Dévotion culminante
et individuelle |
La
même question se pose différemment tout au long
du livre Al-Doah al-godod (Les Nouveaux prédicateurs),
revêtant des formes multiples : l’islam social va-t-il
réussir là où l’islam politique a échoué depuis
des années ? Les jeunes prédicateurs bien rasés
devanceront-ils les barbus plus déchaînés ? Loin
de porter une réponse catégorique à la question
car le phénomène des nouveaux prédicateurs est encore
sur le feu, le journaliste Waël Loutfi fournit des
éléments d’analyse assez pertinents. Lui, qui a
suivi le phénomène de près, voilà 5 ans environ,
depuis la publication d’une première série d’articles
à l’hebdomadaire Rose Al-Youssef en l’an 2000. L’analyse
du discours de la nouvelle star de l’islam, Amr
Khaled, a été la goutte qui a fait déborder le vase.
Mais l’auteur n’en fait pas un tas. Il situe simplement
ce dernier parmi d’autres qu’il classe d’ailleurs
en trois générations. « La quatrième est peut-être
en formation », dit-il, notant que le coup d’envoi
a été donné par le prêcheur alexandrin et homme
d’affaires, Yassine Rouchdi, lequel a percé en 1991,
grâce à l’émission télévisée Al-Hoda wal-nour (Piété
et lumière). C’est d’ailleurs la même qui a présenté,
plus tard, Amr Khaled au grand public, pour succéder
à l’agronome et cheikh aveugle, Omar Abdel-Kafi,
mis sur la touche des interdits de prêche.
Le jeu de ping-pong
entre le gouvernement et les prédicateurs est de
mise, dit l’auteur, vu la puissance sociale et économique
des adeptes de ces nouveaux prêcheurs, ciblant surtout
la bourgeoisie et la classe moyenne supérieure.
Ceci dit, il est souvent question de pressions exercées
d’une manière ou d’une autre sur le pouvoir. « Le
Yéménite de tendance soufie, Ali Al-Jiffri, a été
arrêté plusieurs fois à l’aéroport du Caire pour
être ensuite libéré après l’intervention de quelques-uns
de ses adeptes », mentionne-t-il en détails. Les
petites histoires et les interviews exclusives effectuées
avec les prédicateurs en question font le charme
de cet ouvrage simple et profond. L’auteur décrit
comment l’on parvient à « tremper tout ce qui est
moderne dans le religieux », au lieu de « moderniser
le religieux ». Ainsi, tout est désormais suivi
de l’adjectif « islamique » : médecine, régime alimentaire,
musique, noces, etc. Donc, on est en train d’islamiser
la société sans vraiment courir le risque d’adhérer
à un mouvement islamique, et le discours change
simplement d’emballage, mettant en avant un mode
de vie valorisant la « purgation ». Car contrairement
à leurs prédécesseurs, ces nouveaux prédicateurs
veulent avant tout opérer un changement dans les
modes de vie, prêchant une forme de religiosité
individuelle.
Waël Loutfi présente
une longue enquête journalistique, un travail de
terrain assidu, qui ne tardera pas à se transformer
en un ouvrage égyptien de référence, loin du jargon
et de la méthodologie académiques. Khaled Abdallah,
le prêcheur du Take away, madame Aghani Chaker,
la prédicatrice phare du Club de chasse, Safouat
Hégazi, le produit des nouvelles universités islamiques
américaines, etc., les acteurs du religieux se multiplient.
Le marché est demandeur et le public, en confusion
.
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Dalia
Chams |
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Waël Loutfi, Al-Doah
al-godod (Les Nouveaux prédicateurs). Editions Maktabet
al-osra, 2005 (213 p.). |
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