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Directrice des ouvrages pour la jeunesse à Dar Al-Chourouq, Amira Aboul-Magd n’aime pas les projecteurs ni les éclats publicitaires. Bûcheuse envers et contre tout, elle aime par contre savourer ses succès. Sa maison d’édition participe actuellement à la 21e édition de la Foire du livre pour enfants.
La Minerve des livres

« Je suis contre le mécontentement ». En se joignant aux « gens du livre », c’est-à-dire sa belle-famille, celle d’Al-Moallem, impliquée dans l’édition depuis l’avant-révolution, Amira Aboul-Magd a appris à être plus en harmonie avec elle-même, à ne point se fâcher. C’est quelque chose que l’on apprend sur le tas tout comme le métier d’éditeur lui-même, où tout le monde peut se brouiller pour la moindre raison. Ici, le goût de la brouille est comme un héritage. Car les champs du travail ne sont pas nettement délimités et tout se négocie. « Il n’y a pas de critères fixes dans le domaine de l’édition. C’est comme une vente aux enchères. Personne ne peut trancher et chacun pense détenir la bonne cause. De plus, une crise de confiance s’est installée dans toute la société ». Et d’ajouter : « Autrefois, quand je travaillais dans une banque, le statut de fonctionnaire me mettait à l’abri de cette crise de confiance qui sévit. Par contre, celle-ci trouve son reflet dans notre entreprise familiale. D’aucuns se disent c’est un empire de l’édition, ils ont beaucoup d’argent, donc … Moi, je refuse alors d’avoir autant de forces négatives dans l’air, autant d’escarmouches. Si l’on ne parvient pas à traiter avec moi de manière directe, je m’abstiens ». La finesse de sa nature se reflète sur son maigre visage de Minerve. Et reste de sa voix l’impression d’une musique lointaine. Cette dame, qui est directrice des ouvrages pour enfants à Dar Al-Chourouq depuis voilà huit ans environ, maintient un profil bas. « Je n’aime pas intervenir trop en public. Moi je travaille ! ». Sur ce même ton, elle raconte difficilement son idylle amoureuse avec « l’ingénieur » Ibrahim Al-Moallem, fils de Mohamad Al-Moallem, fondateur de Dar Al-Chourouq. Cette famille d’éditeurs, nationalisée par Nasser en 1966, était partie pour Beyrouth afin d’installer sa maison d’édition. Quelques années plus tard, « l’ingénieur Ibrahim », comme tout le monde se plaît à l’appeler, cherche à obtenir un crédit auprès d’une banque privée pour son imprimerie au Caire. Il se rend alors à l’établissement où travaillait Amira Aboul-Magd, laquelle est chargée d’effectuer les études de faisabilité. Provenant elle-même d’une famille d’intellectuels, étant la fille du penseur et professeur de droit Ahmad Kamal Aboul-Magd, elle se sentait proche du monde des livres et a fourni une étude assez minutieuse. Sans étayer les détails, elle se contente de mentionner timidement la date du mariage en 1989. « Mon beau-père (décédé en 1995) était L’éditeur par excellence. Avant de mourir, il avait de graves problèmes cardiaques. A l’hôpital, il était très soucieux de connaître les détails concernant les nouveaux équipements médicaux et demandait à ses fils de se renseigner auprès de la direction pour ajouter les informations à l’encyclopédie scientifique arabe, qui était en cours d’élaboration ».

Le travail d’éditeur confère une agréable sensation de puissance, de responsabilité. Une lueur de douceur miroite dans les yeux d’Amira Aboul-Magd, lorsqu’elle évoque leur business et l’attitude différente des « gens du livre », dont le produit final a une valeur esthétique et culturelle en soi. Pour elle, c’est une affaire respectable et solide … quelque chose de plus qu’une simple affaire commerciale. On ne se borne pas à faire du business, mais on goûte aussi les bonnes choses de la vie : l’art, les pensées, les amis que les publications amènent, etc. « Je me considère chanceuse d’avoir connu un artiste dévoué comme Helmi Al-Touni, en collaborant avec lui à des illustrations. De même, en s’approchant de l’écrivain et journaliste, Mohamad Hassanein Heykal, dont les œuvres complètes sont publiées chez nous, l’on comprend mieux pourquoi il a réussi sa vie. Il donne à la personne devant lui l’impression qu’elle est la reine d’Angleterre, tellement il respecte l’être humain. Certes, j’ai aussi rencontré des gens dont les personnalités laissent à désirer ». Après des années de mariage, elle s’est sentie prête à entrer dans le business familial, mais c’est surtout pour développer la catégorie des ouvrages pour la jeunesse. Etant psychologue de formation, intéressée de surcroît par la psychologie de l’enfant, la nouvelle tâche lui convenait à merveille. « Rien n’équivaut au sentiment d’avoir un livre achevé entre les mains. Cela me donne satisfaction. Avant, j’étais appréciée par mes supérieurs à la banque, là je suis comblée de joie », dit-elle d’un ton enjoué, précisant : « Je voyageais avec mon mari d’une foire à l’autre. C’est dur de se rendre aux foires de Francfort ou de Boulogne, de vivre leurs coulisses, sans vouloir faire de l’édition son métier ». Ceci dit, elle a fini par partager le rêve de toute une famille et d’acquérir un flair qui n’est pas donné à quiconque. Elle sait décerner les idées susceptibles de créer un bon livre pour enfants et réécrit certains textes pour les rendre publiables ou plus adaptables à la mentalité des petits. « Il y a des gens qui insistent à écrire pour les jeunes, je ne sais pourquoi. Ils optent pour des idées très didactiques, alors je leur répète souvent que l’enfant ne va pas payer un livre de son argent de poche pour se taper une leçon de morale. Il ira sans doute acheter des livres plus attrayants. Parfois aussi, les auteurs ont tendance à faire parler les enfants comme les grandes personnes. Je tiens alors à simplifier le langage du héros, préservant l’esprit enfantin ». Si elle ne peut pas écrire des livres, elle aime à se charger de ceux des autres. Et si elle n’a pas eu d’enfants, elle s’occupe indirectement de ceux de tous les autres, sachant qu’à travers ses bouquins, c’est leur identité qu’elle développe. « Trouver quelque chose d’authentique, quelque chose qui se proclame vraiment de l’Egypte n’est pas évident. On me présente souvent des idées qui peuvent exister n’importe où. Oui mais même si les costumes se ressemblent désormais partout dans le monde, il y a toujours un facteur identifiable. Moi je reconnais un Egyptien, vêtu à l’européenne, qui se ballade en Occident, rien qu’en remarquant des petits détails vestimentaires. C’est d’ailleurs ce facteur identifiable que nous recherchons à Dar Al-Chourouq ». Elle souligne ensuite l’importance du politique : « Si des Indiens et des Coréens ont été vivement intéressés par la collection SunFlower, regroupant 20 livres édités en anglais, cela veut dire qu’ils adhèrent à leur tour au large mouvement contestataire d’anti-occidentalisation faisant tâche d’huile et qu’on ne peut pas rester totalement à l’écart de la politique ». Dans la même logique justement, l’Egypte a vu augmenter le nombre d’auteurs et illustrateurs pour enfants, ces dernières années. La raison en est simple, encore une fois le politique est montré du doigt. La première Dame, Suzanne Moubarak, en fait une priorité et décerne depuis 10 ans un prix qui porte son nom aux éditeurs, auteurs et dessinateurs des livres pour la jeunesse. « Avant, Dar Al-Chourouq a été presque toujours lauréat de ce prix, maintenant il y a de la compétition, c’est plus agréable », dit-elle, dans son bureau ensoleillé, du style classique avec des décorations enfantines : marionnettes à gant, dessins puériles, etc.

Durant les huit ans où elle a été en charge de la section Jeunesse, la maison a produit 150 livres du genre et a reçu trois prix internationaux, notamment à la Foire internationale de Boulogne pour les livres d’enfants, en 2000, 2002 et 2003. Toutefois, le produit demeure très cher.

Désaffection du public, manque de statistiques fiables sur les ventes et la diffusion, Amira Aboul-Magd déplore facilement l’absence de sources biblio-économiques égyptiennes. On accorde peu d’intérêt aux pratiques du consommateur culturel, d’où une lacune sociologique énorme. « On n’a pas une base de données centrale, et les chiffres sont très aléatoires, du coup la puou la réédition d’un livre constitue un gros risque. En Occident, les éditeurs ne tiennent pas des librairies ou des points de vente, c’est tout un autre business. Ici, on est obligé d’avoir les nôtres pour diffuser nos produits ». Sous les yeux, elle a d’ailleurs des listes en provenance de leurs trois points libraires au Caire et à Alexandrie, faisant le total des ventes. Et toutes les fois qu’elle a besoin d’une information élaborée ou d’un chiffre précis, elle a recours automatiquement à son mari, l’ingénieur Ibrahim, également président de l’Union des éditeurs arabes. Lui, il a une vue plus globale des choses, alors qu’elle s’attarde plus sur les détails concernant son service. « J’ai fait des stages en Allemagne, il y a deux ans. Des éditeurs venaient nous parler en toute transparence. J’ai dit que jamais un éditeur égyptien ne parlerait aussi ouvertement. Le manque de transparence dont on souffre en Egypte relève de problèmes sociaux. Les gens ont toujours peur de quelque chose, des taxes, du mauvais œil … ». Amira Aboul-Magd poursuit ensuite son approche sociologique, essayant de voir clair à travers le prisme. Elle évoque la nature des héros décrits souvent par les auteurs : « Ils construisent leurs intrigues autour de valeurs et principes plutôt qu’autour du héros. Ils ne considèrent pas ce dernier comme un personnage à part entière, mais comme un outil de narration ou d’explication. Cela provient peut-être du fait que l’on perçoit l’enfant comme un prolongement de soi, de l’adulte et non comme un humain ». L’une des expériences dont elle est fière a été sa collaboration avec l’analyste et essayiste, Abdel-Wahab Al-Messiri, lequel a publié chez Dar Al-Chourouq les contes écrits il y a 20 ans, à l’attention de ses enfants. Ce dernier a retouché les contes universels comme Le Petit chaperon rouge ou Cendrillon afin de les « égyptianniser » et les imprégner de son cachet philosophique.

Le crayon en main, dans l’attente du prochain manuscrit, écrire son propre texte lui chatouille parfois l’esprit. Amira pense déjà à une idée dont les événements se déroulent au Caire et où l’on voit vraiment la ville par les yeux d’un petit garçon contemporain : le bus rouge du transport en commun, le pont Qasr Al-Nil … Bref, un ouvrage qui visualise la mémoire contemporaine et crée un lien entre les enfants de cette génération très hétérogène. « Les publicités et les anecdotes issues de pièces de théâtre célèbres constituaient à titre d’exemple une référence commune à ma génération. Actuellement, les écarts entre les gens sont tellement énormes qu’ils ne possèdent plus de liens communs. A travers ce genre d’ouvrages dont je rêve, on pourrait donner lieu à une culture populaire, à un lien entre les enfants de cette génération, qui regardent chacun sa chaîne télévisée ou qui vont chacun dans une école très différente selon qu’ils sont riches ou pauvres ». Le sujet lui tient à cœur. Elle, qui a fait ses études chez les religieuses catholiques de Saint-Clair, ensuite à l’Université américaine du Caire, ressentait moins les écarts sociaux et les divergences. Dans le temps, les écarts n’étaient pas aussi flagrants, aujourd’hui elle essaye de les réduire à sa façon.

Dalia Chams

Jalons

1982 : Diplômée en psychologie à l’AUC.

1997 : Directrice des ouvrages pour la jeunesse à Dar Al-Chourouq.

2000 : Premier prix international remporté par la maison d’édition, à Boulogne, pour l’ouvrage sur La vie de Mohamad (Hayat Mohamad).

2004 : Les droits de Sahbi al-guédid (Mon nouveau copain), livre pour enfants publié par Dar Al-Chourouq, sont achetés par un éditeur allemand. Actuellement en vente sur le marché allemand.

 

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