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Presse.
50 journalistes égyptiens
ont été victimes de violence selon leur syndicat au cours de
l’année passée. Retour. |
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« Alors que je
couvrais les dernières nouvelles des élections à Choubra et
après avoir fait une tournée dans d’autres circonscriptions
des alentours où j’ai pris des photos sur les fraudes électorales,
quatre hommes sont venus m’arrêter », rapporte Asmaa Hériz,
24 ans, journaliste à l’hebdomadaire Al-Karama (la dignité).
Ce jour restera
gravé à jamais dans sa mémoire. « L’un d’eux a mis sa main
sur ma bouche pour m’empêcher de crier ou d’appeler au secours,
les autres m’ont forcée à rentrer dans une voiture et m’ont
emmenée vers une destination inconnue », poursuit Hériz, qui
porte encore quelques cicatrices de cette violence. Une rude
expérience pour cette journaliste qui a du mal à rapporter
les faits. Elle se tait un instant, lâche un soupir puis poursuit
sur un ton ferme reflétant son audace et obstination. « Je
me suis retrouvée dans un bureau sombre où un homme s’est
mis à m’interroger. Il a pris ma caméra et a commencé à voir
les photos. La colère se lisait sur son visage, puis d’un
mouvement violent, il a saisi mon sac, confisqué tous mes
papiers, mes CD et même mon portable. Et lorsque j’ai osé
lui demander où je me trouvais et pourquoi on me traitait
de la sorte, les injures et les coups ont commencé à pleuvoir
», poursuit-elle. Mais Hériz ne baisse pas les bras et se
défend en rendant les coups. Fou de rage, l’homme qui est
un responsable à la Sécurité de l’Etat a tiré un papier de
son bureau et lui a demandé de le signer. « C’était bien sûr
une fausse déclaration et lorsque j’ai refusé d’apposer ma
signature, ils m’ont emmenée dans un corridor obscur où deux
grosses femmes m’attendaient pour me donner une bonne raclée.
De véritables professionnelles qui frappaient fort sans porter
de coups mortels ni laisser de traces sur le corps », précise-t-elle.
Hériz, ex-championne de karaté, a essayé de résister à cette
violence, mais elle a fini par perdre connaissance. En ouvrant
les yeux, elle retrouve ce responsable qui lui signifie qu’avec
cette raclée, il espère lui avoir administré une bonne leçon
et ne plus revoir son nom sur aucun journal. Il lui conseille
même de se marier et de rester à la maison !
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Une année de remous
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L’expérience
vécue par cette jeune journaliste au début de son périple avec
la presse écrite n’est qu’une partie de l’image sombre des événements
qui ont eu lieu au courant de l’année 2005. En fait, l’article
6 de la loi 96 pour l’année 1996 stipule que les journalistes
sont indépendants et ne doivent se soumettre au cours de l’exercice
de leur fonction qu’à la loi. D’ailleurs, l’article 7 de la
même loi assure que les critiques ou informations correctes
publiées par le journaliste ne doivent pas compromettre sa sécurité
et qu’il n’est pas obligé de dévoiler les sources de ses informations
à condition de respecter la loi.
Cependant, selon
les chiffres du Syndicat des journalistes, au cours de l’année
2005, 50 journalistes ont été victimes de violence. On peut
qualifier l’année 2005 comme l’une des plus mauvaises en ce
qui concerne la liberté d’expression en Egypte. « Les rapports
des organisations internationales qui œuvrent dans le domaine
de la liberté d’expression le prouvent. Il suffit de mentionner
par exemple que l’Organisation des Journalistes sans frontières
a enregistré un recul de 11 degrés dans la liberté d’expression
et la montée de la violence contre les journalistes par rapport
aux années précédentes », explique Yéhia Qallach, responsable
au Syndicat des journalistes.
En fait, la rue
égyptienne a connu cette année une période de grande ébullition
: manifestations, contestations, élections présidentielles et
parlementaires. Bref, des développements qui ont fait couler
beaucoup d’encre. « Le problème est qu’il n’y a pas de distinction
entre les membres du jeu politique et le journaliste qui doit
tout simplement être présent au cours des événements car cela
fait partie de son travail », ajoute Qallach. La police qui
est censée protéger le journaliste dans l’exercice de ses fonctions
devient alors un outil d’oppression. « Certains journalistes
exploitent parfois toute infraction pour déformer l’image de
l’Egypte à l’étranger. Cela risque de porter atteinte à la souveraineté
du pays. Notre mission est de veiller à sa stabilité. Ce n’est
pas une mission facile, car on doit gérer 70 millions d’individus
et c’est normal que certaines infractions aient lieu », résume
un officier au ministère de l’Intérieur.
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Un dossier chaud
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Ce qui a poussé
alors le Syndicat des journalistes à ouvrir un dossier pour
protester contre la violence dont ont été victimes les journalistes,
d’autant que deux membres du Conseil du syndicat, Mohamad Abdel-Qouddous
et Gamal Fahmi, en ont subi les conséquences. Neuf plaintes
ont été adressées au procureur général suite aux élections parlementaires
et 11 autres suite aux événements du 25 mai 2005 durant lesquels
la rue égyptienne a connu des manifestations pour protester
contre l’article 76 de la Constitution. De plus, le syndicat
a lancé un appel aux journalistes qui ont subi cette violence
sur le terrain pour rassembler toutes les informations et prendre
les mesures nécessaires. D’ailleurs, l’Organisation égyptienne
des droits de l’homme a préparé à son tour un dossier sur la
violence durant l’année 2005. Actuellement, la liste s’est allongée
de 5 cas dont celui de Nawal Ali, travaillant pour un journal
indépendant. Cette dernière devait suivre un stage au siège
du syndicat et en cours de route elle a été accostée par des
baltaguis du Parti national. Ils l’ont frappée et lui ont déchiré
ses vêtements, alors qu’elle ne faisait pas partie du rassemblement
des journalistes qui s’opposaient à l’article 76 ce jour-là.
D’après un journaliste qui a requis l’anonymat, si l’année 2004
a témoigné du kidnapping de certains journalistes, comme Réda
Hilal et Abdel-Halim Qandil, l’année 2005 s’est caractérisée
par le harcèlement sexuel pour terroriser les femmes. Deux journalistes,
Chaïmaa Aboul-Kheir et Abir Al-Askari, au journal indépendant
Al-Doustour (La Constitution), qui couvraient les manifestations
du mouvement Kéfaya, en connaissent un bout. Chaïmaa assure
que l’officier qui l’a attrapée par les cheveux a donné l’ordre
à des femmes de main de la tabasser et de lui déchirer ses vêtements.«
Elles ont même essayé de m’enlever mon pantalon mais elles ne
sont pas arrivées à le faire », confie Chaïmaa Aboul-Kheir alors
que sa collègue Abir Al-Askari a été victime de harcèlement
sexuel par un groupe de jeunes qui baladaient leurs mains sur
tout son corps. « On a couru pour se réfugier au siège du syndicat
vu que nous étions proches, à la rue de Ramsès. Arrivée là,
je suis tombée et j’ai perdu connaissance. Et lorsque j’ai ouvert
les yeux, mes collègues m’ont aidée à fuir », raconte Aboul-Kheir
qui a enregistré ce témoignage au nouveau de l’Organisation
égyptienne des droits de l’homme afin que celle-ci prenne les
mesures juridiques pour ce genre d’attentat à la pudeur.
Le Syndicat des
journalistes a organisé, durant le dernier mois de l’année passée,
une journée de solidarité avec les journalistes qui ont été
victimes de la violence. Et pour être plus pratique dans une
telle ambiance électrique où l’accès à une information ou un
renseignement s’avère un risque, d’autres mesures ont été prises.
« Un journaliste doit posséder la force d’un cow-boy pour résister
à une telle violence », lance Amr, un autre journaliste de 40
ans, une autre victime.
Raison pour laquelle
le Syndicat des journalistes est en train de préparer un stage
en collaboration avec les organisations internationales ayant
pour but de donner aux journalistes qui se trouvent souvent
sur des terrains à hauts risques les moyens pour assurer leur
protection, protéger leurs matériels et fuir les sources de
menaces en cas de danger .
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Dina Darwich |
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