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Voile islamique . Le soutien du cheikh d'Al-Azhar au ministre français de l'Intérieur lors de sa visite en Egypte a exacerbé le mécontentement et le débat sans pour autant offrir aux musulmanes de France une solution pratique.
Entre foi et loi

Mission délicate en Egypte pour Nicolas Sarkozy, ministre français de l'Intérieur, qui est arrivé en fin d'année presque sous le sceau du secret, du moins de la discrétion. Visite privée a-t-on dit, suivie d'entretiens, dont un avec le cheikh d'Al-Azhar, Mohamad Sayed Tantawi, et trois autres, respectivement avec son homologue égyptien Habib Al-Adeli, le chef de la diplomatie égyptienne, Ahmad Maher, et le chef du service des renseignements égyptien, Omar Soliman. Le mufti d'Egypte, le cheikh Ali Gomaa, était présent aux allocutions publiques du cheikh d'Al-Azhar, mais n'a pas assisté à la rencontre privée qui l'a suivi. Au terme de cette dernière, Sarkozy obtenait de la plus haute autorité de l'islam sunnite, l'imam d'Al-Azhar, le cheikh Tantawi, que Paris « avait le droit d'interdire le voile islamique, notamment à l'école publique et que le cas échéant, les musulmanes de France devaient se plier à cette interdiction » et d'ajouter tout de même que « le voile est une obligation divine pour la femme musulmane ... Aucun musulman, qu'il soit gouvernant ou gouverné, ne peut s'y opposer ». Ce discours de bienvenue à Sarkozy répondait donc à la décision du président Jacques Chirac, suivant les recommandations d'une commission de sages de trancher en faveur d'une loi pour interdire à l'école publique les signes religieux ostensibles comme le foulard islamique, la kippa juive et les grandes croix chrétiennes. Le cheikh d'Al-Azhar a d'autant plus soutenu cette décision qu'il a affirmé, des versets coraniques à l'appui, qu'une « musulmane qui se conforme à la loi d'un pays non musulman n'a pas à craindre le châtiment divin », cela relève-t-il selon lui d'un « fiqh (jurisprudence) de la contrainte, c'est-à-dire là où le musulman, dans certaines conditions, est contraint de se plier aux lois de l'autorité de tutelle ».

Une opinion qui relève un peu de la casuistique selon certains observateurs. Elle confirme le voile comme obligation tout en faisant part de dérogations possibles en cas d'extrême nécessité. Sarkozy l'a très bien accueillie. Tout en justifiant la décision française, réaffirmant le fait que « la laïcité c'est la neutralité de l'enseignement public pour tout le monde. Il ne s'agit pas de désigner spécialement les musulmans ... Il n'y a pas de droit sans devoir. Si les musulmans de France ont les mêmes droits que les autres fidèles, ils ont les mêmes devoirs ». Avant d'ajouter : « Je vous remercie, grand imam d'Al-Azhar, d'avoir indiqué que dans un pays laïc non musulman, le devoir de chacun c'est de respecter la loi de ce pays ».

Ces échanges amicaux semblent avoir ouvert la boîte de Pandore. Le cheikh d'Al-Azhar a été vivement pris à partie par tous les cercles religieux qui ont condamné la décision et aussi ce blanc-seing accordé à la France par le cheikh d'Al-Azhar. Même le mufti d'Egypte s'est désolidarisé, mettant en garde la France contre une telle loi, déclarant à la presse : « Je le répète à nos frères Français ... J'espère d'eux qu'ils ne tomberont pas dans une telle erreur, qui contredirait la laïcité et détruirait la paix sociale dans la société française ».


Une contestation presque unanime

Les arguments contraires à un cheikh d'Al-Azhar déjà contesté sur beaucoup d'autres points par des religieux radicaux n'ont pas cessé. Le groupe parlementaire des Frères musulmans se faisant appeler « Le bloc islamique » a dénoncé « l'appui apporté par le cheikh d'Al-Azhar à la décision française, indiquant dans un communiqué : « Les déclarations du cheikh d'Al-Azhar ont frappé les fils de la nation musulmane comme la foudre, causant tristesse et colère », appelant les autres oulémas à « s'unir contre ces propos qui ont porté un coup aux principes de l'islam ».

Quelle alternative ? Face à cet état de choses, le président Hosni Moubarak a réagi et, dans un appui implicite au grand imam, a affirmé que l'affaire du voile était « une affaire interne dans laquelle nous ne pouvons nous ingérer ou dire non ». Pour le président de la République, d'ailleurs, « la divergence des opinions exprimée par les oulémas sur cette affaire témoigne d'un débat sain », tout en insistant tout de même que la « décision française s'appliquait à d'autres religions et non seulement aux musulmans ».

Pourtant, c'est justement cet argument qui est loin de faire l'unanimité. Fahmi Howeidi, intellectuel égyptien et islamiste modéré, déclare : « Contrairement à ce que les Français disent, le voile est une pratique religieuse au même titre que la prière par exemple et non pas un symbole comme la croix et même la kippa ». Ce qui rejoint les propos relevés dans la pétition adressée au président Chirac et diffusée au monde entier à travers le site Internet islam-online.net. Celui-ci est l'un des plus fréquentés en Egypte et dans le monde arabe et il est utilisé par le prédicateur très populaire et très à la mode Amr Khaled. Dans ce document, il est rappelé : « Selon votre discours, il sera permis aux chrétiens de porter de petites croix et aux juifs de porter leurs étoiles de David qui sont des signes religieux. Et la musulmane n'a qu'à porter la main de Fatma qui n'a aucune relation avec la religion, mais qui vient du folklore de quelques pays. Monsieur le Président, ça ne nous intéresse pas de porter la main de Fatma. Tout ce que nous voulons c'est de ne pas priver les musulmanes de leur foulard, ce qui est une obligation pour elles ».

Ceux qui sont contre la décision considèrent ainsi que les Français n'ont pas saisi le sens du foulard pour la musulmane comme étant une prescription religieuse, contrairement à la croix et la kippa qui sont des signes religieux facultatifs. D'autres vont plus loin encore, comme l'ouléma égyptien Youssef Qaradawi qui intervient à travers la chaîne Al-Jazeera et qui est l'une des voix les plus entendues dans le monde musulman. Il a affirmé qu'en plus que « d'être une obligation religieuse et non un symbole comme la France insiste à le croire, le hidjab est une liberté personnelle », remettant donc en cause la « perception erronée qu'ont les Français de l'habit islamique et l'interprétation trompeuse de la laïcité ». Ce cheikh considère que le port du voile n'est pas contradictoire avec les principes de la « laïcité libérale qui adopte une attitude neutre de non soutien et de non rejet de toutes les religions, considérant ainsi la justification française illogique, puisque la laïcité occidentale garantit bien au contraire la liberté d'expression des religions, contrairement au sécularisme marxiste qui est hostile aux religions ». Qaradawi et ses suivants, auteurs de la pétition à présenter à Jacques Chirac, basent leurs arguments sur l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui prévoit que : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites ».


Une question des droits de l'homme

Le débat s'est ainsi placé sur plusieurs niveaux, dont celui des droits de l'homme. Empêcher le port du voile est une « mesure hostile à la religion, puisque la loi française protège la liberté de culte », estime de son côté Howeidi qui considère d'ailleurs que cette décision est une « entrave à l'intégration », contrairement à ce qui est apparemment visé par une telle mesure. D'ailleurs, d'après la pétition, une musulmane s'intégrera peu à une société qui prive « une citoyenne de son droit à la décence et se sentirait par conséquent isolée du reste de la société française ».

Reste à savoir que proposent les adversaires de la décision françaises aux musulmanes de France ? Faut-il s'y plier ? Un oui, mais. Selon Abdel-Moeti Bayoumi, écrivain islamiste se déclarant opposé aux opinions du cheikh d'Al-Azhar, la questest franco-française, mais « Paris devrait tenir compte des libertés religieuses, de la liberté des musulmans et des musulmanes dans l'application des exigences de leur religion. Ce n'est pas une affaire intérieure seulement, mais aussi une cause islamique. Le législateur français doit tenir compte des sentiments des musulmans ». Le mufti d'Egypte, pour sa part, n'a proposé aucune alternative aux musulmanes de France.

Evidemment, Bayoumi comme Howeidi ne peuvent pas demander expressément aux musulmanes de rejeter une telle loi si elles se veulent citoyennes françaises. Cependant, ils proposent d'agir sur le plan des droits de l'homme. C'est-à-dire une sorte de militantisme qui encouragerait les Français à revoir leur politique. Ceci d'autant plus que pour Howeidi, les dessous de l'affaire sont plus politiques qu'autre chose : « Chirac veut gagner les voix des électeurs de l'extrême-droite aux prochaines régionales. Il veut éviter des gains de Le Pen et du Front national sur la base d'un rejet de l'immigration et de ses symboles ».

La visite de Sarkozy a donc politisé le port du voile. Elle a aussi rappelé aux musulmans qu'ils formaient une oumma au-delà des frontières nationales. Depuis sa venue, le débat ne cesse de se poursuivre, alors que pour les musulmanes de France, la question reste entière, voire beaucoup plus floue, puisque même si Al-Azhar a donné son aval, des oulémas d'une grande renommée s'y sont opposés. Une seule chose est claire : si la loi est votée par le Parlement, les partisanes du voile devront s'y plier, même si le fond du problème restera entier.

Nabila Massrali
Ahmed Loutfi

La problématique égyptienne

Le débat sur le voile relancé à la suite de la visite du ministre français de l'Intérieur à Al-Azhar est venu mettre en relief la problématique du hidjab en Egypte. Dans un pays pourtant musulman, cet habit considéré comme un acte de foi, voire une sorte de pratique religieuse, n'est en effet pas toléré partout.

Dès le XIXe siècle est né en Egypte un mouvement de renaissance et de contestation intellectuelle, la Nahdha, qui a revendiqué une relecture des sources coraniques, et réclamé qu'on ôte le voile.

Quelques années plus tard, en 1923, la féministe égyptienne Hoda Chaarawi jette son voile à la mer à son retour d'Italie. En 1924, Atatürk interdit le voile en Turquie. En 1935, le shah fait de même en Iran. Le voile refait son apparition au milieu des années 1970. Depuis, un débat oppose libres penseurs ou laïques aux religieux sur le fait de savoir s'il s'agit oui ou non d'une obligation. Et s'il n'est pas question d'un accent mis sur des aspects formels par rapport à la religion. Avec le pouvoir grandissant des hommes de religion dans le pays et la ferveur religieuse croissante de la société, le voile est plus ou moins sorti victorieux de ce débat.

Il reste qu'il n'est pas toléré partout. La télévision d'Etat refuse d'admettre les speakerines portant le voile, les reléguant à l'arrière-plan pour d'autres genres de travaux. Récemment, un procès a été intenté par certaines d'entre elles devant le Conseil d'Etat qui leur a donné raison. Mais d'ici à une application, il n'y a qu'un pas qui est difficile à franchir. Les responsables évoquent une loi non écrite qui laisse entendre qu'il n'est pas question pour une présentatrice de mettre le voile. Hôtels et certains autres établissements le rejettent également. Un procès retentissant vient d'avoir lieu à EgyptAir, la compagnie nationale égyptienne, une hôtesse de l'Air ayant été transférée à un autre service parce qu'elle portait un foulard.

Toujours est-il que ces mêmes télévisions d'Etat et radios font de la publicité pour cet attribut vestimentaire à travers leurs programmes religieux. Et d'autres établissements font souvent pression, toujours sans loi écrite, pour un port obligatoire du voile, notamment les banques dites islamiques. Il est certain que cela exprime une certaine tolérance au sein de la société égyptienne et beaucoup de contradiction aussi. L'Etat a choisi de laisser faire et de considérer cette question comme relevant de la liberté individuelle.

Pour certaines, au-delà de la conviction religieuse, le voile est un alibi, une protection permettant d'éviter des tracasseries diverses et de se libérer du carcan des familles conservatrices qui ne souhaitent pas voir leurs filles sortir ou travailler. Il devient ainsi un symbole de liberté ou de bienséance. Comme on le voit, c'est une affaire complexe qui touche à la religion, à la culture et au mode de vie, même dans un pays musulman comme l'Egypte. Mais avec sa propagation à une grande partie de la population, le voile s'est banalisé, et on assiste désormais à une campagne discrète pour le port du niqab, dont l'exemple est donné par les pays de l'or noir.

A. L.
 

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