Al-Ahram Hebdo, Visages | William Sidhom,
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 

 Semaine du 20 au 29 décembre 2006, numéro 641

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Kiosque

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Loisirs

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Visages

Un parcours sinueux fait de doutes et de remises en cause mais forgé autour d’une idée maîtresse : la liberté. C’est le père William Sidhom, de la Compagnie de Jésus, qui met en pratique dans la société arabe la théologie de la libération née en Amérique latine. 

Un Jésuite hors du commun 

William est né dans le village de Garagos connu pour le remarquable artisanat qu’il produit, à presque 900 km au sud du Caire et presqu’une demi-heure de Louqsor. Il est l’aîné de 3 frères et 4 sœurs. « Même dans la répartition du nombre de frères et de sœurs, Dieu était juste ». Une remarque, pour commencer, qui ne peut que dévoiler sa croyance et sa conviction infinies dans la justice et la bonté de Dieu, malgré les injustices commises par les hommes que le monde rencontre tous les jours.

A l’âge de 7-8 ans, alors qu’il courait dans les minuscules terres de sa famille rentrant chez lui ou allant à l’école, il croisait souvent les curés de son village : le prêtre orthodoxe avec sa soutane noire ressemblant à une djellaba de paysan et son gros turban sur la tête, et les Pères Jésuites, catholiques bien sûr, qui animaient l’école, le dispensaire et le centre de jeunesse du village, et qui se présentaient en short de safari avec des cheveux ébouriffés. « Il y avait 3 Jésuites à Garagos à cette époque-là et tous, nous voulions les imiter. Moi, je les imitais à la maison : je portais les couvre-lits sur mes épaules et je donnais la bénédiction au peuple, composé de mes frères, sœurs et cousins, en langue copte. On jouait comme ça ».

Or, à l’âge de 12-13 ans, il part au Caire rejoindre le grand séminaire des coptes catholiques dans le calme quartier de Maadi. « Pourquoi ? Parce que je voulais imiter les Jésuites et devenir un ange comme eux. Je me rappelle que les 3 prêtres, Ackerman, De Fenouille et De Montgolfier, étaient tous spécialisés dans les rituels coptes. Ils pouvaient dire la messe à la copte pendant 4 heures d’affilée. De Fenouille, lui, nous enseignait comment respecter chaque symbole et chaque mouvement liturgique. Il a même écrit un livre sur les rituels de la liturgie copte et nous a amené un diacre copte du village voisin de Hagaza, qui était atteint de cécité, pour nous obliger à étudier par cœur des paragraphes entiers de la messe en langue copte ». Voilà que William Sidhom grandit sans accumuler des complexes de catholique, orthodoxe ou musulman. Ces gens-là lui faisaient croire qu’ils sont plus orthodoxes que les orthodoxes. Un jour, père De Montgolfier lui dit : « Tu ne voudrais pas servir Dieu ? ». Cette question le laissa stupéfait. « Moi, prêtre à 12 ans ? ».

La vision des Jésuites consistait à transformer son village natal en village pilote. Ils y ont introduit l’eau potable et l’électricité, modernisé l’irrigation et l’artisanat. Ils ont eu recours à tous les experts qu’ils connaissaient : Hassan Fathi pour les constructions, l’ancien ministre de la Culture Sarwat Okacha, le journaliste Ahmad Ragab et beaucoup d’autres. Or, les Jésuites étaient aussi des étrangers et la période nassérienne battait son plein. Lui prêtre ? « J’avais peur ». Sa famille était croyante et pratiquante et tous allaient à la messe le dimanche. Les Jésuites voyaient cela. Ils venaient même chaque année, accompagnés par les bonnes sœurs, manger un repas de fête chez eux. Ils étaient invités et on leur demandait d’apporter chacun son couvert pour être sûr que le repas sera servi dans un plat propre.

D’une part, William était heureux d’aller dans la grande ville qu’est Le Caire, et d’autre part, il était encore très jeune. Il voulait voir Dieu. « Est-ce qu’Il ressemble vraiment à cette minuscule représentation de Michel-Ange accrochée sur le mur de notre maison ? Puis, je me suis dit c’est bon. Je vais devenir prêtre pour le voir. Tous les éléments de mon choix étaient présents : les Jésuites, l’éducation religieuse, la représentation de Dieu ».

Il va au séminaire des coptes catholiques à Maadi parce que les Jésuites ne recevaient pas d’enfants ... Or, les Jésuites eux-mêmes dirigeaient le séminaire. Donc, le jeune William n’était pas très loin d’eux ! En 1re préparatoire, il commence à aimer la lecture, et montre beaucoup de zèle dans les études. Il devient le premier ou le deuxième de sa classe, mais échoue toujours en mathématiques. Au cycle secondaire, il apprend à faire les 400 coups avec ses collègues cairotes : lorsque la visite du docteur ou le check-up à l’hôpital se prolongeait d’environ 3 heures, les jeunes séminaristes étaient au cinéma !

C’est ensuite quand il grandit qu’il comprend que les mathématiques étaient en étroite relation avec la philosophie et la logique qu’il ira étudier à l’Université du Caire à partir de 1967. « J’en avais marre du séminaire, de la vie et de tout. Mais je voudrais, à tout prix, aller à l’université. Je suis les études à temps partiel parce que j’avais 10 autres matières au séminaire, en plus des matières de la fac. Je ne pouvais pas m’y rendre tous les jours ». A ce moment-là, il lit beaucoup de philosophie et de politique et trouve que les écritures de Karl Marx lui conviennent et qu’elles expriment parfaitement ce qu’il ressent. Hegel, Kant et les autres répondaient eux aussi à ses aspirations. « J’ai perdu ma foi en plein cœur de l’Eglise ». William Sidhom se révolte contre beaucoup de choses, mais sa rébellion est celle d’un gentilhomme digne et respectable de la Haute-Egypte qui ne blesse personne. Il lit des critiques sur la Bible et devient complètement incroyant. Il ne dormait plus. Il sentait qu’il était responsable non seulement de lui-même, mais de la création entière. Il se rappelle du P. Masson qui le rassurait dans son traumatisme : « Cet état te sera bénéfique. Tu le verras plus tard ».

Pour notre jeune séminariste, Marx avait raison, il existe une lutte entre les différentes classes sociales et entre les riches et les pauvres. Et la foi était un grand mensonge qu’il ne pouvait supporter. Dans cette conjoncture, il décide alors de quitter le séminaire, dès la fin de sa première année universitaire. Il doit maintenant chercher du travail pour subvenir à ses besoins. Il opte pour le domaine de l’éducation. On l’embauche au Collège de la Sainte Famille en tant que surveillant moyennant un modeste salaire de 3 L.E., avec l’avantage d’être logé et nourri. « Je travaillais dans des conditions bizarres et contradictoires, au sein d’une classe sociale que je commençais à refuser ». Il est rebelle certes, mais cherche toujours la vérité : trouver de quoi démontrer l’existence de Dieu. William doit beaucoup au P. Martin qui le place à nouveau sur le droit chemin. « Pour trouver Dieu, il ne suffit pas de lire des livres. Tu dois rencontrer des gens et porter avec eux un souci commun », lui dit-il. Il lui conseille de travailler avec les scouts et les jeunes du collège et du quartier. William le fait volontiers et merveilleusement bien mais, de temps en temps, il s’amuse à taquiner les membres de la nouvelle communauté de jeunes Jésuites qui vient de se constituer, surtout au moment de leur prière ou à la messe … « A ma grande surprise, ces Jésuites me supportaient et m’aimaient tel que j’étais ».

Mais Kant dit aussi qu’il est impossible de démontrer scientifiquement l’existence de Dieu. Cependant, par expérience spirituelle, ça l’est. « Ils ressentent sûrement quelque chose ces jeunes-là qui me supportent malgré les tours que je leur fais ». P. Martin avait peut-être raison. William serait-il un peu rassuré ?

Notre séminariste lit les journaux. C’est la période de l’après-défaite à la fin des années 1960. Rien n’allait dans le pays, « et rien n’allait plus aussi chez moi ». William voyait qu’à l’étranger, il y avait de ceux qui n’aimaient pas l’Egypte, et qu’aussi à l’intérieur, il y en avait des similaires. « Pourtant, j’aimais beaucoup Gamal Abdel-Nasser ». C’est de cette manière que son intérêt à la politique commence.

Un autre centre d’intérêt le passionne : le mouvement de Asdéqaa al-rif (amis de la campagne). Il devient membre de ce groupe de jeunes volontaires qui offraient des possibilités aux jeunes de la Haute-Egypte de passer des vacances au bord de la mer ou leur permettaient de pratiquer des loisirs ou des activités culturelles. Aujourd’hui, William est en très bonne relation avec Dieu, peu importe les rituels de la religion.

« J’avais une décision à prendre. Soit me marier, soit entrer dans la vie religieuse. Je fus nommé professeur de philosophie dans une école secondaire de Bagour dans le Delta, mais le directeur de l’école a refusé de me recevoir parce que je portais un jean et j’avais les cheveux longs et ébouriffés ». William participe ensuite à plusieurs retraites de Jésuites, puis prend, enfin, la ferme résolution d’entrer dans la Compagnie de Jésus. « Je ne me voyais pas vivant en tant que père de famille. Je voulais m’offrir à plus de monde ».

Ainsi, en 1972, il était le premier Saïdi à devenir Jésuite. Vivre à Paris pendant 4 ans lui a permis de s’ouvrir sur la communauté arabe de la ville-lumière. Il a également essayé de conserver son identité : « Je me posais des questions sur mes engagements religieux et politiques. Qui suis-je en réalité ? Egyptien, Arabe, Méditerranéen, marxiste, catholique, membre de l’Eglise universelle et Jésuite ». Or, les Jésuites visitent Israël et, lui, il avait des positions contre.

Le séjour parisien s’enrichit au fur et à mesure. Et la participation aux manifestations à Paris augmente elle aussi. « Mes supérieurs m’autorisent à faire de la politique comme je veux, mais sans pourtant adhérer à un parti précis ». Et au 32e congrès de la Compagnie de Jésus, William fait la connaissance de Jésuites venant d’Amérique latine qui prônaient la théologie de la libération et que lui surnommait théologie de la vie. C’est alors qu’il découvre qu’il est Jésuite à 100 %. Il devient partisan de la non violence et refuse la peine de mort exercée contre les criminels.

Il termine sa maîtrise sur Averroès, rentre au Caire en 1978 et vit dans la banlieue de Matariya avec les pauvres. Il poursuit ses activités au sein de la scène politique égyptienne et entame une étude sur la conception de la terre dans l’Ancien Testament, qui démontre qu’Israël n’a aucun droit historique en Palestine. Il ne prône pas du tout de faire disparaître le peuple israélien. Il voudrait juste créer un Etat démocratique dans lequel juifs et musulmans vivraient dans la paix et l’égalité. « Notre père Abraham n’a jamais confisqué une terre qui ne lui appartenait pas. Il est allé même jusqu’à acheter sa propre tombe ». Il refuse donc la visite de Sadate à Jérusalem et accomplit son service militaire. Il est temps maintenant de repenser la vocation religieuse.

En guise d’obéissance à ses supérieurs, William se voit ensuite envoyé travailler à l’Association de la Haute-Egypte, pour l’obliger à rompre avec ses opinions politiques, puis au Liban, pendant sa douloureuse guerre civile. Séjour qui le marque énormément. Et voilà la grosse surprise : alors qu’il est de gauche à 100 %, il voit la gauche libanaise s’entretenir et s’allier avec les Israéliens, puis avec les Phalangistes, puis avec ceux-ci et ceux-là. Il ne comprenait plus rien. « J’ai compris que dans la souffrance, il ne restait qu’à faire des concessions. Je n’ai pas lâché la gauche en tant qu’idéologie, mais j’ai commencé par voir les choses autrement ». Il prend du recul et repense sa tendance politique, puisque partout où la gauche règne, il y a un problème de liberté. La vie n’est plus pour lui en blanc ou noir. Il se relit et se repense sans pourtant exclure la théologie de la libération, à laquelle il s’attache de plus en plus. Ordonné en 1984, il passe trois ans à Minya, puis fait le grand tournant vers Le Caire, où il se consacre dans les activités socio-religieuses de son collège.

Aujourd’hui, le nouveau défi de William n’est plus de sortir manifester avec le mouvement Kéfaya. Il s’agit maintenant de savoir toucher les 98 % de la population, chrétiens et musulmans, qui ne peut rien faire dans les circonstances politiques actuelles, et de lui permettre de s’exprimer par les moyens de l’art et de la culture. Et eux, à leur tour, feront leur mouvement vers la politique, d’une manière simple et normale. C’était d’ailleurs la raison principale de la création de l’association culturelle Al-Nahda , dans le quartier populaire de Faggala, en 1998.

« Communier avec le peuple et lui présenter une parole de vérité toute naturelle, en plus d’une prise de conscience des défis de la société et de ses problèmes sont les règles d’or que chacun de ceux qui ont pour mission de sensibiliser doit mettre en pratique ». C’est dans ce cadre que le Père Sidhom assume sa mission de guide socio-spirituel du Grand Collège de la Sainte-Famille, tout en préparant son dernier livre, La Théologie de libération en Palestine.

Loula Lahham

Retour au sommaire

Jalons 

1948 : Naissance à Garagos.

1972 : Entrée au noviciat des Jésuites.

1974 : Proclamation des premiers vœux religieux, à Paris, pour la 1re fois en langue arabe.

1978 : Maîtrise sur Averroès et retour en Egypte.

1984 : Ordination du P. William Sidhom à Garagos.

De 1993 à 2002 : Parution d’une série de livres en arabe sur la Théologie de libération en Amérique latine, en Afrique et en Asie.

2003 : Parution de Kalam fil din wal siyassa.

 

 

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah - Chourouq Chimy
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.