«
L’université a toujours été un rêve inaccessible. Aujourd’hui,
je me prends à rêver de stéthoscope et de médecine, un métier
qui m’a toujours fasciné. Pour nous, Palestiniens, la décision
de donner la nationalité aux enfants de mère égyptienne et de
père palestinien est d’une grande importance. Nous avons enfin
le sentiment d’être considérés comme des êtres humains que l’on
respecte. Depuis une cinquantaine d’années, les réfugiés vivent
dans l’espoir du retour. Pourtant, personne ne sait quand ce
conflit se terminera vraiment. Mais en attendant ce jour, il est
important d’offrir à la cinquième génération une vie plus
décente, d’autant plus que cela ne touchera en rien à l’identité
palestinienne puisque ces enfants bénéficieront de la double
nationalité », dit Boraiq avec enthousiasme, jeune Palestinien
dont la famille vit en Egypte depuis la guerre de 1948. Ce jeune
Palestinien issu d’une famille pauvre n’osait plus aspirer à
trouver une place dans une faculté prestigieuse, puisqu’il
devait payer une somme de 3 000 livres sterling pour rejoindre
une faculté scientifique ou 2 000 pour une faculté théorique.
Malgré son intelligence et sa bonne volonté, sa famille n’a
guère voulu nourrir ses ambitions par crainte qu’il ne vive une
déception, car elle ne pouvait guère subvenir aux frais
universitaires. Aujourd’hui, Boraiq, grâce à sa nationalité
égyptienne, est en faculté de médecine. Dans quelques années, il
pourra réaliser son rêve de devenir chirurgien et même d’exercer
dans un des hôpitaux égyptiens. « Ma vie a complètement changé.
Je peux rêver à demain sans angoisse ni peur », se réjouit
Boraiq.
Une loi tant attendue
Boraiq
n’est qu’un parmi des milliers d’enfants, fruits d’un mariage
mixte, qui ont pu récemment obtenir la nationalité égyptienne.
La loi sur la nationalité promulguée en juillet 2004 était
censée mettre fin à la détresse d’environ un million de
personnes de mère égyptienne et de père étranger ne bénéficiant
pas de la nationalité égyptienne. Pourtant, en 7 mois
d’application du texte, seules 510 personnes ont obtenu la
nationalité, selon les statistiques du ministère de l’Intérieur
(80 Soudanais, 62 Syriens, 45 Jordaniens, 24 Yéménites, 60
Libyens, 50 Libanais, 54 Iraqiens, 66 Britanniques, 44 Canadiens
et 25 Pakistanais).
Le décret présidentiel permettant d’octroyer
la nationalité aux enfants des Egyptiennes excluait ceux dont le
père était palestinien pour des raisons politiques liées à la
cause palestinienne. Une situation qui a vite changé. La
modification de la loi sur la nationalité a eu lieu et mis ainsi
fin aux souffrances de quelque 300 000 femmes égyptiennes
mariées à des Palestiniens. Ces femmes pourront désormais
transmettre et sans aucune condition leur nationalité à leurs
enfants. L’Egypte compte 120 000 réfugiés palestiniens. Environ
86 % de ces Palestiniens font partie de la population active,
mais 22 % seulement ont un revenu effectif. 78 % d’entre eux
vivent dans un état de pauvreté, selon les statistiques du
Centre des recherches palestiniennes. Aujourd’hui, deux années
après la promulgation de cette loi, beaucoup de personnes ont vu
leur vie se transformer et tous leurs problèmes se régler.
Gihane, 34 ans, Syrienne de mère égyptienne, n’a pas pu être
cadrée à la télévision ou la radio parce qu’elle n’avait pas la
nationalité égyptienne. Aujourd’hui, elle aura enfin le droit au
travail. Son père syrien et sa mère égyptienne se sont mariés
dans les années 1960 croyant fermement aux slogans d’unité arabe
de l’époque. Ce n’est qu’avec l’échec de cette union que les
problèmes allaient commencer.
Pour Weam, 30 ans, Palestinienne dont la
famille vit en Egypte depuis 1948, la nationalité lui a permis
de se marier avec son prince charmant. « Je n’ai compris
réellement que je n’étais pas égyptienne que lorsque je suis
tombée amoureuse de mon voisin, officier dans l’armée. Et ce,
car un officier dans l’armée égyptienne n’a pas le droit, selon
la loi, d’épouser une étrangère. Pour moi, l’obtention de la
nationalité égyptienne a été la sortie de cette impasse. La
seule solution qui pouvait sauver la plus belle histoire
d’amour, qui a duré plus de 8 ans, car mon fiancé n’avait que
deux choix : sacrifier notre union ou bien présenter sa
démission. La deuxième solution était presque impossible ».
Un sentiment de sécurité
Cependant,
les acquis obtenus par cette loi varient selon la nationalité
d’origine. Si pour certains il s’agit d’une question de
convenance, pour d’autres, obtenir la nationalité égyptienne est
une question de vie ou de mort. Yasmine, 28 ans, s’est mariée il
y a
six ans avec un réfugié iraqien lorsque
l’Iraq était encore sous embargo. Elle partageait une vie calme
avec son mari. Mais une fois le régime de Saddam renversé, son
mari regagne son pays pour visiter ses parents qu’il n’avait pas
vus depuis longtemps. Il ne revint plus. Plus tard, elle apprend
qu’il a été arrêté par les Américains. Mère d’un enfant de deux
ans, elle avoue que la nationalité égyptienne que son fils a
obtenue sans le moindre problème l’a quasiment sauvée.
Aujourd’hui, elle a pu trouver une deuxième patrie où son fils
peut grandir paisiblement. « Les conditions actuelles en Iraq
sont lamentables et la situation ne cesse de se détériorer.
Comment élever un enfant dans un pays qui fait plus de 100 morts
par jour ? », explique-t-elle.
Pour d’autres, la double nationalité est une
sorte de protection. Riham, une Libyenne de 28 ans, assure que «
personne ne peut prédire aujourd’hui les complots de la
politique internationale. Hier, la Libye était un ennemi de la
société internationale. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Demain,
l’Egypte risque aussi d’être victime de cette politique. Une
double nationalité signifie que l’on peut éventuellement trouver
un refuge dans les moments difficiles. Car ce sont souvent les
civils impuissants qui se trouvent involontairement sous le feu.
Et ce sont eux qui payent le prix de l’embargo, de la guerre et
des politiques », souligne Riham.
La situation n’est pas pareille également
pour les Egyptiens d’origine occidentale. Dahlia, 31 ans, de
mère égyptienne et de père belge, estime qu’elle n’a recours à
son passeport égyptien que pour régler des problèmes internes
comme les hôpitaux, la résidence dans les hôtels ou les visites
des sites touristiques où les Egyptiens payent beaucoup moins
cher que les étrangers. Mais elle assure que dans les aéroports
égyptiens, elle utilise souvent son passeport belge car l’entrée,
l’accueil et le traitement des Européens est parfois meilleur
que pour ses concitoyens. Elle estime qu’un Européen semble
avoir une immunité en Egypte. Elle-même ne tardera pas à abuser
de ce passeport étranger. Etant journaliste, sa nationalité
belge la protège parfois en cas de manifestations ou de
troubles.
Le niveau économique et social des individus
détermine également à quel point la nationalité égyptienne peut
faire la différence. Adel, fils d’une mère égyptienne et d’un
père soudanais, estime que la loi n’avait pas une grande
importance pour lui. Issu d’une famille riche et prestigieuse,
doté d’un poste qui lui assure une résidence et un permis de
travail, il semble ne pas trop se préoccuper de sa nationalité
égyptienne. Ses relations et son pouvoir économique lui ouvrent
toutes les portes fermées et lui évitent tous les petits soucis
du quotidien auxquels peut faire face un étranger en Egypte. Il
assure qu’il n’a jamais fait la queue au Mogammaa pour
renouveler sa résidence. Même la bureaucratie ne l’effraye pas,
puisqu’il trouve toujours un moyen de la contourner. « Pour moi,
c’est l’argent qui compte. Ce sont ma patrie et la carapace qui
me protègent. Une preuve. Le milliardaire Mohamad Al-Fayed
arrive aujourd’hui à vivre comme un roi en Angleterre, bien
qu’il ne possède pas la nationalité britannique. C’est l’argent
qui détermine la patrie », conclut-il .
Dina Darwich