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Le parcours de Mohamad Soliman, directeur de l’Institut des recherches astronomiques et géophysiques, est empreint de philosophie et de religion. L’astronome a entrepris la divulgation gratuite de son savoir.

La tête dans les étoiles

Il est en quelque sorte le savant étoile de l’Institut national des recherches astronomiques et géophysiques. Mohamad Soliman, qui traverse sa cinquième décennie, a toujours les yeux braqués sur le ciel. Au siège de l’institut, situé dans le vaste désert, aux pieds de la banlieue de Hélouan, il passe son temps à contempler le mouvement des différents corps célestes via ses télescopes. Son quotidien est fait d’une série de calculs, à la fois très précis et compliqués. Un regard qui fixe le vide, une barbe qui orne le menton, une tenue très classique. Il a l’allure d’un fonctionnaire type.

Mais l’homme n’a rien de traditionnel. Il est véritablement un quêteur et un fascinateur, excentrique tout en restant très pieux.

Sa première préoccupation est la vulgarisation de l’astronomie, afin d’aider les amateurs à déchiffrer les secrets du cosmos. Sa position de directeur de l’ancien Observatoire de Doqqi lui a permis en effet d’être en contact direct avec le public. Il organisait des rencontres avec la foule pour lui expliquer les énigmes de l’univers, le système solaire, l’éclipse de lune, de soleil, etc. « J’ai passé 12 ans à m’occuper de l’observatoire, entre 1980 et 1992. Il a été un excellent outil servant à simplifier l’astronomie laquelle nécessite beaucoup de moyens. L’observatoire présentait ses services gratuitement ».

Aujourd’hui, 15 ans après la fermeture de l’observatoire, le savant tente de combler le vide par le biais de l’Association des amateurs de l’astronomie, basée à la mosquée Moustapha Mahmoud (Mohandessine), dont il a été l’un des fondateurs. Cette association, qui date de 1984, vise à enseigner les préceptes de l’astronomie et à enregistrer le mouvement des corps célestes. Son livre intitulé Sébaha fadaïya fi afaq alam al-falak (Une Promenade dans le monde de l’astronomie, 1999. Editions Al-Ojeili) est quasiment la seule référence arabe en la matière. Et son ouvrage à paraître Agaëb al-marrikh bayn al-holm wal-haqiqa al-élmiya (Les Merveilles de Mars entre rêve et vérité scientifique) aborde les légendes auréolant la planète, en débattant les hypothèses sur l’éventualité de l’existence d’une vie à sa surface.

Soliman croit dur comme fer qu’il exerce un rôle important partout dans le monde arabe. Il a été directeur de l’Observatoire d’Arabie saoudite et a collaboré entre autres à fonder le premier Institut d’astronomie et des sciences spatiales en Jordanie, en 1974.

Or, son choix de se spécialiser dans ce domaine ne relève guère du hasard. Il est plutôt le fruit d’une passion de longue date pour tout ce qui est fiction. Issu d’une modeste famille provinciale, Soliman a passé son enfance en pleine campagne égyptienne, dans un petit bourg du gouvernorat de Daqahliya. « Mon père était agriculteur. Très proche de la nature, le ciel de la campagne constituait mon panorama ouvert, me permettant d’observer, remarquer et déduire. Lorsque je courais dans les champs, j’avais l’occasion de mieux contempler les étoiles et laisser libre cours à mon imagination. Je voyais les étoiles étinceler pour s’éteindre le lendemain », se souvient-il. Un mode de vie qui lui a permis de cultiver une certaine philosophie, trouvant ses fondements dans la connaissance scientifique. Ainsi, il affirme : « Les étoiles sont exactement comme les hommes. Elles naissent, vivent puis périssent. La différence est que la durée de vie des étoiles est beaucoup plus longue que celle des personnes ».

L’imagination de feu s’alimentait de lectures multiples, notamment en littérature. Les romans de Tewfiq Al-Hakim, tels Ahl al-kahf (Les Dormeurs de la caverne) et Yawmiyat naëb fil ariaf (Journal d’un substitut de campagne) l’ont beaucoup aidé à développer sa pensée. « Il ne faut pas oublier les chefs-d’œuvre de Taha Hussein, Abbass Al-Aqqad et Mahfouz. La Trilogie de ce dernier était une référence, esquissant pour moi les grandes lignes de la culture des années 1930-1940 », affirme Soliman, ajoutant que certaines œuvres ont un cachet universel comme Un Tramway nommé désir. « Mon argent de poche dans les années 1960 ne dépassait pas 6 L.E. Cependant, je consacrais presque les trois quart de cette somme à acheter des livres. Aujourd’hui, je possède une bibliothèque bien garnie ».

C’est d’ailleurs cette fureur de lire qui lui a fait choisir l’astronomie. « C’était un nouveau domaine fascinant. La section d’astronomie venait d’ouvrir ses portes à la faculté des sciences de l’Université du Caire ».

Ebloui par la langue arabe, Soliman compose des vers sur les signes astrologiques. Cependant, il insiste souvent à distinguer entre astronomie et astrologie. Car le terme « falak » en arabe est utilisé pour désigner et l’un et l’autre. Du coup, on a tendance à mettre tous les œufs dans le même panier. De quoi le révolter : « L’astronomie est une science, alors que l’astrologie est une affaire juteuse, un métier. Les astrologues étudient les influences astrales, suivant des calculs très précis qui dépendent de la date de naissance, de l’heure et du nom de la mère ». Cela dit, ils se servent du cadre scientifique pour mieux vendre leurs produits. « L’astrologie repose sur un jeu du hasard. La preuve, on peut avoir des jumeaux, ayant la même mère, la même date de naissance, mais dont les destins diffèrent complètement », affirme-t-il.

C’est l’aspect religieux qui resurgit alors. Le savant est de ceux qui présentent le Coran comme un texte sacré, mais aussi comme une source intarissable. Bref, un livre plein de miracles et de secrets. La sourate Yassine par exemple comporte, pour lui, plusieurs preuves cosmiques.

Le verset 39 : « La lune à laquelle nous avons fixé des phases jusqu’à ce qu’elle devienne semblable à la palme desséchée ». « Cela correspond aux résultats d’une étude récente qui suppose que le croissant au début du mois diffère du croissant vers la fin du mois. Celui-ci n’est pas un croissant total, mais plutôt un croissant à la palme desséchée », assure-t-il.

Le verset 40 de la même sourate dit : « Le soleil ne peut pas rattraper la lune ni la nuit devancer le jour. Chacun d’eux vogue dans son orbite ». « C’est une vérité confirmée par le Coran il y a plus de 14 siècles avant même que les télescopes sophistiqués ne puissent nous indiquer que chacun des corps célestes possède une orbite où il gravite sans se heurter à l’autre », insiste Soliman qui est membre de l’Association du miracle scientifique à l’instar de la vedette du religieux, Zaghloul Al-Naggar. Sans doute, son champ d’étude l’a de plus en plus rapproché du Créateur. De quoi lui attribuer l’appréciation des uns et la fureur des autres.

Il réfléchit un moment avant de récapituler, en invoquant un ouvrage récent intitulé La Bible, le Coran et la science : des écritures saintes examinées à la lumière des connaissances modernes, par le Français Maurice Bucaille. D’après lui, l’auteur a démontré que seul le Coran n’est pas en opposition avec la science moderne.

Mahmoud Soliman se positionne clairement, adhérant à la nouvelle tendance visant à imprégner toute notre vie, la science y compris, de religiosité.

Mais il peut aussi mener une lutte acharnée, se dressant contre les avis rigoureux de certains hommes de religion condamnant les inventions modernes.

Il y a deux ans, il a voulu prouver que les horaires de la prière de l’aube et celle du crépuscule ont été calculés en 1908, moyennant de télescopes qui manquent de précision. « Je ne suis pas resté les bras croisés. J’ai organisé une conférence regroupant les responsables d’Al-Azhar et ceux du ministère de la Recherche scientifique pour expliquer mon point de vue. Ensuite, j’ai dû écrire un livre dessus en l’an 2000 ».

Mi-combattant, mi-songeur, il demeure ainsi dès sa jeunesse. « J’ai appris à déterminer mon objectif, travailler pour y accéder et ne jamais céder même lorsque je déprime. Tout échec pourrait se transformer en succès ».

Ses meilleurs moments de la journée sont ceux qu’il passe à la mosquée Moustapha M, à laquelle est annexé un mini-observatoire, doté de quatre télescopes. Plusieurs écrivains et hommes de lettres viennent y défiler. C’était surtout lorsque Mars a été dans la position la plus proche de la terre que l’intérêt concernant l’astronomie est monté en flèche. Les gens venaient nombreux aux cours gratuits du professeur Soliman, tous les vendredis matin après la prière. « Ma classe compte actuellement une dizaine d’amateurs réguliers ».

L’écrivain Gamal Al-Ghitani a été en fait à la tête des personnes intéressées ; il y a même suivi un stage. « Il voulait vivre et enregistrer le moment où Mars était dans la position la plus proche de la terre depuis 60 000 ans, soit à une distance de 55x109 km. D’ailleurs, il a été l’un des rares écrivains égyptiens à avoir décrit minutieusement ce phénomène », témoigne Soliman, qui reconnaît parfaitement que l’astronomie demeure l’apanage des pays riches.

« Pourquoi l’Egypte n’en profite-t-elle pas ? En principe, les pays qui lancent des navettes spatiales et des satellites font fortune », s’insurge-t-il. Et d’ajouter : « J’apprécie beaucoup la modestie des savants des pays de l’Est. J’ai parcouru la Hongrie, la Tchécoslovaquie et l’ex-URSS, où j’ai étudié. Malgré la richesse de leur savoir, ils ne sous-estiment guère les pays du tiers-monde ».

A travers son balcon du onzième étage, il passe ses nuits à la belle étoile, à contempler la voûte céleste dans une tentative de percer ses secrets infinis. Son grand rêve est de déchiffrer ses mystères. Sa planète préférée demeure incontestablement Vénus. Il a même appelé sa fille d’après elle : Zahra. L’équivalent de Vénus en arabe.

Chahinaz Gheith et Dina Darwich

Jalons

1943 : Naissance à Daqahliya.

1965 : Diplôme de la faculté des sciences, section astronomie, de l’Université du Caire.

1974 : Fondation de l’Institut de l’astronomie et des sciences spatiales, à l’Université d’Al-Beit en Jordanie.

1979 : Doctorat en astronomie de l’Université de Moscou.

2005 : Directeur de l’Institut des recherches astronomiques et géophysiques.

 
 
 
 

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