Si
les scandales de la corruption des grandes institutions
de la presse ont souvent défrayé la chronique, surtout
ces derniers mois autour d'Al-Ahram, les publications
sur les déficiences structurelles du journalisme en
tant que système restent assez rares.
L'ouvrage de Karem Yéhia, journaliste
à Al-Ahram, empêché de pénétrer sur son lieu de
travail par l'ancien magnat Ibrahim Nafie qui l'accusait
de salir la réputation de l'institution, comble
cette lacune.
Il commence par poser le problème
de la liberté de la presse, de ses critères, détaillant
l'historique de l'appareil de la censure sur la
presse en Egypte. Car, malgré l'abrogation en 1974,
du système de « Monsieur censure » en chair et en
os qui devait voir le journal avant impression,
la censure reste présente, même si elle est devenue
plus insidieuse. Les interdictions de publier sur
des questions considérées comme sensibles sont toujours
la règle (l'auteur cite les « manœuvres de Bright
Star avec les forces américaines » sur le territoire
égyptien), en plus des journaux fermés, les journalistes
emprisonnés pour des affaires de publication (sept
de 1996 à fin 2002), sans oublier l'autocensure,
la plus répandue.
Les moyens de faire du journaliste
« une brebis bien dressée » sont en effet assez
sophistiqués, explique l'auteur. Le silence du journaliste
peut être acheté par l'institution elle-même, à
travers le système d'allégeance « patriarcale »
aux directions, que ce soit dans les journaux gouvernementaux
ou d'opposition. Ou par des entreprises qui achètent
des espaces de publicités pour lesquels le journaliste
peut percevoir un pourcentage conséquent s'il est
un commissionnaire habile. Sans parler des entreprises
ou ministères qui paient des sommes fixes aux journalistes
délégués à leur suivi. « Les maîtres du pétrole
et l'Amérique » ne sont pas, eux non plus, en reste
quand il s'agit de « payer grassement » pour faire
taire les plumes trop audacieuses. Yéhia n'oublie
pas de regretter le manque d'initiative du Syndicat
des journalistes, accusant « la bureaucratie syndicale
».
Une lecture salutaire pour qui
veut, au-delà des slogans, se faire une opinion
détaillée de la crise du journalisme .