Al-Ahram Hebdo,Société | « Je peux rêver à demain »
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 25 au 31 octobre 2006, numéro 633

 

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Société

Nationalité. Depuis 2004, les enfants de mère égyptienne et de père étranger peuvent obtenir la nationalité égyptienne. Portraits de personnes qui ont vu leur vie se transformer.

« Je peux rêver à demain »

« L’université a toujours été un rêve inaccessible. Aujourd’hui, je me prends à rêver de stéthoscope et de médecine, un métier qui m’a toujours fasciné. Pour nous, Palestiniens, la décision de donner la nationalité aux enfants de mère égyptienne et de père palestinien est d’une grande importance. Nous avons enfin le sentiment d’être considérés comme des êtres humains que l’on respecte. Depuis une cinquantaine d’années, les réfugiés vivent dans l’espoir du retour. Pourtant, personne ne sait quand ce conflit se terminera vraiment. Mais en attendant ce jour, il est important d’offrir à la cinquième génération une vie plus décente, d’autant plus que cela ne touchera en rien à l’identité palestinienne puisque ces enfants bénéficieront de la double nationalité », dit Boraiq avec enthousiasme, jeune Palestinien dont la famille vit en Egypte depuis la guerre de 1948. Ce jeune Palestinien issu d’une famille pauvre n’osait plus aspirer à trouver une place dans une faculté prestigieuse, puisqu’il devait payer une somme de 3 000 livres sterling pour rejoindre une faculté scientifique ou 2 000 pour une faculté théorique. Malgré son intelligence et sa bonne volonté, sa famille n’a guère voulu nourrir ses ambitions par crainte qu’il ne vive une déception, car elle ne pouvait guère subvenir aux frais universitaires. Aujourd’hui, Boraiq, grâce à sa nationalité égyptienne, est en faculté de médecine. Dans quelques années, il pourra réaliser son rêve de devenir chirurgien et même d’exercer dans un des hôpitaux égyptiens. « Ma vie a complètement changé. Je peux rêver à demain sans angoisse ni peur », se réjouit Boraiq.

Une loi tant attendue

Boraiq n’est qu’un parmi des milliers d’enfants, fruits d’un mariage mixte, qui ont pu récemment obtenir la nationalité égyptienne. La loi sur la nationalité promulguée en juillet 2004 était censée mettre fin à la détresse d’environ un million de personnes de mère égyptienne et de père étranger ne bénéficiant pas de la nationalité égyptienne. Pourtant, en 7 mois d’application du texte, seules 510 personnes ont obtenu la nationalité, selon les statistiques du ministère de l’Intérieur (80 Soudanais, 62 Syriens, 45 Jordaniens, 24 Yéménites, 60 Libyens, 50 Libanais, 54 Iraqiens, 66 Britanniques, 44 Canadiens et 25 Pakistanais).

Le décret présidentiel permettant d’octroyer la nationalité aux enfants des Egyptiennes excluait ceux dont le père était palestinien pour des raisons politiques liées à la cause palestinienne. Une situation qui a vite changé. La modification de la loi sur la nationalité a eu lieu et mis ainsi fin aux souffrances de quelque 300 000 femmes égyptiennes mariées à des Palestiniens. Ces femmes pourront désormais transmettre et sans aucune condition leur nationalité à leurs enfants. L’Egypte compte 120 000 réfugiés palestiniens. Environ 86 % de ces Palestiniens font partie de la population active, mais 22 % seulement ont un revenu effectif. 78 % d’entre eux vivent dans un état de pauvreté, selon les statistiques du Centre des recherches palestiniennes. Aujourd’hui, deux années après la promulgation de cette loi, beaucoup de personnes ont vu leur vie se transformer et tous leurs problèmes se régler. Gihane, 34 ans, Syrienne de mère égyptienne, n’a pas pu être cadrée à la télévision ou la radio parce qu’elle n’avait pas la nationalité égyptienne. Aujourd’hui, elle aura enfin le droit au travail. Son père syrien et sa mère égyptienne se sont mariés dans les années 1960 croyant fermement aux slogans d’unité arabe de l’époque. Ce n’est qu’avec l’échec de cette union que les problèmes allaient commencer.

Pour Weam, 30 ans, Palestinienne dont la famille vit en Egypte depuis 1948, la nationalité lui a permis de se marier avec son prince charmant. « Je n’ai compris réellement que je n’étais pas égyptienne que lorsque je suis tombée amoureuse de mon voisin, officier dans l’armée. Et ce, car un officier dans l’armée égyptienne n’a pas le droit, selon la loi, d’épouser une étrangère. Pour moi, l’obtention de la nationalité égyptienne a été la sortie de cette impasse. La seule solution qui pouvait sauver la plus belle histoire d’amour, qui a duré plus de 8 ans, car mon fiancé n’avait que deux choix : sacrifier notre union ou bien présenter sa démission. La deuxième solution était presque impossible ».

Un sentiment de sécurité

Cependant, les acquis obtenus par cette loi varient selon la nationalité d’origine. Si pour certains il s’agit d’une question de convenance, pour d’autres, obtenir la nationalité égyptienne est une question de vie ou de mort. Yasmine, 28 ans, s’est mariée il y a

six ans avec un réfugié iraqien lorsque l’Iraq était encore sous embargo. Elle partageait une vie calme avec son mari. Mais une fois le régime de Saddam renversé, son mari regagne son pays pour visiter ses parents qu’il n’avait pas vus depuis longtemps. Il ne revint plus. Plus tard, elle apprend qu’il a été arrêté par les Américains. Mère d’un enfant de deux ans, elle avoue que la nationalité égyptienne que son fils a obtenue sans le moindre problème l’a quasiment sauvée. Aujourd’hui, elle a pu trouver une deuxième patrie où son fils peut grandir paisiblement. « Les conditions actuelles en Iraq sont lamentables et la situation ne cesse de se détériorer. Comment élever un enfant dans un pays qui fait plus de 100 morts par jour ? », explique-t-elle.

Pour d’autres, la double nationalité est une sorte de protection. Riham, une Libyenne de 28 ans, assure que « personne ne peut prédire aujourd’hui les complots de la politique internationale. Hier, la Libye était un ennemi de la société internationale. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Demain, l’Egypte risque aussi d’être victime de cette politique. Une double nationalité signifie que l’on peut éventuellement trouver un refuge dans les moments difficiles. Car ce sont souvent les civils impuissants qui se trouvent involontairement sous le feu. Et ce sont eux qui payent le prix de l’embargo, de la guerre et des politiques », souligne Riham.

La situation n’est pas pareille également pour les Egyptiens d’origine occidentale. Dahlia, 31 ans, de mère égyptienne et de père belge, estime qu’elle n’a recours à son passeport égyptien que pour régler des problèmes internes comme les hôpitaux, la résidence dans les hôtels ou les visites des sites touristiques où les Egyptiens payent beaucoup moins cher que les étrangers. Mais elle assure que dans les aéroports égyptiens, elle utilise souvent son passeport belge car l’entrée, l’accueil et le traitement des Européens est parfois meilleur que pour ses concitoyens. Elle estime qu’un Européen semble avoir une immunité en Egypte. Elle-même ne tardera pas à abuser de ce passeport étranger. Etant journaliste, sa nationalité belge la protège parfois en cas de manifestations ou de troubles.

Le niveau économique et social des individus détermine également à quel point la nationalité égyptienne peut faire la différence. Adel, fils d’une mère égyptienne et d’un père soudanais, estime que la loi n’avait pas une grande importance pour lui. Issu d’une famille riche et prestigieuse, doté d’un poste qui lui assure une résidence et un permis de travail, il semble ne pas trop se préoccuper de sa nationalité égyptienne. Ses relations et son pouvoir économique lui ouvrent toutes les portes fermées et lui évitent tous les petits soucis du quotidien auxquels peut faire face un étranger en Egypte. Il assure qu’il n’a jamais fait la queue au Mogammaa pour renouveler sa résidence. Même la bureaucratie ne l’effraye pas, puisqu’il trouve toujours un moyen de la contourner. « Pour moi, c’est l’argent qui compte. Ce sont ma patrie et la carapace qui me protègent. Une preuve. Le milliardaire Mohamad Al-Fayed arrive aujourd’hui à vivre comme un roi en Angleterre, bien qu’il ne possède pas la nationalité britannique. C’est l’argent qui détermine la patrie », conclut-il .

Dina Darwich

 

« Vers une philosophie
moins machiste »

Hafez Abou-Seada, membre du Conseil national des droits de l’homme et président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, met l’accent sur l’importance de changer la philosophie qui gère les lois égyptiennes.

Al-Ahram Hebdo : Peut-on dire que la loi sur la nationalité garantissant aux enfants de mère égyptienne la nationalité constitue un vrai pas en avant sur le chemin des droits de l’homme en Egypte ?

Hafez Abou-Seada : Bien sûr que oui. Depuis le début des années 1990, le trio : la société civile, les activistes dans le domaine de la femme et certains médias se sont rendu compte que l’ancienne loi sur la nationalité comprenait une discrimination flagrante entre les deux sexes. Et ce, alors que la Constitution égyptienne et les conventions internationales ratifiées par l’Egypte prônent l’égalité des sexes. Ce trio a donc mené une lutte acharnée pour octroyer ce droit aux enfants de mères égyptiennes d’autant plus que beaucoup d’entre eux se voyaient dépourvus de leurs droits les plus élémentaires, à savoir l’accès à l’éducation, au traitement et à l’emploi. Le Conseil de la femme a également soutenu la société civile dans sa bataille qui a donné naissance à cette loi.

— Le Conseil national des droits de l’homme avait-il un rôle dans cette bataille ?

— La promulgation de la loi, qui s’avère le pas le plus important, a eu lieu avant la fondation du conseil. Personnellement, j’ai participé à cette bataille mais à travers l’Organisation égyptienne des droits de l’homme. Le conseil a pu jouer un rôle en ce qui concerne l’application de la loi en comblant certaines lacunes. Par exemple, la loi ne prévoyait pas de donner la nationalité aux enfants de l’Egyptienne mariée à un Palestinien pour des raisons politiques liées à la cause palestinienne. Le Conseil des droits de l’homme a fait pression pour que les enfants de père palestinien et de mère égyptienne puissent avoir accès à ce droit.

— Mais il existe encore des lacunes puisque les étrangères qui épousent des Egyptiens peuvent obtenir la nationalité mais pas les étrangers mariés à des Egyptiennes ...

— Bien sûr, c’est une discrimination claire, surtout que la Constitution exige que les deux parties aient les mêmes droits de citoyenneté. Peut-être les dimensions humaines ne sont pas les mêmes comme c’était le cas pour les enfants. Mais c’est certainement un droit à la fois constitutionnel et juridique. Et c’est une des lacunes de la loi sur la nationalité que le Conseil essaie de régler.

— Bien que le gouvernement semble parfois montrer de bonnes intentions à l’égard du respect des droits de l’homme, les réformes ne sont souvent pas à la hauteur et les lois sont parfois déficientes ...

— Il est vrai que l’Egypte a changé de loi mais jusqu’à présent, on n’a pas pu changer la philosophie sur laquelle est basée celle-ci. En Egypte, ainsi que dans les pays arabes, c’est le droit du sang qui prime et pas le droit du sol. Et le problème reste que le droit du sang est lié à l’homme. C’est lui qui a le droit de transmettre sa nationalité à tout le monde alors que la femme n’est que le récepteur.

Il est temps donc de changer cette vision machiste de la société, car il s’agit de droits de citoyenneté. Mais le fait qui aggrave la situation est que les juristes ne semblent pas apprécier les modifications sur le droit de la nationalité pour plusieurs raisons, comme le problème démographique ou les conditions socioéconomiques.

Propos recueillis par D. D.

 




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