Cela
aura été une année tragique pour le théâtre égyptien. Et dans
les coulisses, les gens du métier sont décidés à ne jamais oublier.
Oublier ce jour funeste du 5 septembre où 47 personnes dont
la crème du monde théâtral ont péri dans l’incendie qui a ravagé
le théâtre de Béni-Souef. Le 5 janvier prochain, les membres
du mouvement « 5 septembre », regroupant critiques, amateurs,
acteurs et hommes de théâtre, seront donc au rendez-vous pour
exprimer leur réprobation comme tous les mois, rappelant la
mémoire de leurs amis et collègues. La manifestation se déroulera
devant le bureau du procureur général, dans une tentative de
connaître les dernières évolutions de l’enquête. Il y a une
semaine, le Festival du théâtre arabe, organisé par l’Académie
des arts, a dédié sa 24e édition aux « martyrs du théâtre ».
A la suite également de cette tragédie, les théâtres ont été
examinés par la défense civile. Et tous matériaux inflammables
ont été interdits d’usage dans les pièces de théâtre.
Mais durant cette
année, il n’y a pas eu que des drames. La lueur vient du théâtre
de l’Etat. Pour remédier à la crise de longue date ayant marqué
la production théâtrale, notamment au niveau de l’écriture,
l’Organisme des théâtres de l’Etat (dit aussi la maison artistique
du théâtre) a organisé un festival des dramaturges, favorisant
l’expression des talents en herbe. Ainsi, les nouvelles petites
productions et jeunes créations ont été données sur les planches
du théâtre de l’Etat avec succès. Tel fut le cas des pièces
: Akher ayam Akhenaton (Les Derniers jours d’Akhenaton), Lil
hayat raëha okhra (La Vie a une autre odeur) et Al-Falankat
(Les Rails).
Il
y a eu aussi l’arrivée d’Achraf Zaki à la tête de l’Organisme
des théâtres de l’Etat, et un air de réforme s’est imposé. Il
a été élu, en outre, en cette fin d’année, comme président du
Syndicat des comédiens. Les réformes qu’il a entreprises et
sa prise de position au lendemain de l’incendie de Béni-Souef
ont eu de larges résonances. « En tant qu’artiste et homme de
théâtre, ma place à la tête du Syndicat des comédiens me permettra
d’aller de l’avant dans la voie des réformes », souligne Achraf
Zaki.
En effet, un bouleversement
s’opère depuis le mois d’avril dernier. Achraf Zaki refuse catégoriquement
de laisser toute salle de spectacle fermée. Du coup, les grandes
salles comme les plus petites alignent les spectacles, suivant
une programmation stricte, transcendant tous les obstacles.
Ainsi, avec le concours de l’armée, le théâtre Al-Aem (théâtre
flottant, en plein air et au bord du Nil), réservé souvent aux
comédies, a été entièrement rénové, après de longs mois de fermeture.
A sa réouverture, il a accueilli le spectacle Al-Bahlawanat
(Les Polichinelles). Il sera également couvert d’une tente pour
les spectacles se déroulant en hiver.
D’autre part, le
théâtre Métropole, complètement négligé depuis une vingtaine
d’années, a connu une seconde vie. Sur ses planches se donne
actuellement la pièce Qaadine Leih (Pourquoi êtes-vous assis
?). Et dans quelques jours, le théâtre Miami ouvrira ses portes,
après 6 ans de fermeture, à la suite d’une remise à neuf.
Au-delà de la capitale,
des théâtres à Alexandrie et à Mansoura (dans le Delta) sont
en cours de restauration. C’est le cas du théâtre Lycée Al-Horriya,
à Alexandrie, qui reprendra ses activités à partir des vacances
de la mi-année. Il sera réservé notamment aux œuvres des jeunes
talents et des étudiants de l’Académie des arts. De même, des
travaux vont démarrer au Théâtre national de Mansoura dans les
jours à venir.
Au niveau de la
production, nous pouvons compter plus de 20 nouveaux spectacles.
Un nombre sans doute colossal en comparaison avec les productions
du théâtre privé qui se limitent à trois ou quatre spectacles
par an. D’ailleurs, elles ne rencontrent pas de succès, à un
point que l’on a eu recours à la vente de billets à tarifs réduits
aux étudiants et aux fonctionnaires.
Cette
année a été marquée aussi par le retour des stars du grand écran
au théâtre de l’Etat. Nour Al-Chérif a joué sur les planches
du Théâtre national, présentant Al-Amira wal saalouk (La Princesse
et le clochard) d’après un texte d’Alfred Farag, un dramaturge
qui a fait entre autres la gloire des années 1960 et lequel
vient de disparaître au début de ce mois-ci. La comédienne Raghda,
après une longue absence, est revenue dans le rôle de Schéhérazade,
dans Hakaya lam tarwiha Schéhérazade (Des Contes qui n’ont pas
été narrés par Schéhérazade). Et le comédien Saïd Saleh fait
tête d’affiche dans Qaadine Leih (Pourquoi êtes-vous assis ?)
depuis quelque temps.
« Les spectacles
produits par les théâtres de l’Etat attirent de plus en plus
les grands noms. Il s’agit d’un théâtre sérieux qui respecte
aussi bien le comédien que le public, loin du rire facile et
des trucs éventés du théâtre commercial », avait déclaré auparavant
Achraf Zaki.
Avec la reprise
de Ragol fil qalaa (L’Homme de la citadelle), un spectacle qui
a connu un grand succès dans les années 1980, on est en droit
d’affirmer que le renouveau du théâtre égyptien n’est pas une
pure illusion. Il en est de même de deux autres spectacles qui
se donneront très bientôt, à savoir Ahlane ya bakawat (Bienvenue
aux beys) qui date de 1989 et Al-Assal assal (Le Miel c’est
le miel) qui date des années 1980.
Un dernier mot
quand même, malgré les changements et les stratégies de réforme,
aucun théâtre n’a affiché salle comble. Une crise de confiance
? Un problème d’écriture ? En tout cas, beaucoup reste à faire. |