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Hafez Abou-Seada est un combattant. Une homme qui a choisi pour bataille les droits de l'homme, et que les luttes ont conduit en prison. Aujourd'hui, le secrétaire général de l'Organisation égyptienne des droits de l'homme est convié à la table du Conseil national des droits de l’homme. Il souhaite croire qu'il pourra y poursuivre son combat.

Avocat et prisonnier

« La vie est un choix entre deux options : se perdre dans les méandres de la colère et le cercle vicieux de la violence, ou favoriser la tolérance. Moi j'ai opté pour le deuxième choix », confesse Hafez Abou-Seada, avocat de 39 ans, qui mène ce combat depuis des années au sein de l'Organisation Egyptienne des Droits de l'Homme (OEDH). A première vue, il semble doté d’un caractère assez particulier, comme le laisse croire ce visage souriant où transparaît une certaine amertume. Une balafre sur la joue, il y a là sans doute les traces d’une ancienne blessure, celle de la torture en prison. Et un regard qui miroite autant la détermination que l’ambition.

Abou-Seada a une tenue classique, soignée, comme son nouveau poste l'exige. Mais tout de même, les mèches volantes de sa crinière coupée à la mode reflètent un personnage peu conventionnel. Dans son bureau, on a l’impression d'assister à une grande manifestation. Des posters clamant que Sharon est un criminel de guerre couvrent les murs. Plus loin, des slogans appellent à la lutte contre la torture en prison. La déclaration internationale des droits de l’homme, elle, monopolise le centre du mur. Est également accrochée une peinture représentant la lutte contre la ségrégation raciale, avec des gens de toutes races et de toutes les couleurs qui s'étiolent en flambeaux. Ceci sans oublier la brochure de la Fédération internationale pour les droits de l’homme, montrant les cinq personnalités les plus réputées dans le domaine des droits de l’homme, dont Hafez Abou-Seada lui-même. Parmi ces figures de proue, on reconnaît le visage de Shirin Abadi, la juge iranienne qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix.

Aujourd’hui, Abou-Seada s’apprête à occuper un nouveau poste, mais pour lui, c'est aussi une nouvelle bataille qui s'ouvre. Les interrogations fusent de partout. Quelles sont les prérogatives de ce nouveau conseil pour les droits de l’homme dont il est désormais membre ? Pourquoi sa création intervient-elle à ce moment précis ? Aura-t-il un rôle concret ou bien servira-t-il de simple décor ? Est-ce un moyen de ménager l’opinion publique ? Les droits de l’homme dans un pays du tiers-monde, n'est-ce que du bluff ? Comment parler de ces droits à l'ombre d'une loi d’urgence toujours en vigueur, de la torture des prisonniers, de droits politiques bafoués et d'une détresse vécue au quotidien par les citoyens ?

Cette panoplie d'interrogations ne fait que refléter l’opinion publique. Pourtant, Hafez Abou-Seada trouve, lui, dans la création de ce conseil un véritable défi à relever. Pour lui, une bataille acharnée s'annonce. « Tout ce qui me préoccupe aujourd’hui c'est de gagner la confiance des petites gens et d’acquérir une crédibilité, tant dans la rue égyptienne qu'au niveau des associations des droits de l'homme à l'intérieur et à l'extérieur », indique Abou-Seada.

Et d'ajouter : « Cette mission s'avère difficile, étant donné que les associations égyptiennes sont assez puissantes. Elles œuvrent depuis plus de dix ans pour faire bouger les choses dans le domaine des droits de l’homme. Ce conseil est issu d'ailleurs de l'activisme de ces associations afin de surveiller les résultats marqués dans ce domaine ». Son visage s'illumine à la prononciation de ces mots. Une lueur d’espoir papillote au coin des yeux. « En effet, je pense que les responsables vont se montrer plus coopératifs et plus flexibles à l’égard de ce mouvement des droits de l'homme durant la période à venir, d’autant plus que l’Egypte vient de signer des accords de partenariat avec l’Union européenne. Conformément à l’article 2 de l’accord de Barcelone, les pays qui vont rejoindre ce partenariat doivent mettre en place des mécanismes garantissant le respect des droits de l’homme ». Abou-Seada insiste : « Il ne faut pas non plus oublier que le 11 septembre a dirigé les regards sur cette région du monde, privée de démocratie et susceptible d'être un foyer pour le terrorisme. De quoi expliquer les raisons pour lesquelles on a pensé créer ce conseil aujourd'hui ».

L'agenda d'Abou-Seada est surchargé puisque les violations des droits de l'homme sont légion. Cependant, il faut définir des priorités. Deux questions sont particulièrement à l'ordre du jour : la loi d’urgence en vigueur depuis plus de 20 ans et la torture en prison.

Le nouveau conseil vise essentiellement à protéger les droits de l’homme, à diffuser la culture des droits de l’homme, soumettre des avis au Parlement en cas de violations, établir des contacts avec les ministères et les ONG concernés, etc. Six comités sont chargés de mettre ces objectifs à exécution. « Mon rêve est de transformer ce conseil en Diwan al-mazalim (le divan des victimes de l'injustice), omniprésent chez les Arabes durant la Renaissance », confie Abou-Seada, dont les convictions vont puiser dans la culture orientale, où est enraciné le respect sans limite des droits de l’homme. De quoi l'opposer à d'aucuns estimant que les droits de l'homme sont une invention purement occidentale, tout à fait étrangère aux pays arabes et musulmans. « Or, le premier article de la déclaration internationale des droits de l’homme n’est qu’une parole mémorable d'Omar Ibn Al-Khattab, le deuxième calife : Pourquoi avez-vous assujetti l'homme alors qu’il est né libre ? », explique Abou-Seada, pour qui la culture islamique authentique est une véritable référence pour les droits de l’homme. La preuve, l’islam a garanti la liberté des croyances, ainsi que l’indépendance financière de la femme, plus de 14 siècles auparavant. Liberté qui n'a été accordée que très récemment aux femmes occidentales. De même, l'orthodoxie chrétienne orientale prône la sainteté du corps et lutte contre toutes les formes de tortures.

« Il est temps de filtrer notre culture orientale authentique en effectuant une deuxième lecture plus éclairée, faisant table rase des effets de la colonisation et ceux d'une classe sociale dominante et réactionnaire ».

Abou-Seada a acquis cette manière de voir après un long parcours dans le domaine des droits de l’homme. Mais son expérience en prison demeure un jalon indélébile.

C'est par excellence l'expérience qui l’a attaché le plus à la cause des droits de l'homme. « J’ai été arrêté deux fois. La deuxième fois, j'ai couru la peine de mort, avec pour accusation de faire partie d'un groupe nassérien armé ». La première fois, c’était en 1986. Hafez était alors étudiant à la faculté de droit, celle des leaders politiques comme il le dit si bien. Il avait alors organisé une manifestation contre les Etats-Unis qui avaient détourné un avion égyptien, avec à bord le militant palestinien Abou-Abbass. Et avait revendiqué l'annulation de la loi numéro 79 interdisant aux étudiants toute activité politique au sein de l'université. A l'approche des examens de fin d’année, Abou-Seada — en étudiant détenu — conclut un deal avec la police. « J’ai payé cher l'autorisation de passer mes examens. J’ai été soumis à toutes sortes de tortures jusqu'à avouer la place de mes collègues recherchés par les organes de sécurité ». Il se tait un moment. Une amertume se dessine sur son visage. « Les soldats formant un cercle tout autour me frappaient à tour de rôle. Le torse nu, j'étais suspendu sur une cale. Je suis tombé par terre et l'un des officiers m’a écrasé la tête ». En se rappelant, il ne manque pas de relever l'ironie du sort. Et raconte que des années plus tard, l'un de ces officiers, devenu porte-parole du ministère de l’Intérieur, était invité avec lui pour se prononcer sur la torture en prison, lors d'une émission télévisée. « J'ai continué à défendre Nasser, même lorsque les Frères musulmans le taxaient de bourreau. Je pensais que même si 20 000 personnes ont trouvé la mort pour construire le Haut-Barrage ou atteindre la justice sociale, ce n’était pas pour rien.On pouvait quand même ressentir la dignité de l’être. Et tout autre acquis social ne peut égaler le prix de cette dignité ». Toujours fidèle à ses croyances nassériennes et à la quête de la justice sociale — même au lendemain de la chute de l'ex-URSS — Abou-Seada demeure hanté par les idéaux de cette ère qui n'est plus.

Malgré son hostilité au courant islamiste, il entame sa carrière d’avocat en défendant ses accusés. « En prison, j’ai vraiment pu ressentir l’injustice et le danger que représente la loi d’urgence. J’ai rencontré tant de prisonniers qui ont été arrêtés rien que pour avoir fait la prière dans telle ou telle mosquée. J'ai vu un autre type par exemple qui a été jeté en prison car il s'était disputé avec son épouse dont le père était proche du pouvoir ». Et d'ajouter : « Les organisations internationales et égyptiennes des droits de l'homme constituaient alors à mes yeux une bouée de sauvetage. J’ai décidé d'adhérer à leur cause et de lutter avec l'Organisation égyptienne des droits de l'homme, qui n'était alors qu'une simple pièce de quelques mètres ».

Croyant tellement en la justice de sa cause, Hafez est soucieux de se tenir à l'écart de tout soupçon. Sur ce, il a refusé un prix accordé par l’institution américaine Freedom House pour un rapport élaboré sur les incidents meurtriers du village d'Al-Kocheh (en Haute-Egypte), dont les victimes étaient majoritairement coptes. « Je défends les droits de l’homme sans aucune partialité raciale ou religieuse ».

Ces premières leçons des droits de l'homme, il les a apprises en effet par sa famille, une famille de la classe moyenne où les filles et les garçons étaient traités à égalité. « Quand j'étais incarcéré, ma mère faisait le tour des prisons pour me donner des vêtements ou un repas fait maison. Elle venait régulièrement me rendre visite, bien que j’aie provoqué pas mal d'ennuis à toute la famille. Mais on ne m'a jamais imposé quoi que ce soit et on m’a laissé suivre le trajet que je me suis choisi ».

Hafez tente à sa manière de donner la même éducation à ses deux enfants. « Il est très difficile de convaincre un enfant d'adopter la logique des siens, sans recours à la force. Je mets beaucoup de temps afin de pratiquer ma philosophie au foyer ».

Une fois sorti de prison, Hafez Abou-Seada épouse une de ses collègues, douce et calme, qui a livré une bataille sans merci à sa famille entière pour pouvoir se marier avec lui. « J’ai connu ma femme à l’université. Elle n’avait aucune activité politique, mais cherchait à me rendre service en jouant à la messagère. Quand j'échappais à la police, elle communiquait les messages à mes collègues ». Et de poursuivre avec sa belle histoire d’amour : « Je n'étais qu'un avocat inconnu qui venait de sortir de prison et dont le revenu ne dépassait pas 350 L.E. ». Des assauts à n'en plus finir, des chutes dont certains ne se seraient jamais relevés, la route suivie par ce chevalier des droits de l'homme est un vrai parcours du combattant. Mais il s'alimente aussi de romantisme, un romantisme qu'il va chercher dans les œuvres de Youssef Al-Sébaï, Ihsane Abdel-Qoddous, Naguib Mahfouz ou Gamal Al-Ghitani. « Ce dernier a signé l'agréable histoire de Zini Barakat. Un vrai chef-d’œuvre mettant en relief la répression comme je l'ai ressentie ».

Dina Darwich

Jalons

1969 : Naissance au Caire.

1987 : Maîtrise de droit à l'Université du Caire.

1997 : Secrétaire général de l’OEDH.

1997 : Diplôme de l’université de Miami en éducation civile.

2004 : Membre du Conseil national pour les droits de l’homme.

 
 

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