Collées sur les murs, accrochées sur des
stands, dans les rues, les moyens de transport, sur les façades
et les toits d’immeubles, les affiches de cinéma sont partout
autour de nous à capter nos regards pour nous annoncer la sortie
d’un nouveau film.
Autrefois, on ne pouvait imaginer un film
sans l’affiche comme support publicitaire. L’écrivain Mahmoud
Qassem (lire page 27, Livres) l’explique : « Ce n’est pas un
rapport artistique issu du visuel qui caractérise les deux et
cette imagerie des stars qu’elles véhiculent, mais c’est aussi
un rapport commercial. Le film est un produit commercial et les
affiches sont un outil publicitaire qui, grâce à l’image et un
titre, doit attirer le spectateur d’un seul regard ». Et selon
les lois du marché, cette industrie des affiches a témoigné
d’une évolution énorme avec le temps sans se déparer cependant
de son caractère principal d’art figuratif et direct, donnant à
rêver au passant pour l’inciter à hanter les salles obscures et
contempler ses stars favorites, comme dans un rêve. Cela
s’applique plus évidemment au premier âge du cinéma et jusqu’aux
années 1970. Le créateur d’affiches était le plus souvent un
artisan de grand talent capable de restituer l’image des
vedettes et leurs gestes dans le film.
Aujourd’hui, à l’heure de l’ordinateur, où
sont-ils ces promoteurs du rêve ? Il faut beaucoup marcher, dans
les petites ruelles du centre-ville, se renseigner dans les
cafés ou dans les magasins pour réussir à trouver les petits
ateliers où se concoctent ces affiches.
Un nom célèbre : Zeinhom. Son officine
regorgeait de monde et d’action. Les commandes à exécuter et
toute une atmosphère de vivacité. Aujourd’hui, c’est le calme
qui règne. Il est clair que le chômage bat son plein et que
l’âge d’or des affiches artisanales est bel et bien de
l’histoire ancienne. Zeinhom est tout aussi désolé que ces
nostalgiques ne peuvent pas oublier que ce sont ces affiches qui
ont contribué au lancement des stars de l’époque. Fathi, fin
cinquantaine, habitant le quartier de Sayeda Zeinab, se souvient
que les affiches avaient un tel pouvoir d’attraction, qu’il
faisait parfois l’école buissonnière pour assister aux séances
du matin dans les cinémas de quartier.
Zeinhom, lui, qui s’acharne à continuer à
vivre de ce métier relève : « C’est clair que nous vivons une
époque qui n’est pas la nôtre. La technologie nous a détruits et
notre art est tombé dans l’oubli ». Il parle en connaissance de
cause. Il a eu son heure de gloire, il signait ses affiches et
posait son nom près des stars du film. Depuis la fin des années
1990, sa place est à l’ombre. Zeinhom ne peut pas oublier
l’époque où dans son atelier, les affiches étaient dessinées à
la main, les artistes qui conjuguaient la ponctualité du pinceau
et la spontanéité populaire en même temps créaient des chefs-d’œuvre.
Le temps de l’ordinateur
L’invasion des affiches modernes réalisées
sur ordinateur, qui dicte sa loi aujourd’hui sur le marché, n’a
laissé aucune place aux anciens fabricants. Ce ne sont que les
petits cinémas de quartiers, à budget limité, qui ornent leurs
façades d’affiches « à l’ancienne », donnant cependant à ces
salles plus ou moins délabrées une belle allure rétro.
Que peut faire alors Zeinhom pour boucler ses
fins de mois ? Dessiner les portraits de candidats pendant les
élections législatives et autres ? Le député du quartier
pourra-t-il remplacer un Rouchdi Abaza ou un Omar Sharif ?
Zeinhom n’est évidemment pas convaincu. Il refuse cette réalité
et continue de dessiner les affiches à l’ancienne. Il le fait
pour décorer des restaurants ou pour ajouter une touche rétro
aux coulisses de plateaux.
Les murs de l’atelier, cachés derrière des
taches de couleurs et d’affiches variées, témoignent de l’ancien
âge d’or. « C’était le premier contact du spectateur avec le
film, il fallait donc impressionner. Ainsi, c’est la fonction de
l’affiche de présenter une idée résumée du contenu du film, le
nom du réalisateur, mais c’est toujours l’image du héros qui
doit dominer, puisque les gens vont au cinéma pour voir leurs
stars », ajoute Zeinhom.
Zeinhom, qui exerce ce métier depuis les
années 1950, à l’image de tous ceux qui travaillent dans ce
domaine, n’a pas fait d’études d’art. Il compte uniquement sur
son talent et son expérience. Il se rappelle qu’avant les
affiches, tout a commencé par de petites annonces que des agents
de publicité distribuaient aux passants dans la rue. Tout a
évolué pour arriver aux imprimantes, celles de la génération
Zeinhom et aux ordinateurs. « Aujourd’hui, on est dans l’impasse,
il nous est impossible de faire face à la nouvelle technologie.
L’ordinateur possède des capacités sans limites. Mes collègues
et moi, nous avons tiré notre révérence face aux machines »,
dit-il, assis sur le café à côté de l’atelier en attendant un
quelconque travail.
Le reflet de la société
Qu’elles soient dessinées à la main ou de
manière primitive ou imprimées ou créées sur ordinateur, les
affiches possèdent une valeur et une influence qui n’ont jamais
été touchées. Au contraire, ce genre de publicité acquiert de
plus en plus de pouvoir, et de plus en plus les affiches
envahissent les rues à des endroits stratégiques, très bien
choisis pour ne pas prendre le risque de ne pas être bien
remarquées, surtout qu’elles sont devenues de dimensions
immenses. Mais ce qui leur fait défaut, c’est une certaine
touche artistique. D’une certaine manière, elles se ressemblent
toutes.
De toute façon, elles sont le miroir de la
société. Elles reflètent le mode de vie et les convictions des
gens. « Depuis toujours, l’image du héros représente celle de la
société. Lorsque la star Ahmad Zaki a paru sur l’affiche de son
film Kaboria dans les années 1980, avec une coiffure étrange qui
portait le même nom, on a trouvé toutes les têtes des jeunes
rasées à la Kaboria. Et ce n’est pas un phénomène, mais dans le
temps aussi, les jeunes ressemblaient à leur fameux chanteur
Abdel-Halim avec toute sa douceur », explique Qassem.
Il ajoute qu’en jetant un simple coup d’œil
sur les affiches de l’époque et celles d’aujourd’hui, la
différence est flagrante. Autrefois, la tenue distinguée des
héros sur l’affiche portant des vêtements classiques reflétait
la culture européenne alors dominante, tandis que le changement
de culture et le déclin du goût paraissent aussi clairement sur
les affiches plus récentes.
On peut lire l’histoire de l’Egypte à travers
ces affiches. Selon Mahmoud Qassem, avant les années 1970, c’est
le romantisme qui dominait. Les affiches sentaient l’eau de
rose, où les visages de héros amoureux envahissaient les rues du
Caire.
Dans les années 1970 et 80, l’air était
plutôt à la réalité. Les fusils ont remplacé les regards
langoureux des belles stars du cinéma. « C’était le langage de
l’époque, celui de la violence et du matérialisme », commente
Qassem qui poursuit que le cinéma et ses affiches, à cette
époque, étaient très influencés par le cinéma américain qui
misait sur l’action. Une autre influence était celle du courant
islamique, venu des pays du Golfe, et voulait imposer une
censure sur les affiches. Toute partie dénudée de comédienne
était recouverte de boue par ses militants.
Vers la moitié des années 1980, la société
avait encore changé, le public semblait très intéressé par la
superstition, et les affiches en sont bien les preuves. Fond
sombre, visages effrayés, main de Fatma, djinns, etc. sans
oublier le rouge sang, tous les éléments étaient regroupés pour
inviter les spectateurs à un film diabolique.
Les affiches qui sont apparues lors de la
Révolution de 1952 et des guerres qui ont suivi étaient très
militaristes. Ainsi, héros, uniforme militaire, étoile, force et
amour faisaient-ils la une des affiches. Ces dernières ont aussi
très bien représenté la femme paysanne qui avait une grande
importance dans les années avant et après la révolution. Alors
on apercevait des héroïnes, comme Faten Hamama et Loubna
Abdel-Aziz, portant la djellaba le voile d’une paysanne au
milieu d’une affiche avec pour arrière-plan des champs et de la
verdure.
« De temps en temps, les stylistes des
affiches sortent du commun pour présenter sur l’affiche tous les
comédiens qui ont participé au film, surtout lorsqu’ils sont
nombreux, sans se soucier du contenu. Une manière de montrer un
casting à ne pas rater. A l’affiche du film Al-Aar dans les
années 1980, et celle du film Omaret Yacoubian en 2006 », ce
sont les acteurs qui étaient à l’affiche, explique Qassem.
Chérif Gamil, responsable de publicité,
explique que faire des affiches qui attirent est de plus en plus
difficile, car les gens n’ont plus de temps à perdre. Ils sont
stressés et ne vont pas s’attarder sur une affiche pour la
comprendre. Il faut donc aller vers eux, et capter leur
attention en un rien de seconde. « Du jamais vu surtout », dit
Gamil, en donnant l’exemple de l’affiche du film Katkout (poussin).
Celle-ci n’est pas parue en une seule fois. Au départ, une série
d’affiches blanches envahissaient les rues du Caire, suivies
d’autres affiches avec un œuf cassé d’où sort la tête déformée
du comédien qui prend la forme d’un poussin, Katkout, le titre
du film.
L’affiche évolue et change, mais n’est guère
ignorée. Elle crée aussi une sorte de concurrence chez les
comédiens qui veulent être mis en valeur de par leur nom et la
grandeur de leur portrait. Un conflit classique chez les
comédiens, qui se termine malheureusement parfois en procès.
Hanaa Al-Mekkawi