Abdel-Hadi Al-Gazzar, à la galerie Safar Khan, tous les jours jusqu'au 15 janvier, de 10h à 14h et de 17 à 21h, sauf le dimanche, 6, rue du Brésil, Zamalek. Tél. : 735 33 14 | La palette engagée | - Abdel-Hadi Al-Gazzar est né le 23 mars 1925, à Alexandrie. Sa famille déménage au Caire et s'installe dans le quartier populaire de Sayeda Zeinab en 1940. Il suit des cours à l'Ecole de Helmiya sous la direction de Hussein Youssef Amin. En 1944, il entame des études de médecine qu'il abandonne au bout de six mois pour s'inscrire à la faculté des beaux-arts. Il adhère ensuite au groupe de l'Art contemporain dès sa fondation, en 1946, suivie de la première exposition collective du groupe. Il est incarcéré avec Hussein Youssef Amin en 1949 à cause de sa toile Le Chur populaire ou Le Théâtre de la vie, qui mettait en scène le peuple mourant de faim. En 1950, il est nommé assistant par la faculté des beaux-arts. Il obtient le premier prix au concours national de production artistique, en 1954, pour son tableau Denshway. Il épouse Leïla Effat (qui possède beaucoup de ses peintures à l'huile), puis part grâce à une bourse d'études à Rome et expose là-bas à la galerie Felouca.
Ses tableaux ont accompagné la Révolution de 1952. Il obtient, en 1962, le premier prix au concours La Révolution, dix ans après pour son tableau La Charte. Il meurt en 1966 d'une crise cardiaque. Un important ouvrage regroupant nombre de ses toiles et nombre d'articles de spécialistes est paru en 1990, grâce aux efforts d'Alain et Christine Roussillon, la coopération de la maison d'édition Al-Mostaqbal al-arabi, et du service culturel de l'ambassade de France. |
| Peinture . 70 études, dessins ou tableaux d'Al-Gazzar, exposés à la galerie Safar Khan du Caire, permettent de découvrir les coulisses de l'uvre d'un pionnier. | Al-Gazzar en éclats | Comme toutes les expositions des grandes figures, une exposition signée Abdel-Hadi Al-Gazzar suscite toujours la curiosité. Et pose l'éternelle question. Y a-t-il encore des uvres à montrer, des zones obscures qu'il importe d'éclaircir ? Ou bien est-ce une simple occasion de ranimer un marché stagnant en présentant des uvres déjà vues ? Loin de remâcher sans cesse les uvres des pionniers, l'exposition se propose de découvrir les coulisses, « l'envers du décor » d'un peintre conn u par ses huiles minutieusement travaillées. Les quelques peintures et les dessins à l'encre de chine, pastels, aquarelles, jusqu'aux croquis les plus élémentaires font l'écho des différentes phases de l'artiste. Une dizaine de nues, esquissée au fusain, remonte aux années 1940, à la période universitaire aux beaux-arts, ils ressemblent le plus souvent à des exercices. Une série de portraits au fusain remonte à la période du groupe de l'art contemporain, où deux portraits de Hussein Youssef Amin, le père spirituel du groupe, témoignent de l'attachement du peintre à son maître. Pourtant, ces tableaux assouvissent la curiosité des amateurs qui cherchent toujours le non vu d'un artiste, son monde inconnu, son petit laboratoire qui témoigne de ses maladresses comme de ses moments d'inspiration. Certains pourraient reprocher cet engouement pour l'original, cette recherche du monde intime de l'artiste, qui a pour résultat des études vendues à une dizaine de milliers de livres. Mais il suffit à la responsable de la galerie d'aller réveiller des dessins voués au silence, de permettre à des papiers crispés, enfouis dans les tiroirs, de voir enfin le jour. Or, en général, les esquisses d'Al-Gazzar revêtent une importance particulière, car le peintre travaillait ainsi de longs mois, parfois, avant d'entamer un grand travail. Les peintures à l'huile qui reposent largement sur le signe et le symbole sont la preuve d'un travail concentré, entamé au préalable. Abdel-Hadi Al-Gazzar, dans le livre qui lui est consacré, présente l'histoire d'un de ses tableaux, Le Passé, le présent et l'avenir (1951) en interprétant ses signes. (Le passé occupe l'arrière-plan : les murs d'une prison, la vie captive. Le présent, c'est la grande figure d'un costaud au caractère populaire qui exprime la force et la résolution. Quant au présent, c'est le symbole de la clef posée devant le présent qui en recèle tous les secrets et tous les mystères). | Un monde de secrets et de talismans | Dans ce contexte, on peut regarder les croquis préparatoires comme des étapes de l'accomplissement d'une uvre. Les pièces éparpillées avant qu'elles ne s'élaborent en peinture. Parmi le groupe de Nus, un tableau de deux corps enchevêtrés semble un prémice de la tendance surréaliste de l'artiste. Cette position des corps enlacés rappelle le moi et son alter ego, le monde du rêve et de l'inconscient, avec tout le vocabulaire freudien qui a marqué le surréalisme. Mais il ne faut pas croire qu'Al-Gazzar ait suivi le surréalisme au pied de la lettre, c'était juste à ses débuts, ou disons un « brouillon mental ». Car Al-Gazzar, qui faisait partie du groupe de l'art contemporain, a puisé dans le monde métaphysique et religieux des classes les plus humbles de la société égyptienne, là où l'on se protège avec des sortilèges et des talismans. Et n'a pris du surréalisme que cet univers de rêve et de secret, c'est-à-dire de l'inconscient collectif égyptien. Des tableaux font allusion, par contre, à la période des mythologies populaires comme le pastel La Folle, qui est une étude préparatoire de la peinture à l'huile portant le même titre. Ou bien le tableau des pieds enchaînés aux formes sauvages, primitives, qui laisse paraître dans l'arrière-plan un horizon absolu, un univers obscur orné par des fantômes qui équivaut la profondeur des rêves. Mis à part les portraits en fusain sortis de l'oubli pour cette exposition, quelques tableaux s'attardent sur la période des coquillages, qui marque les débuts de l'artiste, et qui ne figurent pas dans l'ouvrage consacré à son uvre, signés par Alain et Christine Roussillon. On peut retrouver les traces des origines méditerranéennes dans la nature primitive des coquillages et du sable, mais aussi dans les formes corporelles massives. La forme des coquillages s'identifie au corps de la femme, elle renvoie à la fertilité mythologique, mais elle sert aussi pour révéler l'univers du peintre. Celui des secrets et du mystère que cette exposition permet de revisiter. | Dina Kabil | | Retour au sommaire | |