Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Les faiseurs de rêves
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 Semaine du 25 au 31 octobre 2006, numéro 633

 

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Nulle part ailleurs
Affiches de cinéma . œuvres artisanales au départ, pleines de charme et de spontanéité, elles obéissent aujourd’hui à la loi de l’ordinateur avec un certain uniformisme. Etat des lieux.

Les faiseurs de rêves

Collées sur les murs, accrochées sur des stands, dans les rues, les moyens de transport, sur les façades et les toits d’immeubles, les affiches de cinéma sont partout autour de nous à capter nos regards pour nous annoncer la sortie d’un nouveau film.

Autrefois, on ne pouvait imaginer un film sans l’affiche comme support publicitaire. L’écrivain Mahmoud Qassem (lire page 27, Livres) l’explique : « Ce n’est pas un rapport artistique issu du visuel qui caractérise les deux et cette imagerie des stars qu’elles véhiculent, mais c’est aussi un rapport commercial. Le film est un produit commercial et les affiches sont un outil publicitaire qui, grâce à l’image et un titre, doit attirer le spectateur d’un seul regard ». Et selon les lois du marché, cette industrie des affiches a témoigné d’une évolution énorme avec le temps sans se déparer cependant de son caractère principal d’art figuratif et direct, donnant à rêver au passant pour l’inciter à hanter les salles obscures et contempler ses stars favorites, comme dans un rêve. Cela s’applique plus évidemment au premier âge du cinéma et jusqu’aux années 1970. Le créateur d’affiches était le plus souvent un artisan de grand talent capable de restituer l’image des vedettes et leurs gestes dans le film.

Aujourd’hui, à l’heure de l’ordinateur, où sont-ils ces promoteurs du rêve ? Il faut beaucoup marcher, dans les petites ruelles du centre-ville, se renseigner dans les cafés ou dans les magasins pour réussir à trouver les petits ateliers où se concoctent ces affiches.

Un nom célèbre : Zeinhom. Son officine regorgeait de monde et d’action. Les commandes à exécuter et toute une atmosphère de vivacité. Aujourd’hui, c’est le calme qui règne. Il est clair que le chômage bat son plein et que l’âge d’or des affiches artisanales est bel et bien de l’histoire ancienne. Zeinhom est tout aussi désolé que ces nostalgiques ne peuvent pas oublier que ce sont ces affiches qui ont contribué au lancement des stars de l’époque. Fathi, fin cinquantaine, habitant le quartier de Sayeda Zeinab, se souvient que les affiches avaient un tel pouvoir d’attraction, qu’il faisait parfois l’école buissonnière pour assister aux séances du matin dans les cinémas de quartier.

Zeinhom, lui, qui s’acharne à continuer à vivre de ce métier relève : « C’est clair que nous vivons une époque qui n’est pas la nôtre. La technologie nous a détruits et notre art est tombé dans l’oubli ». Il parle en connaissance de cause. Il a eu son heure de gloire, il signait ses affiches et posait son nom près des stars du film. Depuis la fin des années 1990, sa place est à l’ombre. Zeinhom ne peut pas oublier l’époque où dans son atelier, les affiches étaient dessinées à la main, les artistes qui conjuguaient la ponctualité du pinceau et la spontanéité populaire en même temps créaient des chefs-d’œuvre.

Le temps de l’ordinateur

L’invasion des affiches modernes réalisées sur ordinateur, qui dicte sa loi aujourd’hui sur le marché, n’a laissé aucune place aux anciens fabricants. Ce ne sont que les petits cinémas de quartiers, à budget limité, qui ornent leurs façades d’affiches « à l’ancienne », donnant cependant à ces salles plus ou moins délabrées une belle allure rétro.

Que peut faire alors Zeinhom pour boucler ses fins de mois ? Dessiner les portraits de candidats pendant les élections législatives et autres ? Le député du quartier pourra-t-il remplacer un Rouchdi Abaza ou un Omar Sharif ? Zeinhom n’est évidemment pas convaincu. Il refuse cette réalité et continue de dessiner les affiches à l’ancienne. Il le fait pour décorer des restaurants ou pour ajouter une touche rétro aux coulisses de plateaux.

Les murs de l’atelier, cachés derrière des taches de couleurs et d’affiches variées, témoignent de l’ancien âge d’or. « C’était le premier contact du spectateur avec le film, il fallait donc impressionner. Ainsi, c’est la fonction de l’affiche de présenter une idée résumée du contenu du film, le nom du réalisateur, mais c’est toujours l’image du héros qui doit dominer, puisque les gens vont au cinéma pour voir leurs stars », ajoute Zeinhom.

Zeinhom, qui exerce ce métier depuis les années 1950, à l’image de tous ceux qui travaillent dans ce domaine, n’a pas fait d’études d’art. Il compte uniquement sur son talent et son expérience. Il se rappelle qu’avant les affiches, tout a commencé par de petites annonces que des agents de publicité distribuaient aux passants dans la rue. Tout a évolué pour arriver aux imprimantes, celles de la génération Zeinhom et aux ordinateurs. « Aujourd’hui, on est dans l’impasse, il nous est impossible de faire face à la nouvelle technologie. L’ordinateur possède des capacités sans limites. Mes collègues et moi, nous avons tiré notre révérence face aux machines », dit-il, assis sur le café à côté de l’atelier en attendant un quelconque travail.

Le reflet de la société

Qu’elles soient dessinées à la main ou de manière primitive ou imprimées ou créées sur ordinateur, les affiches possèdent une valeur et une influence qui n’ont jamais été touchées. Au contraire, ce genre de publicité acquiert de plus en plus de pouvoir, et de plus en plus les affiches envahissent les rues à des endroits stratégiques, très bien choisis pour ne pas prendre le risque de ne pas être bien remarquées, surtout qu’elles sont devenues de dimensions immenses. Mais ce qui leur fait défaut, c’est une certaine touche artistique. D’une certaine manière, elles se ressemblent toutes.

De toute façon, elles sont le miroir de la société. Elles reflètent le mode de vie et les convictions des gens. « Depuis toujours, l’image du héros représente celle de la société. Lorsque la star Ahmad Zaki a paru sur l’affiche de son film Kaboria dans les années 1980, avec une coiffure étrange qui portait le même nom, on a trouvé toutes les têtes des jeunes rasées à la Kaboria. Et ce n’est pas un phénomène, mais dans le temps aussi, les jeunes ressemblaient à leur fameux chanteur Abdel-Halim avec toute sa douceur », explique Qassem.

Il ajoute qu’en jetant un simple coup d’œil sur les affiches de l’époque et celles d’aujourd’hui, la différence est flagrante. Autrefois, la tenue distinguée des héros sur l’affiche portant des vêtements classiques reflétait la culture européenne alors dominante, tandis que le changement de culture et le déclin du goût paraissent aussi clairement sur les affiches plus récentes.

On peut lire l’histoire de l’Egypte à travers ces affiches. Selon Mahmoud Qassem, avant les années 1970, c’est le romantisme qui dominait. Les affiches sentaient l’eau de rose, où les visages de héros amoureux envahissaient les rues du Caire.

Dans les années 1970 et 80, l’air était plutôt à la réalité. Les fusils ont remplacé les regards langoureux des belles stars du cinéma. « C’était le langage de l’époque, celui de la violence et du matérialisme », commente Qassem qui poursuit que le cinéma et ses affiches, à cette époque, étaient très influencés par le cinéma américain qui misait sur l’action. Une autre influence était celle du courant islamique, venu des pays du Golfe, et voulait imposer une censure sur les affiches. Toute partie dénudée de comédienne était recouverte de boue par ses militants.

Vers la moitié des années 1980, la société avait encore changé, le public semblait très intéressé par la superstition, et les affiches en sont bien les preuves. Fond sombre, visages effrayés, main de Fatma, djinns, etc. sans oublier le rouge sang, tous les éléments étaient regroupés pour inviter les spectateurs à un film diabolique.

Les affiches qui sont apparues lors de la Révolution de 1952 et des guerres qui ont suivi étaient très militaristes. Ainsi, héros, uniforme militaire, étoile, force et amour faisaient-ils la une des affiches. Ces dernières ont aussi très bien représenté la femme paysanne qui avait une grande importance dans les années avant et après la révolution. Alors on apercevait des héroïnes, comme Faten Hamama et Loubna Abdel-Aziz, portant la djellaba le voile d’une paysanne au milieu d’une affiche avec pour arrière-plan des champs et de la verdure.

« De temps en temps, les stylistes des affiches sortent du commun pour présenter sur l’affiche tous les comédiens qui ont participé au film, surtout lorsqu’ils sont nombreux, sans se soucier du contenu. Une manière de montrer un casting à ne pas rater. A l’affiche du film Al-Aar dans les années 1980, et celle du film Omaret Yacoubian en 2006 », ce sont les acteurs qui étaient à l’affiche, explique Qassem.

Chérif Gamil, responsable de publicité, explique que faire des affiches qui attirent est de plus en plus difficile, car les gens n’ont plus de temps à perdre. Ils sont stressés et ne vont pas s’attarder sur une affiche pour la comprendre. Il faut donc aller vers eux, et capter leur attention en un rien de seconde. « Du jamais vu surtout », dit Gamil, en donnant l’exemple de l’affiche du film Katkout (poussin). Celle-ci n’est pas parue en une seule fois. Au départ, une série d’affiches blanches envahissaient les rues du Caire, suivies d’autres affiches avec un œuf cassé d’où sort la tête déformée du comédien qui prend la forme d’un poussin, Katkout, le titre du film.

L’affiche évolue et change, mais n’est guère ignorée. Elle crée aussi une sorte de concurrence chez les comédiens qui veulent être mis en valeur de par leur nom et la grandeur de leur portrait. Un conflit classique chez les comédiens, qui se termine malheureusement parfois en procès.

Hanaa Al-Mekkawi

 




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