Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | De L'euphrate au Nil
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 1 au 7 novembre 2006, numéro 634

 

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Nulle part ailleurs
Iraqiens . Ils sont nombreux à avoir quitté leur pays, fuyant les atrocités de la guerre. Cependant, leur séjour en Egypte est empreint de précarité, et ils rêvent du jour où ils retrouveront leur patrie.

De L'euphrate au Nil

Nous les avons croisées dans un hypermarché de la ville nouvelle du 6 Octobre. Ayant terminé leurs courses, elles étaient à la recherche d’une table pour déjeuner. Facilement identifiables par leur accent, elles nous livrent tout ce qu’elles ont sur le cœur, au premier abord. Ces deux femmes, la cinquantaine, ont quitté l’Iraq il y a un mois accompagnées de leurs enfants. Arrivées au Caire, elles sont en train de recommencer leur vie à zéro. « Nous ne connaissons personne ici. Nous sommes complètement paumées. Nous passons d’un bureau à l’autre, pour tenter d’obtenir une résidence, inscrire nos enfants dans les universités, chercher du travail pour les plus âgés. On a réellement l’impression de tourner en rond », explique Oum Gaber. Elle est arrivée en Egypte avec un visa de touriste lui permettant de séjourner six mois dans le pays. Passé ce délai, cette femme est censée renouveler sa résidence. Ce qui n’est pas évident, puisque sa famille ne répond pas aux critères exigés par le service de l’immigration. « Pour obtenir une résidence de longue durée, il faut avoir un compte bancaire de 50 000 dollars ou un appartement de la même valeur avec acte notarié et présenter tous les certificats qui prouvent que nos enfants sont scolarisés ou inscrits à l’université. Nous pensions que notre drame allait prendre fin en fuyant la guerre, mais il semble que nos problèmes ne font que commencer. L’Iraq a toujours accueilli à bras ouverts tous les Egyptiens qui y ont séjourné, n’est-il pas temps que l’Egypte fasse de même avec nous en cette période difficile ? », s’interroge Oum Gaber.

Le nombre des Iraquiens résidents en Egypte est estimé à 500 mille selon les chiffres officiels de l’ambassade d’Iraq au Caire où l’on affirme également que depuis 2003 environ un million ont obtenu des visas de séjour touristique. .

L’immigration des Iraqiens vers l’Egypte ne date pas d’hier. Au cours des années 1990, l’élite iraqienne a fui le pays à cause du régime de Saddam Hussein. Ces personnes cultivées, possédant un niveau d’éducation élevé et des qualifications professionnelles, étaient opprimées dans leur pays. Ingénieurs, médecins, professeurs à l’université, écrivains, peintres, pilotes, experts en informatique, cinéastes ont dû donc quitter l’Iraq à la recherche d’un monde meilleur.

Après le déclenchement de la guerre en Iraq en 2003, la situation s’est encore plus aggravée. Et immigrer est devenu la seule issue pour tous les Iraqiens, tous âges et classes sociales confondus.

Arrivés en Egypte, ils tentent tous de régulariser leur situation. Cert ains réussissent à s’installer sans difficultés grâce à leurs moyens car ils répondent aux conditions exigées et mènent donc un train de vie stable. D’autres frappent à toutes les portes, usant de toutes les astuces pour pouvoir rester.

En effet, sans la résidence, les familles iraqiennes présentes en Egypte n’ont accès à rien. Les maris et les jeunes enfants ne peuvent exercer aucun métier, puisqu’ils n’ont pas de permis de travail. Et, rares sont les entreprises qui acceptent de les recruter au noir. Et pour ceux qui arrivent à obtenir la résidence, ils doivent payer des sommes exorbitantes pour inscrire leurs enfants dans des écoles ou universités.

Voir l’avenir ailleurs

Résultat : une situation d’instabilité et d’incertitude. Ce qui a le plus aggravé la situation, c’est que la plupart de ces familles ont tout laissé derrière elles en Iraq et n’ont donc aucune ressource. Farah est une jeune Iraqienne mariée depuis quelques mois seulement. Elle nous parle de son appartement à Bagdad avec nostalgie. « J’ai aménagé chaque coin avec passion. Malgré la guerre, je me disais que mon avenir et celui de mes enfants devaient être dans notre pays natal et que le cauchemar de la guerre ne sera qu’un mauvais souvenir. Je trouvais odieux le fait de quitter mon pays à une période aussi critique. J’avais toujours en tête que l’Iraq aurait besoin de nous après la guerre pour sa reconstruction », dit la jeune femme. Un espoir qui s’est envolé le jour où la jeune Farah a perdu toute sa famille lors d’un bombardement. A ce moment-là, Farah réalisa que l’avenir était ailleurs.

« Je n’ai pas osé vendre mon appartement. J’ai laissé ma maison et tous mes biens et j’ai fui avec seulement une petite valise contenant tous nos papiers », raconte-t-elle avec amertume.

Arrivée au Caire avec son mari, tout leur paraît flou. Lui, qui travaille comme professeur de musique dans une école primaire, ne sait quoi faire dans un pays qu’il connaît à peine. « Nous n’avons pas de capital sur lequel nous pouvons compter ou avec lequel nous pouvons monter un projet. Nous subsistons grâce aux aides mensuelles que nous recevons de ma famille, toujours installée en Iraq », confie le mari. Ce dernier a tout de même appris qu’il avait droit à deux ans de résidence s’il poursuivait ses études de musique au Caire. Il a donc présenté ses papiers à l’Institut de musique pour étudier le oud. Deux ans d’études qui vont coûter 900 dollars à ce jeune Iraqien. Une somme qu’il considère modeste puisqu’elle va lui permettre de passer encore deux années, à l’abri de la mort.

Réseau de solidarité

Dans la ville du 6 Octobre, un grand rassemblement de familles iraqiennes s’est formé. Ici, les prix abordables des logements les ont encouragés à acheter ou louer des appartements. Ils se connaissent tous, échangent des nouvelles, et créent des réseaux de solidarité et d’entraide. Il suffit qu’une famille iraqienne arrive pour que les compatriotes la prennent en charge. Nourriture, visites, conseils, et même aide financière en attendant qu’elle s’adapte à la nouvelle situation. Khaïriya, la quarantaine, est cinéaste. Elle est parmi ceux qui ont quitté l’Iraq ces derniers mois pour s’installer en Egypte. Elle se considère plus ou moins chanceuse, puisqu’elle a eu les moyens de s’offrir un appartement et une petite voiture. Ses nombreux voyages en Egypte lui ont permis de tisser des liens d’amitié avec des Egyptiens bien placés. Aujourd’hui, son cercle de connaissance est son seul atout. Elle en profite pour aider les jeunes Iraqiens qui arrivent en Egypte et ont besoin d’être pris en charge. Cette femme militante n’a jamais pensé quitter un jour son pays natal. « Quatre jours avant de partir d’Iraq, j’ai appris que mon nom figurait parmi la liste de personnes menacées de mort par les groupes terroristes. Cette liste regroupe tous les intellectuels et artistes iraqiens. Je n’étais pas prête à payer de ma vie, prix de l’ignorance de ces criminels. Je voulais une mort plus décente, plus digne et non pas une mort cruelle et sans aucun sens », explique Khaïriya. Ses derniers jours passés en Iraq sont restés gravés dans sa mémoire. « Si je suis restée quatre jours supplémentaires, c’est bien à cause de ma fille qui devait passer son examen final pour obtenir son diplôme d’ingénieur en informatique. Ce fut une course contre la montre. Je vivais dans un état d’hystérie et craignais de perdre un être cher. J’appelais des dizaines de fois ma fille sur son portable pour m’assurer qu’elle était arrivée saine et sauve à l’université. Ma vie était un enchaînement de moments d’angoisse et de peur. Nos saluts quotidiens n’étaient plus un simple bonjour ou bonsoir mais on se souhaitait plutôt un bon retour. Comment pouvoir continuer à vivre dans un pays où l’on assassine des jeunes, des enfants, l’avenir ? », confie-t-elle. Face à une telle terreur, elle ne pouvait que partir en quête d’une vie plus sûre, plus sereine. Refusant de baisser les bras, elle tente, à l’aide de sa caméra, de lutter contre cette injustice dont est victime son pays. Avant de partir, elle a tourné dans les rues de Bagdad captant avec sa caméra toutes les scènes d’humiliation que subissent quotidiennement les citoyens iraqiens. Et elle saisit toute opportunité pour montrer ces images. En Egypte, elle n’a pas oublié sa cause. Elle prépare un documentaire sur les Iraqiens en exil. Sa cest celle de tous les Iraqiens qui considèrent que leur séjour en dehors de l’Iraq n’est que temporaire, une période transitoire qui prendra fin un jour ou l’autre. « Je suis convaincue que dans un ou deux ans, la vie en Iraq reprendra son cours normal et que j’y retournerai pour marier mes filles », dit Oum Racha d’un ton empreint d’optimisme. Son patriotisme l’empêche d’envisager des projets en dehors de son pays natal. Elle a tout fait pour que son séjour en Egypte ne soit pas définitif. Elle a refusé d’inscrire ses trois filles à l’université égyptienne et a déposé une demande pour reporter d’un an leur examen à l’université iraqienne. Son mari qui travaille dans une société de construction a refusé de quitter l’Iraq. Il leur rend visite tous les deux mois. Dans l’appartement qu’elle a loué à Mohandessine, tout a été conçu pour qu’elle ne se sente pas dépaysée. Elle accueille quotidiennement ses amies iraqiennes, prépare des plats traditionnels, suit les nouvelles de son pays sur les chaînes satellites et entame des discussions sur un sujet qui lui tient à cœur, sa patrie. Quant à ses filles, elles voient les choses différemment. Pour elles, le retour en Iraq c’est un retour à la terreur. Pour la jeune génération, l’Iraq c’est le pays qui les a vues naître et auquel elles s’identifient, mais n’ont aucune intention d’y passer le reste de leur vie.

Amira Doss

 

 




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