Addis-Abeba,De
nos envoyés spéciaux —
Al-Ahram
Hebdo : Des divergences apparaissent de temps à autre entre
l’Egypte et l’Ethiopie concernant le partage des eaux du Nil.
Qu’en est-il réellement ?
Kinfe
Abraham : Ce sont des polémiques médiatiques qui ne sont
pas nouvelles. Elles surgissent de temps en temps délibérément,
mais elles ne peuvent pas nuire aux relations bilatérales.
Car il existe des relations assez anciennes et profondes entre
les deux peuples égyptien et éthiopien depuis l’époque de
l’empereur éthiopien Hailé Sélassié et le président égyptien
Gamal Abdel-Nasser. Des relations qui ont continué également
sous le règne du président Moubarak.
Mais
je trouve indispensable d’ouvrir des négociations et des concertations
entre les pays du bassin du Nil et de réévaluer les anciens
accords internationaux, afin de discuter des possibilités
de coopération et de développement pour le profit et l’intérêt
de tous. En ce qui concerne l’Ethiopie, on ne peut pas nier
notre besoin d’avoir plus d’eau, vu les conditions environnementales
que subit notre pays ainsi que la croissance démographique
qui donne lieu à de nouveaux besoins. Nous respectons tous
le fait que les eaux du Nil est une question d’une importance
vitale pour l’Egypte, mais si l’Egypte et le Soudan parviennent
à un accord avec l’Ethiopie et l’aident à réaliser son développement
dans le domaine de l’agriculture en optimisant la gestion
de l’eau, ceci sera bénéfique. Il faut encourager les nouveaux
projets qui cherchent à profiter de chaque goutte d’eau du
Nil.
—
Mais l’IBN, qui regroupe les dix pays riverains, a justement
pour but de relancer la coopération entre ses pays membres
pour mieux gérer et développer les ressources du fleuve, tout
en maintenant les accords existants sur le partage de ses
eaux. Comment jugez-vous l’action de cette initiative ?
—
L’Initiative du bassin du Nil n’est, à mon avis, que le début,
et nous devons nous en servir pour rouvrir tous les dossiers
et pour participer à de nouveaux projets de nature à activer
cette initiative. Or, on aspire à voir une coopération entre
l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie, à titre d’exemple, pour
construire des barrages qui servent à produire de l’énergie
et de l’électricité pour ces pays. C’est seulement à travers
ce genre de projets que se réaliseront la coopération et l’intégration
entre les pays du bassin. Il ne faut pas travailler tout seul.
C’est une richesse qu’on doit conserver et gérer ensemble
afin d’en profiter au maximum.
—
Qu’en est-il de la coopération économique entre l’Egypte et
l’Ethiopie, d’autant plus que les deux pays sont membres du
Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA)
?
—
A vrai dire, nombreux sont les domaines d’investissement possible
entre l’Egypte et l’Ethiopie : économie, commerce, agriculture,
métallurgie. Car l’Ethiopie est riche en ressources naturelles.
Pour sa part, le gouvernement éthiopien fait de son mieux
pour encourager les investisseurs, surtout égyptiens, en leur
fournissant des conditions et un cadre légal adéquats. Sans
oublier l’accueil d’experts égyptiens dans les domaines de
l’irrigation et de la santé. Cependant, je trouve nécessaire
de consolider les liens médiatiques et sociaux entre les deux
peuples, afin de renforcer les relations diplomatiques entre
les deux pays.
—
Plusieurs pays africains, dont l’Egypte, aspirent à occuper
l’un des deux sièges permanents, dans le cadre de la réforme
et de l’élargissement du Conseil de sécurité de l’Onu. Comment
évaluez-vous les chances de l’Egypte d’avoir un siège permanent
? Et quelle est la position de l’Ethiopie ?
—
Je pense que ces deux sièges au sein du Conseil de sécurité
de l’Onu peuvent sans doute renforcer la présence africaine
sur la scène internationale et son droit à participer à la
politique internationale, et nous inviter certes à renforcer
notre Union africaine. Quant à la chance de l’Egypte, je pense
qu’elle peut avoir un grand appui africain et surtout éthiopien
en tant que l’un des quatre Etats africains prétendants, avec
la Libye, le Nigeria et l’Afrique du Sud. Mais, je crois que
l’Egypte a de grandes chances d’obtenir l’un de ces deux sièges,
vu sa position stratégique qui l’aide à être le lien entre
les pays africains et le Moyen-Orient, en plus de son rôle
politique bien important sur les deux plans arabe et africain,
ce qui double sa force régionale et internationale.
—
La tension persiste entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Ce qui
risque de créer une instabilité dans la région stratégique
de la Corne de l’Afrique. Comment y mettre fin ?
—
Le conflit actuel entre l’Ethiopie et l’Erythrée est un conflit
frontalier. Le comité frontalier, qui était responsable de
trancher ce problème, a négligé les documents officiels que
l’Ethiopie lui a avancés et a commis beaucoup d’erreurs, ce
qui a accentué la tension entre les deux pays, et nous a poussés
en tant qu’Ethiopiens à refuser ses décisions. De son côté,
l’Erythrée, qui a accepté les décisions de ce comité, ne les
a pas respectées et n’a pas quitté les territoires éthiopiens
qu’elle occupe toujours.
Nous
souhaitons mettre fin à ce litige tout en conservant nos droits.
Il y a trois principes qui nous sont indispensables pour poursuivre
les négociations avec le côté érythréen : respecter la gestion
éthiopienne des régions contestées, respecter les accords
et les traités internationaux portant sur ce litige et régler
l’affaire dans le cadre de la loi internationale. Le premier
ministre éthiopien, Mélès Zenawi, a lancé en novembre 2004
une initiative de paix visant à mettre fin à ce conflit, prouvant
que l’Ethiopie tient toujours à une solution pacifique, surtout
avec l’aide et la médiation de l’Union africaine et de plusieurs
pays européens.
—
Dans le cadre de ces médiations, quel rôle préconisez-vous
pour l’Egypte ?
—
Vu ses bonnes relations bien équilibrées avec les deux parties
en conflit, l’Egypte peut avoir sans doute un rôle assez important.
Nous respectons toute médiation et nous insistons toujours
à dire que nos troupes sur les frontières sont seulement là
pour assurer la sécurité et non pas pour faire la guerre.
Le peuple éthiopien ne veut plus de violence et souhaite vivre
en paix.
—
L’Ethiopie s’apprête à tenir ses élections législatives le
mois prochain. Comment voyez-vous les enjeux de ce scrutin
?
—
La campagne des élections a commencé en Ethiopie, et tous
les partis vont y participer. Il y a plus de 60 partis politiques
qui cherchent à avoir une place dans le nouveau gouvernement.
La campagne électorale était une occasion pour soulever plusieurs
problèmes, tels que le développement, l’enseignement, la santé,
l’explosion démographique et la propriété des terres arables.
Le gouvernement possède encore les terres, alors que beaucoup
de citoyens réclament leur droit à posséder les terrains qu’ils
cultivent. Toutefois, ce système de la propriété de l’Etat
ne vise pas le maintien d’un état d’hégémonie, mais l’expansion
des terres agricoles, vu que le gouvernement éthiopien essaie
d’éviter un exode rural probable au cas où les citoyens auraient
le droit de vendre les terres. Une telle éventualité aura
un impact négatif sur l’agriculture, qui représente le secteur
économique le plus important de l’Ethiopie. Partant, le gouvernement
veille à maintenir ce système afin d’obliger les gens à être
plus liés à leurs terres. Une situation refusée et critiquée
par certains partis de l’opposition .