Al-Ahram Hebdo,Société | Plus vrai que nature
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 11 au 18 octobre 2006, numéro 631

 

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Société

Contrefaçon . Logos semblables, noms de marques similaires ou franchement identiques, ce marché du faux est omniprésent dans les rues du Caire et les fraudeurs ne manquent pas d’imagination et de ruses.

Plus vrai que nature

Adidos, Buma, Niko, Enzo, Temberland, Gop. En cuir, en carton, en tissu ... des étiquettes ornent, par dizaines, les murs de l’atelier comme autant de trophées baptisés. Un atelier, exigu, composé de deux petites pièces au sous-sol dans un quartier populaire. Le va-et-vient est incessant. Un personnel très efficace, agile et rapide s’agite dans tous les sens. Les ouvriers travaillent d’arrache-pied autour de machines pourtant ultraperfectionnées qui tissent, brodent et cisèlent des motifs plus ou moins complexes. « Nous en fabriquons 300 000 par an pour près de 500 clients différents. Nous avons mis du temps à gagner la confiance de notre clientèle. Aujourd’hui, nous avons réussi le pari et notre chiffre d’affaires ne cesse d’augmenter », explique Fouad Karim, propriétaire d’une fabrique de griffes.

Une dizaine de manœuvres sont parfois nécessaires pour produire une petite étiquette cousue sur la manche d’un tee-shirt ou la poche d’un jean ! Pour réduire au maximum les délais, les équipes tournent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Car le petit Baïram est proche et la saison promet d’être fructueuse. « Chaque jour, nous tentons d’accélérer la cadence », précise-t-il. Ce dernier vient de recevoir une commande urgente de Diesel : 11 000 étiquettes à produire en deux jours. D’après lui, la clef du succès de cet atelier tient en un mot : la précision et le sens de l’observation. Et Pour rester performant, le propriétaire n’a cessé d’investir dans de nouveaux équipements et d’améliorer ses techniques de fabrication. « Nous avons même recruté trois infographistes afin de confectionner des griffes authentiques », note-t-il non sans fierté. Un travail à la chaîne très organisé car une fois fabriquées, ces griffes seront livrées à d’autres ateliers pour être appliquées sur les vêtements.

L’exemple de Hamed, propriétaire d’un atelier de prêt-à-porter et qui imite minutieusement les tee-shirts de marque, est patent. Avant de se lancer dans ce commerce illicite, il a fait une étude du marché pour connaître les articles qui se vendent le mieux. Il a constaté que seuls les produits de marque ou importés s’écoulaient rapidement sur le marché. Avec un ami, il a loué un petit bureau, acheté un ordinateur, une imprimante et un scanner. « Comme la marque est l’élément qui fait le succès d’un produit, j’ai opté pour deux d’entre elles, à savoir les plus prestigieuses : Adidas et Nike », explique-t-il. Et pour imiter parfaitement les modèles en vogue, il claque quelques sous pour acheter un ou deux modèles originaux. « Il m’a suffi de changer une des lettres de l’appellation de la marque et la coller sur le vêtement confectionné par mon atelier. Et pour éviter les problèmes avec la justice, je prends soin de mettre ma propre étiquette tout en ajoutant une griffe de marque sur l’arrière de la ceinture d’un jean, la manche ou la pochette d’une chemise », se justifie Hamed qui confie non seulement avoir aidé quelques chômeurs à gagner leur pain, mais aussi à satisfaire une importante partie de sa clientèle. « Au départ, je livrais ma marchandise à des marchands ambulants dans les quartiers populaires. Aujourd’hui, j’ai ouvert un grand magasin et j’ai réussi à gagner une bonne réputation », se vante-t-il. Samah est l’une de ses clientes. Elle tient à acheter à ses enfants des tee-shirts à la mode. « Cela fait deux ans que je fais mon shopping ici, mes petits enfants adorent la marque, mais sont encore trop jeunes pour réaliser la différence entre Adidas ou Adidos, Nike ou Niko. Pour moi, l’important est que l’article soit une imitation parfaite du vrai », confie-t-elle.

En effet, Hamed n’est pas le seul à frauder pour se faire du gain. Une profusion de marchandises présentées comme étant importées, étalées un peu partout à travers les marchés, laisse perplexe devant l’ampleur de la fraude, des imitations et de la contrefaçon. Non seulement des vêtements, mais aussi des accessoires, des aliments, des articles médicaux, des produits de toilettes, du textile aux appareils électriques et électroménagers, etc. Bref, divers produits « Made in », mais confectionnés dans des ateliers chez nous pour une clientèle qui achète, les yeux fermés, tout ce qui est Made « n’importe où » sauf « in Egypt ».

Selon les responsables de l’Union de la Chambre de commerce, le commerce informel représente 37 % du mouvement commercial du marché. Un taux qui révèle que le phénomène de la contrefaçon ne cesse de prendre de l’ampleur en Egypte. « La mondialisation, le volume des échanges, la crise économique et la hausse des prix ont poussé les citoyens à chercher les prix les plus bas. Ajoutez à cela le manque de contrôle de l’Association de protection du consommateur », explique le sociologue Ahmad Al-Magdoub.

 

A chacun sa ruse

Et si Hamed a choisi de changer une des lettres des grandes marques, d’autres ont poussé plus loin en confectionnant des articles tout en se servant d’un label prestigieux. Un commerce en pleine prospérité et les clients, au lieu de se payer un vrai au prix fort, se rabattent sur un faux qui a la même apparence.

Réfaat livre des vêtements copies conformes aux originaux avec aussi les étiquettes qui portent les noms des marques. « Je ne trompe pas le client. Le prix est là pour le prouver. Un tee-shirt Burberry’s ne coûte pas 50 L.E., même s’il est acheté en stock », affirme Réfaat, propriétaire d’un magasin de prêt-à-porter et accessoires dans le quartier de Madinet Nasr. De cette boutique vient de sortir une jeune fille très à la mode tenant deux sachets remplis de vêtements. Elle vient de s’offrir des jeans, tee-shirts et sacs signés Gap, Tommy et même Burberry’s pour 450 L.E.

Or, si le seul indicateur de la contrefaçon pour les clients reste le prix pratiqué, d’autres vendeurs, plus malhonnêtes, écoulent leurs marchandises avec une légère différence de prix. Rami possède un appareil pour graphisme ultramoderne pour imiter des modèles. « Seul le client le plus avisé peut s’en rendre compte », dit-il. Une qualité qui, souvent, laisse à désirer car ce n’est qu’au lavage que l’on peut s’en apercevoir. Rami a acheté des chaussures de sport Puma et un pantalon Levis. « Après un match de football, les chaussures se sont déchirées et le pantalon a déteint au premier lavage. J’ai payé 150 L.E. pour un pantalon qui ne vaut rien et 500 L.E. pour ces chaussures, alors qu’ils avaient tout l’air d’être de véritables marques ».

D’autres commerçants ont opté pour une autre astuce. Ils prennent contact avec des fournisseurs qui leur livrent des catalogues et copient le modèle de sacs qu’ils veulent reproduire.

Les plus honnêtes d’entre eux préfèrent faire le voyage en Chine pour avoir de meilleurs produits ou articles imités. « Dans la contrefaçon, il y a aussi des avantages. Je ne tiens pas à acheter la plus mauvaise des imitations pour ne pas perdre mes clients. Même la Chine, qui détient la palme de la contrefaçon à l’échelle planétaire, s’acharne à nous livrer les rebuts de la contrefaçon, alors que pour les pays européens, elle fait plus attention », souligne un commerçant tout en ajoutant qu’il est plus facile de rouler les femmes.

Selon lui, l’idée de la contrefaçon consiste essentiellement à faire des bénéfices. « L’imitateur peut fabriquer un produit identique à l’original pour peu que le client accepte de l’acheter ». Aujourd’hui, la réussite est telle que l’expérience a fait un effet boule de neige, et les boutiques se sont répandues partout. En se lançant dans ce business, certains commerçants ont bouleversé les critères du marché. Ainsi, les produits portant de griffes de hautes marques ne sont plus hors de portée. Par ailleurs, en plus de la contrefaçon faite dans les ateliers, il y a une méthode plus simple. Importer des produits imités. De cette manière, des vêtements fabriqués en Chine sont vendus comme étant Made in Turkey, ce pays ayant la réputation de produire des articles de qualité. Et, ils s’écoulent normalement comme des petits pains. Un rasoir électrique imitation Braun proposé à pas moins de 150 L.E. ne fonctionne plus à la deuxième utilisation, un vélo qui se casse dès les premiers kilomètres, une poupée qui dégage une mauvaise odeur … Selon un responsable au ministère de l’Industrie et du Commerce, au cours de l’année 2005, des dizaines de milliers d’articles ont été saisis par la douane, principalement des pièces détachées, des produits cosmétiques, des vêtements et des montres fabriqués frauduleusement en Chine.

 

Un fléau qui touche tous les secteurs

Et même les produits cosmétiques et les parfums n’ont pas échappé à la contrefaçon. Aujourd’hui, selon les chiffres du département des produits cosmétiques au ministère de la Santé, le marché égyptien compte environ 150 marques de faux parfums. De plus, il existe actuellement plus de 65 usines qui fabriquent ces parfums. Mais ce chiffre ne reflète qu’une partie de la réalité vu que beaucoup de parfumeries préparent des produits qui ne sont pas soumis à l’approbation des services concernés. Sans oublier les petites fabriques de parfums qui prolifèrent aujourd’hui dans le sous-sol. Dans son échoppe située dans un centre commercial, Ali, qui a réussi à imiter toutes sortes de parfums en vogue, a chargé un jeune garçon de récupérer les bouteilles vides des poubelles des quartiers huppés, Gaultier, Christian Dior, Week-end et Givenchy. Et avec des essences achetées au Khan avec des fragrances de ces parfums, il utilise des astuces pour réaliser un maximum de gains en employant de l’alcool mauvais comme le méthyle au lieu de l’éthyle, plus cher et de meilleure qualité, pour fabriquer ses parfums. Et pour prouver qu’il n’est pas en train de duper son client, il n’hésite pas à lui donner quelques conseils pour reconnaître le bon parfum du mauvais. « Il suffit de secouer le flacon. Si des bulles se forment et montent à la surface, cela signifie que le parfum n’est pas de bonne qualité », explique-t-il à une cliente.

D’autres commerçants peu scrupuleux ont osé imiter les produits alimentaires et même des articles médicaux. Pour eux, c’est la même activité qu’elle soit alimentaire ou vestimentaire même s’ils savent qu’ils peuvent mettre en danger la santé du consommateur. Un propriétaire d’une usine de fromage n’a pas hésité à mélanger de la formaline avec du lait pour fabriquer son fromage. Et pour l’écouler, il colle une étiquette d’une autre marque connue. Un autre a fabriqué une grande quantité de Viagra qui ne correspond pas aux normes médicales. L’Association de protection du consommateur qui, en principe, est censée protéger les citoyens de toute fraude, ne joue pas véritablement son rôle afin de mettre en garde les consommateurs. Un drame est arrivé : une jeune adolescente, à peine âgée de 15 ans, a perdu partiellement sa chevelure suite à l’usage d’un shampooing d’une marque connue.

Aux termes du certificat médical dont elle détient une copie, la victime a subi « une transformation spectaculaire des cheveux devenus comme du crin, presque brûlés ». Sa mère, qui s’est présentée à la police dans un état de désarroi, a remis au commissaire le flacon de shampooing en question et un « paquet » de cheveux que sa jeune fille a perdus en utilisant ce produit nocif, ressemblant dans sa composition à de la colle. Outrée, la maman de la jeune fille veut tirer la sonnette d’alarme « pour que cela n’arrive pas à d’autres », nous dit-elle. Vouloir acheter pas cher, c’est aussi courir un risque relatif à la qualité du produit. Cependant, avec ce royaume de contrefaçon, des campagnes publicitaires sont lancées récemment dans la presse par des opérateurs qui tiennent à défendre leurs produits contre cette dangereuse fraude. Bavaria, l’entreprise d’extincteurs, prévient sa clientèle quant à l’apparition actuellement sur le marché d’extincteurs qui n’ont aucune relation avec sa production. Ces derniers sont remplis de substances utilisées dans la peinture du bâtiment, sorte de produit moussant aidant à éteindre le feu. L’entreprise Bavaria dégage toute sa responsabilité quant à sa fiabilité. Or, si cette entreprise de renom a découvert ce produit frauduleux qui porte son nom et a réussi à faire le nécessaire pour alerter l’opinion publique et saisir la justice, d’autres ne parviennent pas à en faire autant pour protéger leurs produits. Il y aura toujours des dérapages tant que la loi stipule que la contrefaçon n’est qu’un simple délit.

Et en attendant d’éventuelles mesures de lutte contre ce fléau, les consommateurs continuent d’être arnaqués .

Chahinaz Gheith

 

L’arbre qui cache la forêt

Les derniers chiffres officiels révèlent que les produits contrefaits et commercialisés sur le marché égyptien représentent 75 % des vêtements et chaussures, 43 % des montres, 38 % des produits cosmétiques, 22 % des appareils électroménagers, 14 % des pièces de rechange, 11 % des produits alimentaires, 12 % des jouets et 5 % des articles médicaux. Bref, la contrefaçon a touché presque tous les produits. Il ne passe pas un jour sans qu’il n’y ait de grosses saisies. Des dizaines de cas d’empoisonnement sont enregistrés quotidiennement suite à un tel trafic. Des chiffres qui ne révèlent pas toute la réalité du fléau vu qu’il existe encore des produits fabriqués par les petits ateliers dans le sous-sol et qui échappent au contrôle de la police. Selon le ministère de l’Approvisionnement, au cours des trois derniers mois, 17 743,3 produits alimentaires non conformes ont été saisis ainsi que 29 581,8 et divers produits de contrefaçon. Une mafia qui ne recule devant rien et continue de s’enrichir en dépit de la santé des citoyens .

 

 

 

 




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