« Quand on reçoit un invité de marque, on le
fait toujours de la manière la plus convenable qui soit, avec
les règles de bienséance que cela exige. Que serait-ce alors, si
cet hôte illustre était le Ramadan ? Nous devrions l’accueillir
de la meilleure façon, comme le plus noble de tous les nobles.
Comment ? En purifiant les lieux et les cœurs par le repentir,
l’humilité, la tolérance, la charité et la réconciliation, loin
de toute rancune, jalousie, vanité ou mensonge ». Une véritable
ligne de conduite tracée par l’imam pour ce mois de jeûne et de
piété. En ce qui le concerne, ce sont des principes de vie,
qu’il applique à la lettre. Au grand bonheur de tout son
entourage.
Le cheikh Chaabane est connu de tous dans la
rue Chérif, au centre-ville du Caire. Une histoire vieille d’un
quart de siècle le lie à cette rue. C’est même un amour
réciproque qui mûrit de jour en jour, autant avec les musulmans
que les chrétiens. Ce sont les commerçants qui lui sont le plus
proches et le plus fidèles, notamment à la mosquée qu’il dirige
au 23, rue Chérif. « Rien d’étonnant à cela, il est l’imam de la
mosquée de ce quartier, qui présente la singularité d’être une
rue très commerçante », atteste Magdi Sayed, propriétaire d’une
entreprise de cuir, Magra Al-Nil, située dans cette rue.
Leur cheikh Chaabane se distingue de plus des
autres imams alentour par un fait : il est aimé de tous. « Homme
religieux par excellence, cheikh Chaabane est également une
personne aimable et aimée de tous », confirme Mamdouh Sayed,
propriétaire d’un magasin de sacs et chaussures à la rue Chérif.
Et Taher, son employé, de renchérir : « C’est en premier lieu un
homme de religion, bon et qui aime le monde et le bien des
hommes. C’est une personnalité qui a du cœur, fidèle, qui ne
connaît pas d’ennemi ». N’est-il pas porteur du Coran, du «
Livre de Dieu » ? rajoutent-ils.
De taille moyenne, vêtu inlassablement de sa
longue tunique blanche ou bleue toujours immaculée, avec la emma
(turban) sur la tête, et portant des sandales plates et
reposantes pour remédier à ses maux de jambes, il marche le long
de la rue Chérif, saluant de part et d’autre les nombreuses
personnes qu’il croise. Aux petits, comme Abdallah, 12 ans, qui
travaille dans les alentours, il offre un bonbon, ses poches en
sont d’ailleurs toujours pleines à leur intention. Et aux grands,
il prêche la bonne parole, douce et réconfortante, avec ce
sourire timide et charismatique qui le caractérise. « Une figure
rayonnante de foi divine », remarque Magdi Sayed.
La mosquée qu’il dirige depuis 1982 en tant
qu’imam et prédicateur, d’une superficie de 400 m2, est la
propriété d’Al-Gamïya al-charïya lil améline li ehyaa al-sunna,
une association à but non lucratif. « En 1982, ce n’était qu’une
sorte de garage abandonné, raconte l’imam. Aujourd’hui, elle est
rénovée, équipée. Le sol a été recouvert d’une belle moquette,
un don du feu psychiatre le Dr Adel Sadeq, autrefois un fidèle
de la mosquée ». Une sensation de quiétude et de sérénité
envahit à l’entrée, et le lieu frappe aussi par sa netteté. Un
coin bibliothèque est composé de toutes sortes de manuels
religieux mis à la disposition des quêteurs de connaissances
théologiques. L’entretien des lieux est « assuré par des hommes
de bonne volonté, tels mes amis les Sayed et bien d’autres
bénévoles qui offrent leurs services dans la joie. Chacun selon
ses moyens, chacun à sa manière », dit-il.
L’important, à ses yeux, est de servir tous
les fidèles venus faire leurs ablutions et leurs prières ou tout
simplement se désaltérer. Mais sa porte est ouverte à toutes les
religions. « Un modèle unique de tolérance pour cet homme
respectable, simple et d’une politesse rare », témoigne Maurice
Fahmi, propriétaire de l’établissement d’articles ménagers
Robert House, avant d’ajouter : « Cheikh Chaabane est toujours
présent quand il le faut et là où il faut, partageant nos joies
et nos peines. Je n’oublierai jamais sa visite de condoléances
lors du décès de ma mère. Ses paroles réconfortantes mettent du
baume au cœur, un modèle de tolérance ». Rapports de bon
voisinage, serait-on tenté de dire ? « A coup sûr, tranche le
cheikh. Cela n’est il pas partie des recommandations du prophète
Mohamad ? », fait-il remarquer.
Au-delà, sur le dialogue des religions, il
est catégorique : « A vous votre religion ; à moi, ma religion
». Et de poursuivre : « Je suis pour la non-ingérence dans les
affaires des autres religions. Nous les respectons toutes, ainsi
que tous les prophètes, et aux autres de nous rendre la pareille
».
Ce sont ces qualités qui le distinguent.
C’est en quelque sorte un homme du peuple, mais hors du commun.
Il n’est porteur d’aucun titre officiel, d’aucune distinction ou
honorification particulière. Pourtant, il porte tous les
honneurs qu’il mérite. Tout simplement grâce à son amour des
petites gens.
Né dans le quartier de Wayli en 1937, le
cheikh Chaabane a vécu dans l’ambiance chaleureuse de sa famille,
pauvre, mais riche de sa foi. Il a fait ses études dans le
kottab (école coranique) de son oncle paternel à Wayli, là où il
vit toujours. Tout petit, à cinq ans, il travaille déjà pour
aider ses parents. « J’ai exercé tous les métiers : tisserand à
l’usine des Choucha avant sa nationalisation, devenue
Misr-Hélouan, puis électricien, bref de petits boulots pour
aider mes parents qui étaient pauvres ».
Sa voie, il l’a tracée tout seul. Il est
d’ailleurs fier d’avoir travaillé et poursuivi en même temps ses
études théologiques à l’Institut de l’imamat, à la rue Al-Galaa,
toujours dans le centre-ville du Caire. « Je suis un combattant
depuis mon jeune âge », dit le cheikh avec un léger sourire.
C’est aussi très jeune, à 18 ans, qu’il s’est marié. Aujourd’hui
il est père de douze enfants : neuf filles et trois garçons.
Tous sortis d’Al-Azhar et toutes les filles vite mariées. « Je
voulais qu’elles soient casées, chacune avec son mari et ses
enfants ». Précepte religieux ? Peut-être. En tout cas, pour le
cheikh Chaabane, il n’y a qu’une définition de l’islam : «
Al-Islam howa al-salam, (l’islam est la paix) ». Donc, il n’y a
aucune place pour les fondamentalistes et autres terroristes. «
Ce ne sont pas des musulmans, ils ont transgressé la loi divine
et le Coran, dit-il d’un ton ferme, car l’adoration consiste à
obéir à Dieu, durant le Ramadan plus que les autres jours ».
Cette année, la maladie l’a obligé à être alité pendant trois
longs mois. Aujourd’hui, il est remis comme il s’en remet
toujours à Dieu dans sa vie simple mais rayonnante de joie, de
contentement et d’amour de son prochain .
Mireille Bouabjian