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Coptes
. C'est un cinéma à part, écrit, joué et produit par des
chrétiens, pour des chrétiens. Il diffuse un message purement
spirituel, sans se soucier pour le moment de qualité artistique.
Le risque de dérapage commercial conduit les autorités religieuses
à s'y intéresser de plus près. |
Les
saints, nouvelles stars des écrans |
Sur
le mur de la bibliothèque d’une église de Choubra, une affiche
est suspendue. On peut y lire : « L’église Saint-Georges
Héliopolis a l’honneur de vous informer de la sortie de son
dernier film (Sainte Anastasie) avec, pour la première fois,
la participation de deux grandes stars du monde du cinéma, Emane
et Ibrahim Khan ». C'est une manière d'informer tous
les fidèles de la sortie d'un nouveau film chrétien. Un événement
de taille qui fera bientôt le tour de toutes les églises d’Egypte.
De la vallée Al-Natroune en passant par la Haute-Egypte, le
Delta, le Sinaï et les villes du Canal de Suez, la projection
de ce film se fera dans toutes les églises, monastères, bibliothèques
chrétiennes et centres d’audiovisuel, et sera commercialisé
sous forme de vidéocassette, CD ou DVD. Car, jusqu'à ce jour,
aucune salle dédiée à ce type de cinéma n'existe dans le pays.
Pourtant,
cette activité n’est pas nouvelle pour l’église égyptienne.
Depuis 20 ans, cette dernière utilise la production cinématographique
au profit de la religion. L’histoire a commencé au début des
années 1980, lorsque le célèbre metteur en scène Samir Seif,
chrétien de confession, a eu l’idée de réaliser un film sur
la biographie de la Sainte Demiana, l’une des plus jeunes martyres
de l’histoire de l’Eglise copte. L’idée a plu à plusieurs personnalités
chrétiennes et a fini par se concrétiser. Sponsorisé par le
monastère d’Al-Maassara, l’équipe du film a fait du bénévolat.
Une coopération qui a donné naissance au premier film chrétien.
Ayant rencontré un grand succès auprès de la communauté chrétienne,
ce même réalisateur décide de réaliser trois autres films qui
racontent les vies de trois saints de l’histoire chrétienne,
dont Mary Morcos (saint Marc) et Mary Mina. Aujourd’hui, et
vingt ans après la sortie du premier film, acteurs, producteurs,
distributeurs et metteurs en scène ont acquis une grande expérience
et se sont spécialisés dans ce genre de cinéma. Et si la première
équipe de travail s’est portée bénévole et a offert son produit
artistique à l’église, aujourd’hui, ces films sont devenus une
des seules sources de revenus pour un bon nombre de professionnels.
Rien
de surprenant quand on sait que chaque année une trentaine de
films de ce genre sortent sur le marché. Un business en effervescence
qui a ses propres stars. Magued Tewfiq est à l'unanimité la
plus grande star de ce petit monde. Avec 16 ans d’expérience
dans le domaine, il a été le metteur en scène de 31 films chrétiens.
Pour lui, tout a commencé par hasard. A un âge très précoce,
sa fille, Nermine, était déjà une artiste en herbe. Il a voulu
l'aider à développer ses talents dans une activité artistique.
« Je tenais à ce que cette activité se fasse sous la
tutelle de l’église. C’est là que l’idée m’est venue à l’esprit.
Ma fille avait à peine 6 ans et j’étais réalisateur pour la
télévision égyptienne. Je me suis donc dit pourquoi ne pas profiter
de nos deux talents pour monter un projet artistique »,
se remémore Magued Tewfiq. Il propose son idée à un prêtre de
l’église Mar Guirguis d’Héliopolis qui assumera les frais de
la production du film. « Il m’a remis 5 000 L.E.,
une somme amplement suffisante à l’époque. Et c’est ainsi que
le premier film chrétien pour enfants est né, Aya likol
harf (Un verset pour chaque lettre). Il a pour but d’aider
les enfants dès leur plus jeune âge à apprendre par cœur des
passages de la bible ». |
Diffusion
élargie du message religieux |
De
succès en succès, les films chrétiens sont donc devenus une
des activités importantes de l’église. Et leur influence sur
les fidèles ne se dément pas. Tirant leurs scénarios des biographies
des saints et héros de l’histoire chrétienne, ces films ont
un impact magique sur les téléspectateurs. « Il suffit
de peu d’effort, qu'ils s'agissent du jeu ou de la production,
pour que les fidèles soient affectés par le contenu du film
et en tirent des leçons », assure Nagui Saad, acteur
qui a joué dans plusieurs films chrétiens et feuilletons diffusés
à la télévision. « La culture copte sacralise ses saints,
ce qui explique qu’en regardant ces films, les fidèles se sentent
proches d’eux et se laissent envoûter par l'histoire »,
ajoute Ivone Nabil, actrice qui a joué dans une dizaine de films
religieux. Et ce n’est pas la seule raison. Ces films insistent
souvent sur les miracles accomplis par le héros de l’histoire
ou les tortures qu’il a subies sous le pouvoir romain, époque
de la persécution des coptes. Des scènes qui font vibrer des
cœurs et qui affectent profondément les fidèles.
Le
film Réfaa, qui raconte l’histoire d’une mère et de ses
cinq enfants ayant trouvé la mort sous la torture, en est un
exemple concret. « Ce film était médiocre du point de
vue technique, pourtant il a réalisé un chiffre record d'entrée,
quelque 300 000 vidéocassettes ont été vendues. Et ce,
parce que le film relatait une histoire très émouvante »,
explique Adel Ghattas, distributeur de films chrétiens.
Autre
raison du succès : ces films ont facilité la tâche à des
milliers de fidèles analphabètes ou âgés. Ces derniers n’étant
pas capables de lire des livres religieux, ils ont trouvé dans
ces films la seule source d’information et de culture religieuse.
« Dans les villages comme dans les villes, avoir une
collection de films religieux est devenue une source de bénédiction
au sein d'un foyer. Grâce à de tels films, la famille peut apprendre
l’histoire de son église par les images. Une femme au foyer
peut occuper son enfant le temps de terminer les tâches ménagères
en lui mettant un film. Non seulement elle aura la paix, mais
elle lui permettra de connaître les héros qui ont marqué l’histoire
de sa religion », dit Farid Al-Noqrachi, acteur de
renommée dans ce domaine.
C’est
d’ailleurs grâce à ces films que ce jeune acteur a tiré sa célébrité.
Ayant fait des études de théâtre, il a joué ses premiers rôles
dans les films chrétiens. Aujourd’hui, son nom a dépassé les
frontières de l’église. Tout comme d'autres noms de jeunes acteurs,
à l'exemple de Emad Al-Raheb, Chahira Fouad, Ihab Sobhi qui
ont joué leurs premiers rôles dans le cinéma chrétien et qui
commencent à se faire un nom en dehors de ce cercle. |
Qualité médiocre
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Un
phénomène assez nouveau, selon Al-Noqrachi. Car la culture
chrétienne, plus ou moins conservatrice, n’encourageait pas
les jeunes à se lancer dans le monde artistique. Ainsi, les
plus talentueux étaient condamnés à se contenter de jouer
des rôles dans le cadre d’activités religieuses diverses.
« Les festivals de théâtre organisés par les églises
étaient d’ailleurs une chance pour les metteurs en scène de
découvrir de nouveaux talents et de trouver des acteurs convenables
pour des rôles dans des films chrétiens », explique
Magued Tewfiq.
Aujourd’hui,
les choses ont changé et les jeunes talents chrétiens ont
plus d’audace. Ils ont prouvé leurs compétences dans le cinéma
égyptien. Ainsi, au cours des dix dernières années, l’échange
de talents entre ces deux mondes est devenu plus fréquent.
Il n’est donc pas étrange de savoir que des noms comme Sanaa
Gamil, Youssef Daoud, George Sidhom, Hani Ramzi, Imane et
d’autres acteurs chrétiens ont joué des rôles très réussis
dans des films chrétiens et sont en même temps parmi les stars
les plus connues du cinéma égyptien. Une preuve d’ouverture
de la part de l’Eglise, mais aussi de volonté d’améliorer
le niveau des films chrétiens tout en ramenant des stars professionnelles.
Pourtant,
il reste beaucoup à faire. Pour la plupart des spécialistes
du domaine, le niveau technique et artistique des films chrétiens
reste médiocre. « Des scénarios faibles, de petits
budgets et des acteurs peu doués transforment l'œuvre finale
en un produit qui laisse à désirer », déplore Adel
Ghattas. La raison selon lui, en est que l’on continue à cataloguer
le film chrétien comme un produit à but purement religieux
non pas en tant qu'œuvre artistique.
« Pourtant,
par piété ou par quête d’un gain facile, tout le monde veut
investir son argent dans ces films. J’ai même appris qu’un
commerçant de Wékalet Al-Balah était en train de préparer
un film chrétien qui sera bientôt vendu sur le marché »,
dit Waël Attiya, l’un des plus grands producteurs de films
chrétiens. Pour lui, cette invasion risque de porter atteinte
à toute la profession en offrant au public des films de très
faible qualité. « Ce sera du commerce au nom de la
religion », dit Adel Ghattas.
Mais,
il est peut-être trop tôt pour juger. Car plusieurs considèrent
que cette période est transitoire et que des lois strictes
viendront organiser ce marché. Aujourd’hui, l’Eglise est en
train d’étudier la constitution d’un jury qui aura pour tâche
d’étudier au préalable les scénarios de ces films, un comité
d’experts se chargera de vérifier les informations historiques
alors que d’autres plus ambitieux ont proposé l’idée de créer
un festival annuel de films chrétiens. Des initiatives qui
auront forcément leur impact sur la qualité de ces films.
Mais en attendant, les fidèles continueront à chercher la
bénédiction dans les films qui sont actuellement entre leurs
mains.
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Amira
Doss |
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