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Waleed Arafa : Bâtisseur de vies

May Sélim, Samedi, 20 mai 2023

Fondateur du cabinet d’architecture Dar Arafa, lauréat du prix Abdullatif Al-Fozan consacré à l’architecture des mosquées, Waleed Arafa associe l’art de la construction aux divers domaines du savoir, notamment la calligraphie arabe et les doctrines religieuses.

Waleed Arafa

Il vient de rentrer d’un court séjour en Italie durant lequel il a participé à une conférence internationale sur l’architecture. Son intervention a porté sur le sacré en architecture, étant le lauréat du prix Abdullatif Al-Fozan pour l’architecture des mosquées, aujourd’hui à sa 3e édition. Et ce, pour le design de la mosquée de Basuna à Sohag. « L’architecture sacrée repose, à mon avis, sur l’harmonie entre les livres saints, le cosmos et l’être humain », souligne Waleed Arafa, pour expliquer sa philosophie.

En effet, la construction de la mosquée de Basuna a bouleversé sa vie et l’a propulsé au-devant de la scène. « Une vieille mosquée était construite il y a environ 70 ans dans cet ancien village de Sohag, en Haute-Egypte, précisément sur un bout de terre qui appartient à la famille du cheikh Ossama Al-Azhari. La mosquée était en mauvais état, et les habitants voulaient la restaurer, ou la détruire pour construire une autre. Après l’avoir examinée, ainsi que d’autres vieux bâtiments du village, j’ai décidé de bâtir une nouvelle, tout en respectant le milieu environnant. A l’époque, je travaillais seul dans mon cabinet, alors j’ai demandé à ma femme de réduire au minium notre budget familial, vraiment de serrer la ceinture, pendant 3 ou 4 mois, afin de financer le projet de construction de la mosquée », indique-t-il.

Les travaux ont duré de 2016 à 2019. Et le village concrétisait à ses yeux tout ce dont il avait besoin pour mettre en application ses idées sur l’architecture religieuse. « Mon père était professeur de pédagogie aux Etats-Unis. Il tenait à acheter les journaux égyptiens et m’incitait à parcourir les nouvelles, en allant à l’école, pour mieux apprendre l’arabe et ne pas me détacher de ma culture d’origine », raconte l’architecte.

Lorsqu’il avait 7 ans, son père a voulu retourner en Egypte, pour que ses enfants grandissent dans leur propre pays et s’imprègnent de ses moeurs. « Je me rappelle qu’au départ, Le Caire m’effrayait. Nous sommes rentrés en 1985. Mais, au bout de 4 mois, j’ai découvert mon attachement à l’Egypte, et ce, après avoir passé les vacances d’été auprès de mon grand-père, en Haute Egypte », précise Waleed Arafa. Au Caire, il croisait essentiellement des citadins, en tenues occidentales. Il éprouvait un certain malaise en se promenant dans les rues. « Par contre, mon grand-père en djellaba ressemblait à un roi. A l’époque, la Haute-Egypte maintenait son esprit rural et authentique. Mes parents se sont installés plus tard aux Emirats arabes unis, et moi, j’attendais impatiemment les vacances pour retrouver l’Egypte. Après le bac, j’ai décidé de joindre la faculté d’ingénierie à l’Université de Aïn-Chams et de m’inscrire à la section mécanique ». A la fin de la première année, il a effectué un stage dans une usine automobile. Ses collègues parlaient tout le temps de moteurs et de leur fonctionnement, même pendant la pause-déjeuner, contrairement à lui. Petit à petit, il a découvert que sa passion était plutôt l’aménagement de l’espace. Et a donc décidé d’opter pour des études en architecture. Un choix qu’il n’a jamais regretté.

Plusieurs questions existentielles fourmillaient dans la tête du jeune homme, liées à l’identité, l’environnement, la religion, etc. « Enfant, ma mère m’a proposé de lire la biographie du prophète Mohamad, pour trouver la réponse à mes questions. L’architecture, quant à elle, apporte aussi tant de réponses, des solutions infinies pour satisfaire la clientèle, des solutions fonctionnelles, qui s’accordent avec l’humain, avec l’environnement. J’ai commencé alors à fouiller dans les livres de religion, de philosophie et autres, afin de trouver des réponses ».

Pour acquérir une expérience professionnelle, il a travaillé pendant 5 ans avec l’architecte égyptien installé aux Etats-Unis Tareq Naga dans l’exécution de ses projets en Egypte. « Lors d’une conférence à l’université, l’architecte de renom Tareq Naga a évoqué son expérience à la Biennale de Venise. J’étais fasciné par ses propos et ses méthodes de travail. Après avoir terminé mes études en 2001, j’ai appris qu’il travaillait à la galerie d’Al-Falaki, dans l’ancien campus de l’Université américaine du Caire. Alors, je l’ai contacté pour écrire un article sur son projet qui consistait à faire une installation à la mémoire du martyr palestinien Mohamad Al-Dorra et des victimes du World Trade Center. Et je lui ai proposé de travailler avec lui ».

Arafa a continué ainsi à travailler avec Naga sur d’autres chantiers, mais de temps en temps, il lançait ses propres petits projets. Il continuait aussi à chercher des réponses aux questions qui tourmentaient son esprit.

Pour ce faire, il a commencé à suivre des cours à l’Université d’Al-Azhar en 2003, en tentant de faire le lien entre les divers champs du savoir. « J’ai suivi des cours d’introduction à la jurisprudence par les cheikhs Ali Gomaa et Ossama Al-Azhari. Ils traitaient de l’utilité des sciences et leur rôle afin de régler le conflit entre la mentalité salafiste et celle plus moderniste », dit l’architecte. Par pure chance, il a fait connaissance avec le psychiatre soufi Moustapha Al-Badawy et avec le calligraphe basé à Londres Ahmed Moustapha. Il a même travaillé avec ce dernier pendant plusieurs années dans son studio londonien sur des projets architecturaux. « Moustapha a développé au long de sa carrière le concept de la calligraphie cosmique, d’après les théories d’Ibn Muqla sur le style cursif dans la calligraphie arabe. Il a collaboré avec d’autres agences architecturales afin d’exécuter des designs adoptant ses concepts calligraphiques. J’ai fini par épouser sa fille Nesrine, également architecte, qui s’occupe en ce moment de tout ce qui est design d’intérieur dans notre cabinet privé ».

Ces diverses rencontres ont pavé le chemin de Arafa, qui n’a cessé de rechercher sa voie. « En fin de compte, j’ai compris que les bases de l’architecture sont assez proches de celles de la jurisprudence et des croyances qu’adoptaient les Anciens Egyptiens », fait souligner Arafa, qui rejette l’appellation « architecture islamique ». « C’est devenu un fourre-tout qu’on utilise à tort et à travers afin de désigner toute ornementation arabe », lance-t-il.

Vers la fin du mois de mai, l’architecte va célébrer l’inauguration de la maison d’Egypte à Paris, au sein de la cité universitaire. « La cité internationale universitaire de Paris a été construite en 1920. Chaque pays peut y construire une résidence pour ses étudiants. L’Egypte, sous le roi Farouq, a acheté une parcelle de terre à 30 000 francs. Le grand architecte Abou-Bakr Khaïrat avait fait un design pour cette résidence. Mais après la Révolution de Juillet 1952, l’Egypte a affronté plein de crises politiques et économiques qui ont retardé la construction. Il y a quelques années, le ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque, Khaled Abdel-Ghaffar, et l’ambassadeur d’Egypte en France, Ihab Badawy, ont ressuscité le projet. Et ce, à l’occasion de la visite du président Emmanuel Macron au Caire ». Et d’ajouter : « Un jour, j’ai reçu un coup de fil de la part de l’architecte égyptien Bassem Abdel-Shahid qui travaillait pour une agence d’architecture parisienne, SAM. Il m’a demandé de collaborer avec son agence afin de participer au concours du design et de la construction de la maison d’Egypte. C’était après le grand succès qu’a remporté la mosquée de Basuna. Plus tard, j’ai été contacté par d’autres cabinets français me demandant la même chose ».

En coopérant avec SAM, il a gagné la compétition, et en deux mois, son design était prêt. Aujourd’hui, il est en train de fignoler les dernières retouches. Sur les murs de la résidence, il a inscrit des formules savantes, empruntées à l’Egypte Ancienne.

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