Al-Ahram
Hebdo : Comment voyez-vous la situation en Iraq d’ici la tenue
des élections ?
Javier
Solana : Je crois que c’est la situation sécuritaire qui
va dominer d’ici cette échéance. Nous espérons que les opérations
militaires seront terminées et qu’il y aura la possibilité
d’une réconciliation nationale avant le scrutin de janvier.
Il faudrait encore voir les listes électorales. A mon avis,
tout le monde doit participer à ces élections et ce serait
vraiment une grande erreur que d’écarter certains groupes.
—
L’Union Européenne (UE) avait parlé d’une sorte de paquet
à offrir à l’Iraq. Quelle est exactement cette offre ?
—
C’est un paquet destiné plutôt à la phase de l’après-élection.
Il a des composantes de nature économique et commerciale.
Il couvre aussi la coopération pour l’entraînement de la police,
et un projet de coopération avec le gouvernement qui va naître
des élections dans des domaines comme la justice ou l’éducation.
—
Mais d’ici la fin du scrutin, comment l’UE pourrait-elle aider
concrètement les Iraqiens ?
—
La seule manière que nous connaissons doit être collective
en tant qu’Européens parce qu’il y a des Etats membres qui
sont déjà engagés du point de vue militaire dans la coalition
en Iraq et d’autres qui sont engagés dans l’entraînement des
forces armées ou de la police iraqienne. L’aide économique
ne manque pas non plus avec nos démarches au sein du club
de Paris pour la réduction de la dette de l’Iraq. En tant
qu’Européens, la seule chose que nous pouvons faire est de
voir si l’entraînement de la police pourrait être plus rapide,
même si l’UE comme telle n’a pas de forces déployées sur le
terrain et donc du point de vue de la sécurité nous ne sommes
pas capables d’être présents maintenant.
—
Est-ce que l’Europe pourra contribuer à promouvoir le dialogue
intercommunautaire en Iraq ?
—
Lors de la conférence de Charm Al-Cheikh sur l’avenir de l’Iraq,
plusieurs pays avaient évoqué la possibilité de tenir une
conférence inter-iraqienne de réconciliation avant les élections,
comme ce que propose le Bahreïn. Mais il n’y a pas eu de décision
finale sur ce sujet. Cela va dépendre de la volonté et de
l’état d’esprit du gouvernement provisoire. Ce n’est pas une
tâche qui incombe à l’UE, elle revient plutôt au gouvernement
iraqien et aux pays de la région. Quant à nous en Europe,
nous pourrons contribuer avec des idées politiques ou bien
avec l’aide économique avant ou après les élections. Mais
un projet de cette nature, je pense qu’il correspond aux autorités
iraqiennes.
—
Cette question, comme celle de la condamnation de l’utilisation
exagérée de la force, n’avait-elle pas provoqué des différends
lors de cette conférence ?
—
Il y a eu certainement des différences de vue. Certains pays
ont évoqué les interventions à Falloujah et demandé s’il s’agit
d’une utilisation exagérée de la force ou non. Mais au-delà
des différends sur la façon dont est géré l’Iraq au jour le
jour, l’objectif fondamental de tous les participants était
de voir l’Iraq stabilisé. En d’autres termes de tenir des
élections et d’avoir un Iraq qui peut jouer un rôle correspondant
à un pays de sa dimension, de sa taille et de son potentiel.
Sur cela, je pense que tout le monde était d’accord. Ce qui
était important aussi, c’est que tous les pays voisins de
l’Iraq étaient présents à la réunion et ont participé de manière
constructive, ce qui veut dire qu’aucun d’entre eux ne veut
profiter de l’instabilité de l’Iraq.
—
Est-ce que cette entente pour soutenir la stabilité en Iraq
représente un tournant dans la position de certains pays,
comme l’Iran ?
—
L’Iran a eu une participation très constructive, ceci bien
entendu tout en critiquant l’occupation. Mais du point de
vue électoral, les Iraniens étaient très clairs, ils ont affirmé
vouloir des élections au dernier jour de janvier 2005 comme
ceci a été fixé par le gouvernement provisoire. Et sur cette
question, je peux dire que les Iraniens et les Américains
étaient d’accord, pour une fois.
—
Vous avez tenu également une réunion du Quartette, dans quelle
mesure était-elle importante ?
—
C’était la première rencontre du Quartette après la mort du
président Yasser Arafat. Elle a été très importante dans la
mesure où elle nous a permis de faire le point après mon récent
voyage à Ramallah et mes conversations avec les Israéliens
ainsi qu’après la visite de Colin Powell à Jéricho. Les impressions
que j’ai eues et celles de M. Powell étaient plus ou moins
les mêmes. Nous pensons tous les deux que les responsables
palestiniens sont bien engagés pour maintenir l’unité et assumer
cette responsabilité de combler le vide provoqué par la disparition
d’Arafat. Je pense qu’ils sont également prêts à participer
de manière très forte à la campagne électorale pour légitimer
la prochaine direction palestinienne. Nous croyons aussi qu’ils
sont en train d’essayer de mener un dialogue avec les groupes
qui ne font pas partie du Fatah. Dans le même temps, je crois
qu’ils essayent de créer au sein de ce mouvement le plus d’unité
possible. Il faut donc noter que l’esprit est constructif.
—
Qu’en est-il du côté israélien ?
—
Nous pouvons aussi voir des efforts de la part des Israéliens
pour que les élections puissent se dérouler sans difficulté
majeure. Ils commencent ainsi à parler de manière positive
des élections, même à Jérusalem, de la liberté de mouvement
au cours de la campagne électorale présidentielle, ainsi qu’au
jour des élections. Plusieurs semaines nous séparent encore
des élections, alors il est encore trop tôt pour dire comment
celles-ci peuvent vraiment se dérouler, mais j’espère que
le comportement de tout le monde, que ce soit du côté palestinien
ou israélien, sera constructif. En tout cas, ils doivent s’assurer
que la communauté internationale déploiera tous les efforts
nécessaires pour garantir le bon déroulement des élections.
—
Peut-on parler, après les élections, d’un calendrier précis
pour la relance des négociations entre Palestiniens et Israéliens
?
—
C’est difficile de faire un calendrier précis maintenant,
mais à partir des élections du 9 janvier, lorsqu’il y aura
une direction politique légitimée par les votes des citoyens,
ce sera alors le moment d’entamer des contacts entre les deux
parties ainsi que de mettre en place l’application de la feuille
de route, qui pour tout le monde se maintient comme l’objectif
le plus rapide pour parvenir aux négociations finales.
—
Qu’est-ce qui se passera, selon vous, maintenant que Marwan
Barghouti a choisi de présenter sa candidature aux élections
présidentielles ?
—
Il est difficile de prévoir maintenant quelle sera la réaction
des Palestiniens, puisqu’il y a aussi un candidat du Fatah,
Mahmoud Abbas, qui va se présenter aux élections. J’espère
que les deux, en tant que membres du Fatah, peuvent discuter
de cette affaire entre eux .