«
A bas le régime ! », ont lancé Aymane Nour et son épouse
lorsque le juge du tribunal criminel du Caire a prononcé
le verdict condamnant Nour à 5 ans de prison. Les six
coaccusés ont été condamnés à des peines de prison de
trois à dix ans. Nour était présent dans le box des accusés,
vêtu du costume blanc des détenus provisoires. Des policiers,
entourant le box, empêchaient les journalistes de lui
parler.
Les
policiers représentaient 90 % de l’assistance. Dès 8h
du matin, des policiers habillés en civil avaient envahi
la salle du tribunal avec l’objectif bien déterminé d’interdire
tout accès aux journalistes. Quelques-uns ont quand même
réussi à s’infiltrer sans trouver évidemment de place
pour s’asseoir, ce qui a poussé l’un des officiers à les
prier de quitter la salle. « S’il vous plaît, éloignez
les policiers qui remplissent la salle pour que les journalistes
puissent s’asseoir », a crié la femme de Nour, Gamila
Ismaïl, à l’intention d’un officier qui s’est trouvé obligé
de faire évacuer une place pour les représentants des
médias. Pour l’épouse de Nour, la présence massive des
policiers augurait d’un verdict « sévère et injuste ».
A
l’annonce du verdict, Nour a été emmené, sans avoir eu
le temps de lancer autre chose que son cri contre le président
de la République. Amir Salem, l’un de ses avocats, a annoncé
aux journalistes qu’il entamerait « immédiatement » les
procédures d’appel en cassation. « Nous sommes convaincus
qu’il sera innocenté par la Cour de cassation », a-t-il
dit devant quelque 200 personnes rassemblées devant le
bâtiment du tribunal pour protester contre la condamnation.
L’épouse de Nour a rejoint la foule en lançant des slogans
hostiles au régime. « Toutes ces mesures ont été prises
contre Nour, car il représente un vrai défi pour Moubarak
et pour son fils », a accusé plus tard le parti Al-Ghad
dans un communiqué.
De
son côté, Washington a durci le ton à l’égard de l’Egypte
tout de suite après la publication du verdict, notant
que cette décision mettait en doute l’engagement réel
de son principal allié au Proche-Orient à promouvoir la
démocratie. « Les Etats-Unis sont profondément troublés
par la condamnation aujourd’hui de l’homme politique égyptien
Aymane Nour par un tribunal égyptien », a indiqué la Maison
Blanche dans un communiqué. « Les Etats-Unis appellent
le gouvernement égyptien à respecter les lois égyptiennes
dans l’esprit de son désir affiché d’une plus grande ouverture
politique et de dialogue au sein de la société égyptienne,
et à libérer M. Nour à titre humanitaire », a-t-on poursuivi.
Pour sa part, le Washington Post a estimé que les Etats-Unis
devaient suspendre l’aide américaine à l’Egypte.
Aymane
Nour, 41 ans, était jugé pour falsification de mandats
en vue de la création de son parti, Al-Ghad, en octobre
2004, une accusation qu’il dément catégoriquement. Il
avait été placé en détention provisoire le 5 décembre
et observait depuis une grève de la faim. Le 17 décembre,
souffrant d’un coma diabétique ainsi que d’autres maladies
cardiaques, il avait été hospitalisé d’urgence.
Nour
était le principal rival du chef de l’Etat lors du scrutin
présidentiel de septembre. Il était arrivé deuxième, loin
derrière le président Moubarak qui a été réélu pour un
cinquième mandat consécutif. Lors des législatives de
novembre, Nour a perdu son siège dans son fief de Bab
Al-Chaariya, une circonscription du Caire.
Pour
certains, toutes les circonstances qui entourent ce procès
indiquent qu’il est d’ordre politique : Pour écarter Nour
de la scène politique, le gouvernement a voulu l’impliquer
dans un procès qui touche à l’honneur, estiment les partisans
de Nour. « Si Nour n’arrive pas à prouver son innocence
devant la Cour de cassation, il ne pourra reprendre ses
activités politiques que 5 ans après sa sortie de prison,
soit dans dix ans », explique Hussein Abdel-Razeq, secrétaire
général du parti du Rassemblement. Pour lui, il était
clair dès le départ qu’il s’agissait d’un procès typiquement
politique : « La rapidité avec laquelle l’Assemblée du
peuple a décidé la levée de l’immunité parlementaire de
Nour et le choix du même tribunal qui, en 2001, avait
condamné à sept ans de prison Saadeddine Ibrahim pour
espionnage au profit des Etats-Unis, suffisent à prouver
que le gouvernement avait bien l’intention de détruire
Nour politiquement ».
Farid
Al-Dib, membre de l’équipe des avocats qui défendent Aymane
Nour, rappelle de son côté que, pendant le procès, l’un
des six coaccusés est revenu sur son témoignage en révélant
à la cour que des responsables de la sécurité de l’Etat
l’avaient contraint à dénoncer Nour.
Diaa
Rachwan, du Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques
(CEPS) d’Al-Ahram, estime pour sa part qu’Aymane Nour
n’a jamais été le représentant d’une vraie entité politique.
Par moments, il était opposant et par moments il courtisait
le régime. A mi-chemin, il a choisi de faire cavalier
seul, or il a commis l’erreur de dépasser les lignes rouges.
« En 2005, Nour a voulu profiter de l’intervention américaine
dans la région pour mener un jeu à trois : lui, le gouvernement
et les Etats-Unis. A un moment donné, il a cru que les
Américains voyaient en lui une alternative au régime alors
qu’en fait pour eux, il n’était qu’une carte de pression
», conclut Rachwan. |