invite à lui rendre visite », répètent-elles en préparant le
menu de ce voyage : qoras (galettes), mich (fromage salé),
doqqa (mélange d’épices et de sésame), etc.
Art mural menacé
Une
particularité égyptienne cette effervescence, cette joie,
cette passion. Bien que le pèlerinage soit le cinquième pilier
de l’islam, l’art de représenter les moments importants de
l’individu remonte à l’époque pharaonique. Selon des études
effectuées par le Centre de documentation du patrimoine
culturel et urbain, les murs des temples témoignent, par
exemple, des grandes batailles que l’Egypte a connues et aussi
des pèlerinages depuis la nuit des temps. Les inscriptions
murales d’un style que l’on dirait spontané et célébrant le
pèlerinage à La Mecque font partie d’un patrimoine bien ancré.
Mais c’est un art qui risque de disparaître de la capitale
alors qu’on l’observe toujours dans la campagne égyptienne.
D’après la même source, c’est un moyen d’annoncer le départ
des pèlerins pour que les habitants du village n’oublient pas
de leur collecter la noqta (cadeau collectif du pèlerinage).
Versets coraniques dessinés en calligraphie ou bien des
fresques narrant le voyage, l’on n’est pas loin de cette
iconographie pharaonique. Ces représentations, d’après les
études, prennent souvent plusieurs thèmes : l’hégire du
prophète, la Kaaba, la tombe du prophète, le sacrifice, ou
bien la cérémonie du Mahmal (le cortège qui suivait le
revêtement de la Kaaba à partir de l’Egypte, une cérémonie
d’une importance majeure. D’autres fresques sont plus
symboliques, comme les arbres verts ou bien les branches de
l’olivier (synonyme de piété inspiré de la culture copte).
Le pèlerinage est une obligation imposée dans la religion
musulmane. Pourtant, ces festivités ont toujours été
influencées par les diverses cultures qui ont forgé l’identité
égyptienne (pharaonique, copte, fatimide). Ceci a donné à
cette cérémonie de l’originalité en Egypte et a tissé autour
d’elle une culture singulière.
Par exemple, selon les traditions égyptiennes, les familles
des pèlerins repeignent les maisons avant leur retour du
voyage. « Une chose qui n’existe pas en islam, mais puisque la
culture musulmane promet à ce dernier de revenir comme un
nouveau-né, l’Egyptien tient à marquer son empreinte. Changer
la couleur de sa maison est un symbole de commencement d’une
nouvelle vie », analyse Nadia Radwane, sociologue.
Pourtant,
cet esprit festif était très présent avant la Révolution de
1952 et le changement des conditions économiques de l’Egypte.
Puisque la confection du revêtement de la Kaaba se faisait à
Dar Al-Késwa al-charifa au Caire, le cortège qui transportait
le tissu à dos de chameau vers l’Arabie saoudite faisait
l’objet d’une cérémonie haut en couleurs. Une tradition qui
n’existe plus depuis 1962, suite à un différend politique
entre les leaders des deux pays. Aujourd’hui, étant donné le
changement socioéconomique, il y a un contexte nouveau. C’est
l’épargne en particulier. Nadia Radwane indique qu’un Egyptien
peut faire des économies toute sa vie pour avoir accès à cet
honneur. Son maigre revenu (400 L.E., environ 66 dollars par
mois) selon les chiffres officiels face aux coûts du voyage
(15 000 L.E., l’équivalent de 2 500 dollars minimum) donne
bien sûr à cette cérémonie un goût spécial, car beaucoup de
personnes modestes n’aspirent pas à faire qu’une seule fois le
pèlerinage. A noter aussi que les visas sont délivrés au
compte-gouttes face au nombre important d’Egyptiens qui
désirent accomplir le pèlerinage.
A l’aéroport du Caire, la famille de Hag Saleh s’est déplacée
spécialement pour lui dire au revoir. Un cortège formé de
quatre microbus qui ont fait 2 heures de route pour
accompagner le Hag et sa femme de leur village natal du Fayoum
vers l’aéroport. Des drapeaux blancs s’agitent des fenêtres
annonçant l’arrivée des deux pèlerins vêtus de blanc et
ressemblant à deux mariés.
Le sourire aux lèvres, Hag Saleh, âgé de 65 ans, a dû faire un
gros sacrifice, vendre ce qu’il avait de plus cher, sa terre.
Car tout l’argent qu’il a économisé pendant plus de 8 ans n’a
pas suffi pour ce voyage.
Mais l’émotion du départ est bien plus intense. « Mon nom est
sorti dans le tirage au sort et l’argent que j’ai économisé ne
suffisait pas pour couvrir les frais de mon voyage ni celui de
ma femme. J’ai alors vendu les 2 feddans que ma mère m’a
légués », lance-t-il. Ses 5 enfants ont tout fait pour le
dissuader, mais l’appel de Dieu était plus fort. « Je ne
pouvais pas rater la chance de ma vie », dit-il.
Prestige social
Le
côté social reste tout aussi remarquable dans cet héritage
culturel où rite islamique et coutumes égyptiennes s’unissent.
Des traditions qui varient d’une région à l’autre en Egypte,
mais qui font toujours rejaillir l’identité égyptienne, riche
de cultures. En effet, le statut de Hag est un prestige
social. « Celui qui visite les lieux saints est supposé être
un homme pieux et respectable et doit éviter tous les vices à
son retour », c’est ainsi que résume Fawzi, portier de 56 ans,
la vision de la société. Un prestige social qui classe les
pèlerins dans les rangs des saints, vu qu’ils vont laver tous
leurs péchés et revenir tout blancs. Ce qui explique pourquoi
l’Egyptien tient à porter la tenue blanche bien que ce ne soit
pas un devoir religieux. D’ailleurs, ils ont hérité beaucoup
de traditions qui tournent autour de cette idée.
C’est dans un village d’Abou-Ghéneima, situé à Minya, que les
habitants se regroupent pour aller se baigner dans le lac d’un
saint. Ils croient que par cette eau bénite, ils vont partir
au pèlerinage tout purs.
Autre image. C’est dans le village de Paris, à Al-Wadi
Al-Guédid, que le pèlerin doit frapper à toutes les portes
pour s’assurer que ses voisins ne sont pas fâchés contre lui
et garantir le pardon de tout le monde avant son départ. Et
sur les bords de la mer Rouge, des fidèles des quatre coins de
l’Egypte (environ 4 000 véhicules) ne peuvent prendre la route
vers La Mecque sans escalader la montagne de Homayssara,
habitée par le soufi Sidi Aboul-Hassan Al-Chazli. Un festival
annuel où chants religieux, rythme des tambours et sons de
flûtes sont au rendez-vous pour briser le silence du vaste
désert de Izzab, situé sur la mer Rouge.
Les traditions changent, mais le cadeau du pèlerinage reste un
devoir qui s’impose toutes catégories sociales confondues. La
liste est longue : jerricans remplis d’eau du puits de Zamzam,
chapelet, tapis de prière, etc.
« Et pourquoi pas une prière pour aller accomplir ce pilier
comme lui l’année prochaine ? C’est la chose la plus
importante », lance Mahmoud, un parmi les cinquante personnes
venues accompagner Hag Saleh à l’aéroport.
Prestige du futur Hag exige ! .
Dina
Darwich