Contrefaçon .
Logos semblables, noms de marques similaires ou franchement
identiques, ce marché du faux est omniprésent dans les rues du
Caire et les fraudeurs ne manquent pas d’imagination et de
ruses.
Plus vrai que nature
Adidos,
Buma, Niko,
Enzo, Temberland,
Gop. En cuir, en carton, en tissu
... des étiquettes ornent, par dizaines, les murs de l’atelier
comme autant de trophées baptisés. Un atelier, exigu, composé
de deux petites pièces au sous-sol dans un quartier populaire.
Le va-et-vient est incessant. Un personnel très efficace,
agile et rapide s’agite dans tous les sens. Les ouvriers
travaillent d’arrache-pied autour de machines pourtant
ultraperfectionnées qui tissent,
brodent et cisèlent des motifs plus ou moins complexes. « Nous
en fabriquons 300 000 par an pour près de 500 clients
différents. Nous avons mis du temps à gagner la confiance de
notre clientèle. Aujourd’hui, nous avons réussi le pari et
notre chiffre d’affaires ne cesse d’augmenter », explique
Fouad Karim, propriétaire d’une fabrique de griffes.
Une dizaine de manœuvres sont parfois nécessaires pour
produire une petite étiquette cousue sur la manche d’un
tee-shirt ou la poche d’un jean ! Pour réduire au maximum les
délais, les équipes tournent vingt-quatre heures sur
vingt-quatre. Car le petit Baïram est proche et la saison
promet d’être fructueuse. « Chaque jour, nous tentons
d’accélérer la cadence », précise-t-il. Ce dernier vient de
recevoir une commande urgente de Diesel : 11 000 étiquettes à
produire en deux jours. D’après lui, la clef du succès de cet
atelier tient en un mot : la précision et le sens de
l’observation. Et Pour rester performant, le propriétaire n’a
cessé d’investir dans de nouveaux équipements et d’améliorer
ses techniques de fabrication. « Nous avons même recruté trois
infographistes afin de confectionner des griffes authentiques
», note-t-il non sans fierté. Un travail
à la chaîne très organisé car une fois fabriquées, ces griffes
seront livrées à d’autres ateliers pour être appliquées sur
les vêtements.
L’exemple
de Hamed, propriétaire d’un
atelier de prêt-à-porter et qui imite minutieusement les
tee-shirts de marque, est patent. Avant de se lancer dans ce
commerce illicite, il a fait une étude du marché pour
connaître les articles qui se vendent le mieux. Il a constaté
que seuls les produits de marque ou importés s’écoulaient
rapidement sur le marché. Avec un ami, il a loué un petit
bureau, acheté un ordinateur, une imprimante et un scanner. «
Comme la marque est l’élément qui fait le succès d’un produit,
j’ai opté pour deux d’entre elles, à savoir les plus
prestigieuses : Adidas et Nike », explique-t-il. Et pour
imiter parfaitement les modèles en vogue, il claque quelques
sous pour acheter un ou deux modèles originaux. « Il m’a suffi
de changer une des lettres de l’appellation de la marque et la
coller sur le vêtement confectionné par mon atelier. Et pour
éviter les problèmes avec la justice, je prends soin de mettre
ma propre étiquette tout en ajoutant une griffe de marque sur
l’arrière de la ceinture d’un jean, la manche ou la pochette
d’une chemise », se justifie Hamed
qui confie non seulement avoir aidé quelques chômeurs à gagner
leur pain, mais aussi à satisfaire une importante partie de sa
clientèle. « Au départ, je livrais ma marchandise à des
marchands ambulants dans les quartiers populaires.
Aujourd’hui, j’ai ouvert un grand magasin et j’ai réussi à
gagner une bonne réputation », se vante-t-il.
Samah est l’une de ses clientes.
Elle tient à acheter à ses enfants des tee-shirts à la mode. «
Cela fait deux ans que je fais mon shopping ici, mes petits
enfants adorent la marque, mais sont encore trop jeunes pour
réaliser la différence entre Adidas ou
Adidos, Nike ou Niko. Pour
moi, l’important est que l’article soit une imitation parfaite
du vrai », confie-t-elle.
En effet, Hamed n’est pas le seul
à frauder pour se faire du gain. Une profusion de marchandises
présentées comme étant importées, étalées un peu partout à
travers les marchés, laisse perplexe devant l’ampleur de la
fraude, des imitations et de la contrefaçon. Non seulement des
vêtements, mais aussi des accessoires, des aliments, des
articles médicaux, des produits de toilettes, du textile aux
appareils électriques et électroménagers, etc. Bref, divers
produits « Made in », mais confectionnés dans des ateliers
chez nous pour une clientèle qui achète, les yeux fermés, tout
ce qui est Made « n’importe où » sauf « in
Egypt ».
Selon les responsables de l’Union de la Chambre de commerce,
le commerce informel représente 37 % du mouvement commercial
du marché. Un taux qui révèle que le phénomène de la
contrefaçon ne cesse de prendre de l’ampleur en Egypte. « La
mondialisation, le volume des échanges, la crise économique et
la hausse des prix ont poussé les citoyens à chercher les prix
les plus bas. Ajoutez à cela le manque de contrôle de
l’Association de protection du consommateur », explique le
sociologue Ahmad Al-Magdoub.
A chacun sa ruse
Et
si Hamed a choisi de changer une
des lettres des grandes marques, d’autres ont poussé plus loin
en confectionnant des articles tout en se servant d’un label
prestigieux. Un commerce en pleine prospérité et les clients,
au lieu de se payer un vrai au prix fort, se rabattent sur un
faux qui a la même apparence.
Réfaat
livre des vêtements copies conformes aux originaux avec aussi
les étiquettes qui portent les noms des marques. « Je ne
trompe pas le client. Le prix est là pour le prouver. Un
tee-shirt Burberry’s ne coûte pas 50 L.E.,
même s’il est acheté en stock », affirme
Réfaat, propriétaire d’un magasin de prêt-à-porter et
accessoires dans le quartier de Madinet
Nasr. De cette boutique vient de
sortir une jeune fille très à la mode tenant deux sachets
remplis de vêtements. Elle vient de s’offrir des jeans,
tee-shirts et sacs signés Gap, Tommy et même Burberry’s pour
450 L.E.
Or, si le seul indicateur de la contrefaçon pour les clients
reste le prix pratiqué, d’autres vendeurs, plus malhonnêtes,
écoulent leurs marchandises avec une légère différence de
prix. Rami possède un appareil pour graphisme ultramoderne
pour imiter des modèles. « Seul le client le plus avisé peut
s’en rendre compte », dit-il. Une qualité qui, souvent, laisse
à désirer car ce n’est qu’au lavage que l’on peut s’en
apercevoir. Rami a acheté des chaussures de sport Puma et un
pantalon Levis. « Après un match
de football, les chaussures se sont déchirées et le pantalon a
déteint au premier lavage. J’ai payé 150
L.E. pour un pantalon qui ne vaut rien et 500
L.E. pour ces chaussures, alors
qu’ils avaient tout l’air d’être de véritables marques ».
D’autres commerçants ont opté pour une autre astuce. Ils
prennent contact avec des fournisseurs qui leur livrent des
catalogues et copient le modèle de sacs qu’ils veulent
reproduire.
Les plus honnêtes d’entre eux préfèrent faire le voyage en
Chine pour avoir de meilleurs produits ou articles imités. «
Dans la contrefaçon, il y a aussi des avantages. Je ne tiens
pas à acheter la plus mauvaise des imitations pour ne pas
perdre mes clients. Même la Chine, qui détient la palme de la
contrefaçon à l’échelle planétaire, s’acharne à nous livrer
les rebuts de la contrefaçon, alors que pour les pays
européens, elle fait plus attention », souligne un commerçant
tout en ajoutant qu’il est plus facile de rouler les femmes.
Selon lui, l’idée de la contrefaçon consiste essentiellement à
faire des bénéfices. « L’imitateur peut fabriquer un produit
identique à l’original pour peu que le client accepte de
l’acheter ». Aujourd’hui, la réussite est telle que
l’expérience a fait un effet boule
de neige, et les boutiques se sont répandues partout. En se
lançant dans ce business, certains commerçants ont bouleversé
les critères du marché. Ainsi, les produits portant de griffes
de hautes marques ne sont plus hors de portée. Par ailleurs,
en plus de la contrefaçon faite dans les ateliers, il y a une
méthode plus simple. Importer des produits imités. De cette
manière, des vêtements fabriqués en Chine sont vendus comme
étant Made in Turkey, ce pays
ayant la réputation de produire des articles de qualité. Et,
ils s’écoulent normalement comme des petits pains. Un rasoir
électrique imitation Braun proposé à pas moins de 150
L.E. ne fonctionne plus à la
deuxième utilisation, un vélo qui se casse dès les premiers
kilomètres, une poupée qui dégage une mauvaise odeur … Selon
un responsable au ministère de l’Industrie et du Commerce, au
cours de l’année 2005, des dizaines de milliers d’articles ont
été saisis par la douane, principalement des pièces détachées,
des produits cosmétiques, des vêtements et des montres
fabriqués frauduleusement en Chine.
Un fléau qui touche tous les secteurs
Et même les produits cosmétiques et les parfums n’ont pas
échappé à la contrefaçon. Aujourd’hui, selon les chiffres du
département des produits cosmétiques au ministère de la Santé,
le marché égyptien compte environ 150 marques de faux parfums.
De plus, il existe actuellement plus de 65 usines qui
fabriquent ces parfums. Mais ce chiffre ne reflète qu’une
partie de la réalité vu que beaucoup de parfumeries préparent
des produits qui ne sont pas soumis à l’approbation des
services concernés. Sans oublier les petites fabriques de
parfums qui prolifèrent aujourd’hui dans le sous-sol. Dans son
échoppe située dans un centre commercial, Ali, qui a réussi à
imiter toutes sortes de parfums en vogue, a chargé un jeune
garçon de récupérer les bouteilles vides des poubelles des
quartiers huppés, Gaultier,
Christian Dior, Week-end et Givenchy. Et avec des essences
achetées au Khan avec des fragrances de ces parfums, il
utilise des astuces pour réaliser un maximum de gains en
employant de l’alcool mauvais comme le méthyle au lieu de
l’éthyle, plus cher et de meilleure qualité, pour fabriquer
ses parfums. Et pour prouver qu’il n’est pas en train de duper
son client, il n’hésite pas à lui donner quelques conseils
pour reconnaître le bon parfum du mauvais. « Il suffit de
secouer le flacon. Si des bulles se forment et montent à la
surface, cela signifie que le parfum n’est pas de bonne
qualité », explique-t-il à une cliente.
D’autres commerçants peu scrupuleux ont osé imiter les
produits alimentaires et même des articles médicaux. Pour eux,
c’est la même activité qu’elle soit alimentaire ou
vestimentaire même s’ils savent qu’ils peuvent mettre en
danger la santé du consommateur. Un propriétaire d’une usine
de fromage n’a pas hésité à mélanger de la
formaline avec du lait pour
fabriquer son fromage. Et pour l’écouler, il colle une
étiquette d’une autre marque connue. Un autre a fabriqué une
grande quantité de Viagra qui ne correspond pas aux normes
médicales. L’Association de
protection du consommateur qui, en principe, est censée
protéger les citoyens de toute fraude, ne joue pas
véritablement son rôle afin de mettre en garde les
consommateurs. Un drame est arrivé : une jeune adolescente, à
peine âgée de 15 ans, a perdu partiellement sa chevelure suite
à l’usage d’un shampooing d’une marque connue.
Aux termes du certificat médical dont elle détient une copie,
la victime a subi « une transformation spectaculaire des
cheveux devenus comme du crin, presque brûlés ». Sa mère, qui
s’est présentée à la police dans un état de désarroi, a remis
au commissaire le flacon de shampooing en question et un «
paquet » de cheveux que sa jeune fille a perdus en utilisant
ce produit nocif, ressemblant dans sa composition à de la
colle. Outrée, la maman de la jeune fille veut tirer la
sonnette d’alarme « pour que cela n’arrive pas à d’autres »,
nous dit-elle. Vouloir acheter pas cher, c’est aussi courir un
risque relatif à la qualité du produit. Cependant, avec ce
royaume de contrefaçon, des campagnes publicitaires sont
lancées récemment dans la presse par des opérateurs qui
tiennent à défendre leurs produits contre cette dangereuse
fraude. Bavaria, l’entreprise
d’extincteurs, prévient sa clientèle quant à l’apparition
actuellement sur le marché d’extincteurs qui n’ont aucune
relation avec sa production. Ces derniers sont remplis de
substances utilisées dans la peinture du bâtiment, sorte de
produit moussant aidant à éteindre le feu. L’entreprise
Bavaria dégage toute sa
responsabilité quant à sa fiabilité. Or, si cette entreprise
de renom a découvert ce produit frauduleux qui porte son nom
et a réussi à faire le nécessaire pour alerter l’opinion
publique et saisir la justice, d’autres ne parviennent pas à
en faire autant pour protéger leurs produits. Il y aura
toujours des dérapages tant que la loi stipule que la
contrefaçon n’est qu’un simple délit.
Et en attendant d’éventuelles mesures de lutte contre ce
fléau, les consommateurs continuent d’être
arnaqués .
Chahinaz
Gheith