Théâtre
. Aussi éphémère
que le genre théâtral même, le spectacle d’un soir
: Sebaihi (Le Veilleur de nuit). Représentation
unique au Caire, demain 21 avril. A Alexandrie,
le 22. Rencontre avec le comédien Radhouane El Meddeb. |
«
Je ne suis pas un perroquet … » |
A
partir du texte de Natacha de Pontcharra, écrit
et dédié à un acteur, Mikey-La-Torche est adapté
par Tewfik Jebali pour devenir une appropriation
totalement tunisienne. Le metteur en scène, Loutfi
Achour, et le comédien Radhouane El Meddeb, eux
aussi Tunisiens vivant en France, réussissent à
rendre le personnage encore plus universel.
Mikey-La-Torche
est un veilleur de nuit qui aujourd’hui remplace
les concierges et les bawabs (portiers). C’est ce
phénomène nommé « Security » que l’on rencontre
à l’entrée des immeubles prétendument chic. Comme
son chien qui l’accompagne, il guette et garde le
bien d’autrui. Tout en s’ennuyant, il médite, se
souvient, et analyse les poubelles à partir des
ordures qu’il trie. Celles de sa voisine, dont il
tombera amoureux, Lisbeth Riboulet, lui révèle toute
une vie : il y trouve des cachets de Tranxène, des
cheveux blancs et des mouchoirs pleins de larmes
— Lisbeth déprime —, des préservatifs — Lisbeth
a reçu hier son amant le boucher, « qui ramène le
samedi des côtelettes à griller et des saucisses,
de la ficelle de rôti et des merguez » —, des pots
de yaourt aux fruits — Lisbeth en est boulimique,
elle en avale « deux packs de 12 en trois jours
». Il y repère aussi ses jours de menstruations,
du « rouge dans sa culotte », les filtres à café
le mercredi, jour de visite de sa sœur, et du fil
de laine angora « au profit d’un pull coloris rose
thé n° 24 » le vendredi, jour de visite de sa mère,
etc.
Radhouane El Meddeb
adore le personnage qui lui permet de se souvenir
de son quartier populaire natal. Il y revoit des
mecs, des postures, des mouvements, des intonations,
des gestes, des rythmes, des débits, des silences
… il s’y ressource et s’en inspire. Quand le metteur
en scène propose un univers de cellule, car c’est
d’un interrogatoire qu’il s’agit (Mikey va tuer
le cousin de Lisbeth, de Marseille), Radhouane prendra
un tabouret, s’assoira et ne se lèvera plus. « Je
suis tout le temps assis non pas en tant que conteur
de ma propre histoire, mais à cause du poids du
texte que je dois passer. D’ailleurs, je laisse
des kilos quand je m’en vais. Je suis assis mais
ne cesse de bouger, comme dans une écriture quasiment
chorégraphique. Ce texte, lourd à porter, je le
sors de mes extrémités, de mes bras, de mes jambes
et de mes pieds. De mon visage et de mon dos aussi.
Car je ne suis pas un perroquet qui reproduit un
récit ». Radhouane aime ce personnage un peu scatologique,
zoophile sur les bords, quelque part schizophrénique
; il chérit son penchant spirituel, car il en a
un. Il s’intéresse à la culture orientale, au zen,
au yen et au yang. « La nuit, savoir que les Chinois
sont réveillés dans notre nuit, ça m’empêche de
dormir … Moi c’est la Chine et les Chinois qui me
font de la transmission d’éveil, et tous les soirs,
je me lève dans leur matin, je prends mon vélo,
on pédale, on avance, eux, des milliers dans leurs
jours, moi tout seul dans ma nuit, ensemble, dans
la conscience universelle ». « N’est-ce pas merveilleux
cette réflexion ! avoue l’acteur. Tout le plaisir
du comédien est de jouer cette partition qui sans
en avoir l’air, est difficile ; de travailler la
complexité du bonhomme qui cache sous son aspect
minable, bougre, obscène et vulgaire, une dimension
poétique à laquelle on ne peut pas échapper ». El
Meddeb est subjugué par la solitude du personnage
et du vide qui l’entoure dans cette atmosphère policière.
Il s’attendrit quand celui-ci évoque sa mémé et
la bicyclette de son père, et reste très attentif
aux propos philosophiques de Mikey. Avec Lotfi Achour,
ils ont voulu pour cet exercice d’acteur rendre
perceptible l’invisible caché dans le for intérieur
du veilleur de nuit, d’installer le mot avant de
le dire, d’exprimer les émotions alors que la posture
semble statique, de transcender le quotidien monotone,
de travailler la physicalité quoique l’apparence
de la chose soit presque figée. Ont l’air figées
aussi les marionnettes-mannequins qui l’entourent.
Mais elles bougent ! Fument, crachent et respirent.
Elles sont vivantes, dis donc. Elles sont le sosie
de Mikey, lui renvoient son image et l’interrogent.
Elles sont vecteurs d’un autre sens dans cet univers
un peu glauque. Et Radhouane le comédien de leur
ressembler dans cette ambiguïté : « … revient la
grâce, quand la conscience est elle aussi passée
par un infini ; de sorte qu’elle apparaît sous sa
forme la plus pure dans cette anatomie humaine qui
n’a aucune conscience, ou qui a une conscience infinie,
donc dans un mannequin, ou dans un dieu », écrit
Kleist.
Radhouane El Meddeb
répète son prochain spectacle, un monologue sans
paroles qui s’intitulera Pour en finir avec moi-même.
Il s’y interroge sur son parcours, sur sa solitude,
ses choses intimes et ce corps suspendu entre ciel
et terre qui essaye d’évoluer en quête de ce qu’il
ignore encore. « J’ai peut-être envie d’enterrer
un moi pour trouver un autre. Je ne sais pas »
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Menha
el Batraoui |
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Le Caire, Townhouse, rue Hussein
Al-Meamar, centre-ville, le 21 avril, à 20h. Le
22 avril, à Alexandrie. Centre culturel jésuite,
rue Port-Saïd, Ibrahimiya, à 20h.
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