Les dernières élections législatives ont
révélé deux manières de traiter avec l’opinion. La première
était représentée par le Parti au pouvoir et la seconde incarnée
par les représentants de la tendance religieuse. Les procédés
du Parti National Démocrate (PND, au pouvoir) ont compté sur
les formations élitistes beaucoup plus que sur des bases populaires.
Surtout que le courant religieux est descendu dans les rues
et a interagi avec les foules. Ils ont construit des centres
médicaux pour les gens et des mosquées dans les quartiers
riches et ont présenté de l’aide aux démunis. Ceci sans compter
la longue liste de services qui remonte à loin et qui n’est
pas intervenue uniquement avec la saison des élections. Alors
que les représentants du PND ont été absents des rues. Ces
derniers se sont plus préoccupés des manœuvres partisanes
internes, de la concurrence pour le membership des comités
du parti et des positions de leadership. Et puisqu’en général
on récolte ce qu’on sème, les voix de la première tendance
se sont élevées, alors que l’hostilité vis-à-vis de la deuxième
tendance a augmenté elle aussi avec la même force.
Toutefois, la vision que présente le courant
religieux quant à l’avenir du pays n’incite pas à l’optimisme
parce qu’elle ne s’attache pas de manière primordiale à rattraper
le progrès du monde qui nous entoure et qui a fait un long
parcours. Le procédé emprunté par le parti au pouvoir a prouvé
qu’il est resté prisonnier des anciennes pratiques qui ont
lassé les gens et qui ne reflètent aucune volonté de changement.
Tout ce que le parti a réussi à faire pour soutenir ses candidats
c’est le fait d’envoyer les forces de l’ordre — ce qui n’était
pas de leurs prérogatives — pour interdire aux électeurs de
remplir leur devoir. Pourtant, le PND a appelé à maintes reprises
au droit au vote pour ancrer la pratique démocratique.
En réalité, tout ceci prouve que les responsables
de ce parti ne connaissent toujours pas les moyens de traiter
raisonnablement avec les nouvelles données, non seulement
dans le monde qui nous entoure mais également à l’intérieur
de notre société même. Ainsi, le parti a perdu sa crédibilité
politique et les gens ont commencé à se chercher une alternative.
L’interdiction aux électeurs de se rendre aux urnes a engendré
une contre-réaction. Cette manière d’agir a empêché l’électeur
ordinaire de voter alors que celui de la tendance religieuse
s’est entêté et n’a pas quitté les lieux jusqu’au moment de
déposer son bulletin.
D’autre part, ceci a reflété une mauvaise
image de la responsabilité qu’assume le PND dans la pratique
démocratique non seulement vis-à-vis des médias étrangers
et des télévisions, mais également face au citoyen égyptien.
Ce dernier s’est rendu compte que tout ce qui l’attachait
au parti au pouvoir n’était pas sérieux, ce qui a accru son
manque de confiance dans le parti.
Parmi les procédés vétustes utilisés prouvant
le manque de maturité politique figure celui d’ignorer et
ne pas avoir pris en considération la réalité existante. Nous
avons auparavant longtemps débattu de la forte présence de
la tendance religieuse dans la rue égyptienne, mais les cercles
au pouvoir minimisaient toujours cette présence, voire ils
avaient tendance de l’ignorer. Surpris par le contraire lors
des élections, tout ce que les leaders du PND ont fait de
mieux c’est d’empêcher les électeurs de voter. Et lorsque
ces moyens stériles ont échoué, les dirigeants ont alors focalisé
les médias sur les inconvénients de l’accession d’un tel courant
au pouvoir. Ainsi, la télé a commencé à inviter des personnalités
qui étaient interdites des écrans égyptiens, entamant ainsi
une croisade féroce contre eux, ce qui peut, le cas échéant,
entraîner une contre-réaction. Les gens alors commençaient
à sympathiser avec cette nouvelle tendance, objet de tant
de critiques de la part du PND.
Il y a, à ne pas en douter, beaucoup de dangers
quant à l’arrivée d’une telle tendance au pouvoir dont le
plus important serait le changement de la nature même de la
vie des Egyptiens. Pour la première fois depuis des années,
l’histoire égyptienne pourrait connaître cet Etat religieux
qui est un phénomène étranger pour nous. Le calife a gouverné
dans beaucoup de pays et n’a jamais pris l’Egypte comme centre.
Lorsque le roi Farouq a essayé en 1936 d’organiser une cérémonie
de couronnement à Al-Azhar, parce qu’il désirait le titre
de calife, le Wafd, parti de la majorité de l’époque, a vivement
contesté cela. Ce parti a compris la nature du peuple égyptien
et de la vie politique bien plus que Farouq. Il s’est alors
attaché à préserver le caractère civil du pouvoir. Ce qui
n’était pas étrange pour un parti ayant réalisé l’unité nationale
entre musulmans et coptes. Une des forces de ce peuple.
D’autre part, de nombreuses idées liées à
la tendance religieuse expriment une régression intellectuelle
non conforme au progrès ni à la construction d’un Etat moderne
à laquelle nous aspirons. D’autant plus que les adeptes de
ce courant ont métamorphosé la femme en un grand sac noir
en lui couvrant les cheveux, le visage, et en faisant de sa
voix un pêché. Ils sont allés encore plus loin en s’attaquant
à la pensée, à la culture, à la musique, au cinéma, au théâtre
et aux arts plastiques.
Mais quelles sont les forces qui peuvent
affronter de telles idées ? Sont-elles les forces de sécurité
qui ont empêché les citoyens de voter aux élections ? Ou bien
est-ce le PND qui a donné ces directives ? La répression brutale
ne met pas un terme à une pensée quelle que soit son arriération
et quelle que soit la force de cette oppression. Il est évident
que seules la culture et la pensée peuvent faire face à ces
idées métaphysiques et arriérées. Ceci est avant tout la responsabilité
de la société civile avec tous ses appareils culturels et
ses associations. Cependant, ce sont les appareils de l’Etat
qui ont longtemps opprimé et étouffé la voie de cette société
civile en incarcérant certains de leurs dirigeants.
Nous mettons en garde, comme nous l’avons
fait auparavant, contre le vide politique que le PND n’arrive
pas à combler. Il explique en premier lieu l’ascension de
ce courant religieux extrémiste qui recourt souvent à la violence
et au terrorisme. Ce que représente ce courant à l’heure actuelle
au Parlement n’est que le sommet de l’iceberg. Le courant
religieux a présenté 125 candidats aux élections sur un total
de 444. Il a remporté 88 sièges, soit plus de 70 % de leurs
candidatures et 20 % du total. Le danger est qu’aucun parti
d’opposition n’a pu parvenir à ce taux depuis des années.
Rappelons-nous que l’amendement de l’article
76 de la Constitution prévoit au moins 5 % des sièges du Parlement
pour tout candidat présidentiel. Aujourd’hui, aucun parti
d’opposition n’a obtenu ce taux, alors que le courant religieux
a 4 fois plus que les taux requis.
Toutes ces réalités prouvent que le temps
du divertissement est révolu et qu’il incombe à tous les partis
de faire face à ces risques qui guettent la société et que
le parti du Wafd a compris il y a 70 ans, lorsqu’il a refusé
l’Etat religieux au profit de l’Etat civil .