Lors
d’un rassemblement familial, Névine demande à sa fille
Farida, deux ans à peine, de danser. Une coutume dans
beaucoup de familles qui applaudissent pour encourager
les premiers pas de danse de leurs enfants. Névine est
stupéfaite de voir sa fille danser en roulant les hanches
à la Roubi, cette sulfureuse chanteuse qui fait scandale
dans les vidéoclips. Un spectacle qui se produit généralement
dans les foyers où la danse est considérée comme une
manifestation d’allégresse. D’ailleurs, beaucoup de
mamans assurent que le seul moment d’accalmie, c’est
quand leurs enfants regardent des vidéoclips de Rouby
et d’autres chanteuses à la mode, comme Haïfaa et Nancy
Agram pour lesquelles les coups de reins sont un complément
indispensable de leurs chants. Face à ces shows, ils
restent ébahis, muets comme des carpes, et c’est pour
eux un vrai moment de bonheur et de réflexion aussi
: comment mimer ces jolies créatures ? Mais y a-t-il
du nouveau dans cette attitude ? Un adage dit qu’une
Egyptienne sait spontanément danser dès sa naissance.
La société a toujours considéré la danse orientale comme
un rite de joie, même si elle est jugée parfois pas
trop respectable. Mais somme toute, ce qu’il y a de
nouveau, c’est que beaucoup de mouvements du genre qui
fait actuellement fureur ne sont pas basés sur des techniques
bien déterminées et comportent des gestes parfois provocants,
un peu différents de la danse orientale classique.
Zizi Moustapha,
une star de la danse, ironise : « Ce n’est plus de la
danse orientale, si ce genre de mouvements provocants
est appelé ainsi ». Et la danseuse Fifi Abdou ne cesse
de répéter, elle aussi, qu’il n’y a plus aujourd’hui
de danse orientale.
Pour se
ressourcer, elle se met à voir de vieux films montrant
Tahiya Carioca, Samia Gamal, Soheir Zaki en train de
danser. Raqia Hassan, ancienne danseuse encore sollicitée,
voyage à l’étranger pour enseigner les techniques de
cette danse. Elle assure que la danse orientale est
un art qui a ses règles. « La danseuse doit bouger plusieurs
parties de son corps selon des règles déterminées loin
de toute provocation ou exotisme. Aujourd’hui, ce sont
des filles aux corps superbes, qui bougent dans tous
les sens, sans aucun entraînement. Elles n’ont rien
d’autre à offrir que de provoquer l’assistance avec
des clins d’œil ou des gestes érotiques. Ce n’est plus
de l’art, mais plutôt un commerce qui transgresse nos
mœurs. Je ne sais pas pourquoi on ne leur interdit pas
de se produire », explique Raqia, tout en ajoutant qu’elle
ne trouve pas d’inconvénient à ce que des danseuses
ajoutent quelques touches personnelles au cours du show,
mais avec des gestes gracieux et sans s’éloigner de
ce qui fait la spécificité de la danse orientale. Pour
elle, la danse est un langage universel. « Un pas en
avant, un autre en arrière, une belle pirouette, comme
le fait Nagwa Fouad. Elle a même rénové le costume de
danse, a introduit le système de la chorégraphie et
imposé l’entraînement », poursuit-elle.
Et dans
sa maison à Doqqi servant de salle de danse de temps
en temps, Raqia accueille parfois des collègues de l’art
comme le danseur et entraîneur de la troupe Réda, Hamada
Hossameddine, qui intervient dans la discussion avec
beaucoup d’entrain.
« La danse
est un métier laborieux, qui nécessite des aptitudes
physiques, de la souplesse, de l’endurance, de la pratique,
une oreille musicale ... Ce n’est pas n’importe qui
qui peut faire de la danse. Cependant et avec le temps,
certains changements peuvent se produire comme cela
se passe dans le domaine de la chanson. Et insérer quelques
pas occidentaux est possible, si ce choix se fait au
quart de poil pour rester fidèle à la danse orientale
», dit Hamada en ajoutant que certains, qui veulent
opérer des changements, s’inspirent de l’Occident sans
se soucier des aspects folkloriques qui nous distinguent.
« Comment oser présenter un spectacle où les artistes
portent une tenue nubienne et dansent du rap ? », s’insurge-t-il,
en citant l’exemple de la danse hindoue que l’on peut
distinguer, même si le chorégraphe s’est inspiré d’une
technique occidentale.
Selon lui,
la situation de la danse n’est que la conséquence de
ce qui se déroule sur la scène artistique. Une période
de stagnation. Ajoutées à cela des conditions qui n’encouragent
pas un bon enseignement de la danse orientale. « Comment
pourrait-on le faire alors que l’on n’accorde aucune
autorisation pour ouvrir une école de danse orientale,
même si certains le font en utilisant d’autres appellations
: salon de beauté, salle de gymnastique, ou de ballet.
On s’intéresse à la danse classique, la Salsa ou Samba
et on se fiche de notre art », assure Raqia, tout en
rappelant le grand intérêt que portent les Etats-Unis,
l’Angleterre et d’autres pays européens pour la danse
orientale. Elle précise que les écoles de danse orientale
prospèrent ailleurs et sont considérées même comme un
soutien psychologique, tandis qu’en Egypte cela reste
toujours un tabou. « Alors qu’à la télévision, on autorise
la diffusion de plusieurs styles de danses qui ne respectent
pas souvent nos convenances. Sauvegarder l’art de la
danse orientale semble un défi difficile à réaliser
», commente-t-elle.
Et le sort
des troupes folkloriques comme celle de Réda en est
la preuve, puisque le gouvernement ne leur accorde aucun
intérêt, comme l’assure Hamada qui regrette que la salle
de théâtre Al-Ballon, supposée présenter ce genre de
spectacles, est désertée. Il explique : « Le ministre
de la Culture n’a jamais assisté à un spectacle de danse
folklorique. Les responsables de l’art populaire sont
des fonctionnaires et non pas des spécialistes comme
le fut Mahmoud Réda. Ils ne s’intéressent pas à promouvoir
la danse et se soucient peu du niveau des danseurs et
danseuses, sous prétexte qu’il n’y a pas assez de budget,
ou avancent d’autres raisons bureaucratiques », explique
Hossameddine.
Une question
s’impose : qui peut enseigner les règles de la danse
et préserver ses techniques ?
Jadis,
il y avait de célèbres entraîneurs comme Ibrahim Akef
et Ahmad Abdel-Halim. Aujourd’hui, c’est le hasard qui
fait que l’on découvre des personnes talentueuses. «
Ce sont ceux qui ont étudié le ballet ou l’art populaire
qui poursuivent le chemin afin de prouver leurs compétences
», assure Raqia, qui précise que sur la scène, il ne
reste que quelques danseuses, comme Dina qui n’a pas
de concurrente depuis des années.