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Arméniens d'Egypte . Ils sont quelque 16 000, une communauté parfaitement intégrée, mais qui n'a pas oublié son attachement au pays natal. Aussi bien au Caire qu'à Alexandrie, au sein de leurs cafés, clubs et écoles, ils ont façonné un monde à eux où l'atmosphère est purement arménienne. Enquête.
L'Etranger d'ici

Le club Homentmen Noubar à Héliopolis connaît une effervescence tout à fait particulière. Plus de 700 Arméniens se sont déplacés pour assister au tournoi annuel de basket-ball. Cinq équipes arméniennes vont disputer la finale. Dès que l'on a franchi le portail du club, on est plongé dans une ambiance typiquement arménienne. Toute la communauté, grands et petits, sont venus fêter l'événement. Même ceux du troisième âge sont là pour encourager les jeunes, avoir des nouvelles de leurs compatriotes et partager des moments de plaisir ensemble.

A première vue, on constate cette corrélation très étroite entre la terre d'accueil et le pays d'origine. A l'entrée du club que l'on pourrait comparer à une ambassade, les drapeaux égyptien et arménien flottent côte à côte. Malgré leur attachement à leur terre natale, les Arméniens vivant en Egypte gardent cette entité égyptienne bien ancrée en eux. Une ambiance chaleureuse domine le club. Les cris de jeunes fusent pour encourager les deux équipes au rythme des chansons de Amr Diab et de Mohamad Fouad entrecoupées de slogans lancés en langue arménienne. Une odeur fine et suave s'exhale du barbecue. En effet, un grand festin rassemblera la communauté après la finale. Plusieurs spécialités à l'arménienne garnissent la table et les légumes farcis font partie du menu. Ce mets tant prisé par les Egyptiens l'est aussi chez les Arméniens. Toute la communauté a porté sa contribution pour rendre ce tournoi bien agréable. Les femmes et les jeunes filles dressent la grande table tandis que les jeunes hommes sont au service des vieux, ne les laissant manquer de rien. Quant aux enfants, ils jouent dans le jardin du club. Sur les balançoires, ils échangent à leur tour les nouvelles de l'école et des examens. « On tient à ramener nos enfants dans de telles occasions pour qu'ils réalisent dès l'âge tendre qu'ils font partie de cette communauté. Il est vrai que nous vivons en Egypte, mais il faut que nos enfants connaissent leurs racines », lance Christine, 24 ans, qui n'a pas hésité à venir d'Alexandrie accompagnée de sa petite fille de 2 ans afin de lui présenter sa grande famille arménienne qui vit au Caire.

En fait, le nombre d'Arméniens vivant en Egypte n'est pas précis. Mais selon Zaven Tchentchinian, l'archevêque de l'Eglise arménienne au Caire située à Ramsès, la communauté arménienne pourrait atteindre les 16 milles personnes. Le premier contact entre Arméniens et Egyptiens a eu lieu selon les références historiques durant l'époque fatimide (en 1117, 969 de l'Hégire). Mais le XIXe siècle a connu un flux d'émigrés arméniens qui ont fuit l'oppression et la persécution turque en Asie mineure. Les rues du Caire témoignent de l'histoire de cette communauté en Egypte. La rue d'Al-Arman, située actuellement entre Le Caire fatimide et le centre-ville, la ruelle Alexan, celle d'Artin bey au Vieux-Caire et aussi la rue de Noubar pacha située près de la gare du Caire, sans oublier le pont de Baghos, portent des noms de personnalités arméniennes influentes et qui ont marqué leur siècle. Selon les mêmes références, la communauté arménienne a connu son âge d'or au XIXe siècle. Il suffit de mentionner qu'un Arménien, Noubar pacha, a été à la tête du gouvernement égyptien durant trois mandats consécutifs. Cependant, la vision à l'égard des Arméniens a changé après 1922, lorsque l'Arménie a rejoint le camp soviétique. Les années 1930 et 40 ont été un peu difficiles, mais après la révolution de 1952, les conditions ont changé. La communauté a soutenu la révolution dès le départ. Une chose que le président Nasser a appréciée. Dès lors, beaucoup d'Arméniens ont obtenu la nationalité égyptienne. D'autant que le grand rêve de Nasser était d'agrandir les frontières de la République arabe unie pour atteindre l'Asie mineure.


Une intégration profonde

« L'Arménie fait partie de l'utopie », explique Dr Mohamad Réfaat, rédacteur en chef de l'édition arabe du journal arménien Arev, publié en Egypte, et qui travaille sur une thèse de doctorat concernant l'histoire de la communauté arménienne en Egypte.

Aujourd'hui, la communauté arménienne s'est cantonnée au Caire, à Alexandrie, mais plusieurs habitent encore à Charqiya vu la présence de l'industrie du tabac. En effet, Gamsargar a employé une main-d'œuvre arménienne importante, ils sont les véritables pionniers dans ce domaine. Au cours de l'histoire égyptienne, les Arméniens ont eu cette particularité de pouvoir s'intégrer avec aisance. Ils ont partagé les moindres détails du quotidien du peuple égyptien tout en préservant leur identité. « Nous ne nous sentons pas comme des étrangers. Des relations chaleureuses nous lient à nos frères égyptiens aussi bien dans la rue que dans le travail, même si nous vivons en communauté », lance Hratch Simonian, PDG du club et propriétaire d'une imprimerie. Il suffit de préciser que presque tous les Arméniens vivant en Egypte ont obtenu la nationalité et nombreux sont ceux qui ont fait leur service militaire égyptien. De plus, environ 20 professeurs arméniens occupent des postes importants dans les universités d'Egypte. D'autres ont opté pour des métiers dans le domaine de l'orfèvrerie, la bijouterie ou la couture. De tels boulots manuels leur ont permis de gagner leur pain sans avoir à parler la langue du pays. « L'Arménien est un ouvrier robuste et un artisan de qualité. Il a toujours été présent auprès de ses collègues égyptiens aussi bien à l'usine qu'à l'imprimerie ou dans les différents ateliers. A l'encontre des autres communautés, il n'a pas tracé de frontières avec son voisin égyptien et grâce à sa modestie, il a non seulement gagné sa confiance, mais aussi son amitié », avance Vaché Benohanion, ingénieur et propriétaire d'une imprimerie et qui révèle que jusqu'à l'heure actuelle, il travaille sur sa machine avec à ses côtés ses ouvriers et partage ses repas avec eux.

Beaucoup d'Arméniens se sont lancés dans la photographie pour combler le vide laissé par les Egyptiens considérant ce métier comme étant haram. Plus tard, ils ont formé des générations d'Egyptiens.

Aujourd'hui, les studios Garo, Armand et Cavouk et les imprimeries de Noubar, Hampar et Berberian sont reconnus comme étant de grandes institutions où plusieurs générations d'Egyptiens ont acquis une belle expérience. « C'est Simonian mon patron qui m'a appris les rudiments de la zincographie. Ce fût une expérience profitable pour moi », poursuit Hag Mohamad, propriétaire d'une imprimerie à Aïn-Chams.

Selon Dr Mohamed Réfaat, les Arméniens ont su se comporter avec tact et intelligence. En débarquant en Egypte, ils ont évité de rentrer en compétition sur le marché du travail. Ils ont choisi des boulots manuels pour ne pas concurrencer les Egyptiens dans le domaine de l'agriculture et le fonctionnariat. Des métiers qui se sont perpétués de père en fils. « Les Arméniens ont tenu à respecter les traditions de la société égyptienne. Ils n'ont pas heurté ses tabous. Il ne faut pas oublier que nous sommes aussi un peuple oriental et nous connaissons les us et coutumes arabes depuis la nuit des temps », poursuit l'archevêque Zaven. Il ne faut pas non plus oublier que l'Eglise arménienne est proche de l'Eglise égyptienne. Ces deux se ramifient à l'Eglise orthodoxe, et aucun différend ne les a opposées. Cela explique pourquoi les coptes ont aussi à leur tour tissé des relations chaleureuses avec la communauté arménienne. « Ce respect a permis à la communauté de renforcer son intégration au sein de la rue égyptienne », confie Réfaat.

Ainsi ils ont laissé des traces indélébiles en Egypte. De grands noms figurent dans le monde culturel, à l'exemple des célèbres caricaturistes Saroukhan et Simon Saniug, et dans le monde du cinéma tel que Hrant Nassibian, propriétaire du célèbre studio où se sont déroulés les tournages des premiers films égyptiens. A noter aussi que photographe Ohan aété le premier à avoir pris des photos sous l'eau en Egypte, sans oublier les belles artistes d'origine arménienne qui ont joué des rôles remarquables dans le cinéma égyptien comme l'enfant prodige Peroz Artin connue sous le pseudonyme de Fayrouz et sa sœur la vedette des Fawazir (devinettes) du Ramadan, la belle Nelly. La belle Lebléba ou Nonya qui ne cesse de recevoir des prix dans les festivals et aussi la chanteuse Anouchka.

Une influence qui touche aussi le quotidien. La cuisine égyptienne a été influencée par des spécialités. Les Arméniens ont ramené avec eux la pastirama, le farcis et la kébéba sans oublier la harissa (une pâte farcis de viande). Aussi, des mots arméniens sont utilisés dans le langage arabe tel que sandouq (boîte), méghlaq (fermoir), etc.


Double identité

Pourtant, cette intégration profonde avec le peuple égyptien ne les a pas empêchés de façonner un monde propre à eux. « Je suis égyptien, mais je garde cette entité arménienne qui fait partie de mon identité », lance Garo, 23 ans, ingénieur et petit-fils d'un grand photographe.

Selon le chercheur Mohamad Réfaat, l'Arménien a une certaine particularité. « Il a cette capacité à pouvoir s'intégrer et s'adapter sans pour autant se fondre dans la société », ajoute-t-il. C'est un peuple qui a passé une partie de son histoire à être un réfugié ou un émigré, mais a su conserver sa culture et son entité.

De plus, à l'étranger, ils sont toujours parvenus à se rassembler à s'organiser. Dès qu'une vingtaine de familles résident dans un pays, tous œuvrent avec dynamisme pour l'intérêt de la communauté.

Aujourd'hui, deux conseils intercommunautaires formés chacun de 24 membres élus s'occupent pour diriger les affaires de la communauté au Caire et à Alexandrie. Et de ce conseil, un autre exécutif prend en charge la réalisation des programmes et les décisions votés par l'ensemble. « On pourrait comparer ce conseil intercommunautaire à un Parlement et l'exécutif à un gouvernement », lance Berdj Tergian, président du conseil exécutif du patriarche des arméniens orthodoxes en riant. Des contacts permanents ont lieu entre ces deux conseils pour organiser les affaires dans ces deux grandes villes. Une vie sociale et sportive se déroule dans les 6 clubs au niveau des gouvernorats, et aussi dans plusieurs cafés. « Les horaires des clubs sont fixés de telle sorte que chaque Arménien puisse trouver quotidiennement un endroit où il peut passer un temps avec ses compatriotes », poursuit Dr George, professeur à l'université. Trois écoles enseignent aux enfants de la communauté la langue, l'histoire et la géographie arménienne outre les programmes égyptiens. Ces écoles sont soumises au contrôle du ministère égyptien de l'Education. Le journal Arev, fondé en 1915, tiré à mille exemplaires, est publié en langue arménienne et donne les nouvelles du pays natal, de la communauté arménienne en Egypte et à l'étranger. De plus, une association caritative fondée en 1906 veille à renforcer cette solidarité entre les Arméniens. Elle étudie les cas des plus démunis et leur octroie une assistance matérielle grâce aux dons récoltés chez les plus riches de la communauté. « Elle assure aussi les frais des soins médicaux aux nécessiteux », poursuit Zaven. En général, les conditions des gens modestes ne sont pas déplorables. « La communauté arménienne est une communauté riche. Il suffit de noter que les biens religieux sont les seuls Waqfs étrangers à avoir échappé à la nationalisation. Le revenu minimum d'un Arménien peut atteindre les 2 000 L.E. », explique Réfaat.

Une vie communautaire où les morts aussi sont pris en considération. « On visite nos tombes 6 fois l'an. surtout les jours de fête, et toute la communauté se donne rendez-vous aux cimetières à Misr Al-Qadima ».

Et la nouvelle génération ? Celle-ci semble poursuivre le périple des anciens. Garo, jeune ingénieur, assure : « Bien que j'aie le droit de choisir ma partenaire, je préférerais que ma femme soit d'origine arménienne. J'ai besoin de quelqu'un qui puisse comprendre et saisir mes traits de caractère ».

Une double appartenance ? Pourquoi pas ? N'est-ce pas que la plupart des Egyptiens sont le fruit d'un amalgame de cultures, de races de différentes origines. Pour un Arménien, il s'agit d'une appartenance à la mère patrie « l'Arménie », mais aussi à « l'Egypte », Oum al-dounia (la mère du monde), conclut Dr Réfaat.

Dina Darwich
 

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