Qui
aurait dit ? Bchehlé, un village de 2 000
habitants, niché à 1 200 mètres d’altitude
et situé à 83 kilomètres au nord de la capitale
libanaise Beyrouth, est aujourd’hui promis à un
bel avenir. Et pour cause : Bchehlé possède
un riche patrimoine national qui a traversé en catimini
les siècles, sans recevoir le soin ni l’intérêt
qu’il mérite. De quel patrimoine s’agit-il ?
Eh bien, aujourd’hui, l’on parle tout simplement
de l’oliveraie, une oliveraie très vieille, encore
plus vieille que celles rencontrées au Maghreb arabe
et en Espagne, voire même à Jérusalem pourtant renommée
pour ses oliviers vieux de 2 000 ans. A Bchehlé,
ils étaient treize, aujourd’hui ils sont douze oliviers
féconds et vieux d’environ 6 000 ans. Bchehlé,
un nom qui est, selon les historiens, d’origine
araméenne : Betzaal. Bet indiquant le lieu
et zaal signifiant l’élévation et la majesté.
Mais,
comment ce diagnostic a-t-il été établi ? De
nombreuses sources le confirment. Tout d’abord,
par la comparaison du diamètre des troncs. Ensuite,
la méthode utilisée dans les années 1960 par un
père jésuite. Ce dernier a eu recours à la technique
de la tarière pour définir l’âge de ces arbres.
L’instrument utilisé ressemble à un énorme tire-bouchon
qui extrait du tronc « une carotte de bois »,
c’est-à-dire une tige très fine qui va de l’écorce
jusqu’au cœur de l’arbre. Une prise de sang en quelque
sorte. Analysées en France, les stries de l’échantillon
ont confirmé le diagnostic : ces oliviers sont
vieux de six mille ans. Et si cette oliveraie des
douze a bien subsisté, c’est grâce aux paysans qui
l’ont spontanément conservée à travers les siècles
pour son fruit charnu. Autre fait à signaler :
le hasard fait décidément bien les choses. Il y
a une quarantaine d’années, la construction de la
route menant au village avait poussé les habitants
à ensevelir les troncs sous quatre mètres de terre.
Ce qui a largement contribué à leur survie.
Limitée
par les moyens avec un budget variant entre 30 000
et 60 000 dollars, la municipalité de Bchehlé
n’a toujours pas réussi à leur fournir le soin qu’ils
méritent. Sollicités, les ministères concernés se
sont enfermés dans le mutisme. Sur l’initiative
du maire du village et d’un responsable au ministère
du Tourisme, des brochures ont dévoilé le charme
de ce patrimoine. Et la caisse des municipalités
de la région a débloqué 30 000 dollars pour
un plan de réhabilitation destiné à la mise en valeur
et la sauvegarde de ces oliviers. Aussitôt les études
terminées, les travaux débuteront au printemps 2004 :
construction de murs de soutènement, d’arcades et
d’un mur de clôture en pierre taillée, qui fait
la réputation de la région. Objectif : aménager
un parc destiné à accueillir les touristes.
« Soyons
justes, c’est l’olivier », disait Jean
Cocteau. En parlant d’olivier, l’on ne peut s’empêcher
de faire une plongée dans l’Histoire et évoquer
cet arbre « immortel », selon Sophocle,
vénéré comme une relique de la sagesse par les Grecs,
cet « arbre de Minerve » pour les
Romains, l’olea europaea, considéré comme
un emblème de fécondité, de paix et de gloire. Même
la Bible y fait référence montrant la colombe portant
un rameau d’olivier, annonçant à Noé la fin du déluge.
Le Coran également évoque l’olivier comme un arbre
béni. Les traditions juives dans l’Ancien Testament
font allusion à l’huile d’olive, qui était unique
pour donner autorité et puissance aux rois d’Israël.
Cette
plongée historique terminée, il ne s’agit pas en
fait de retracer l’histoire de l’olivier, mais plutôt
de mettre en valeur ce patrimoine national longtemps
délaissé et abandonné par l’Etat. Aujourd’hui, le
plan de sauvetage est destiné non seulement à mettre
en valeur les plus vieux oliviers du monde, mais
aussi à donner à ce projet une envergure touristique
susceptible de drainer des investissements et de
créer des emplois dans ce petit coin presqu’invisible
sur la carte du Liban, mais tout rayonnant de beauté.
Au naturel. |