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Moaid Allami : Notre priorité est de garantir la sécurité des journalistes

Samar Al-Gamal , Samedi, 15 avril 2023

Moaid Allami, président de l’Union des journalistes arabes, souligne les défis auxquels est confrontée la presse dans le monde arabe.

Moaid Allami

Al-Ahram Hebdo : Quel est l’objectif de votre visite en Egypte ?

Moaid Allami : Je suis venu pour rencontrer le président Abdel-Fattah Al-Sissi, car nous préparons la tenue d’une conférence de l’Union l’année prochaine, afin de marquer le 60e anniversaire de sa création en 1964 au Caire. Nous discutons de la formation d’un comité conjoint avec l’Autorité nationale égyptienne de presse et de médias pour organiser une grande célébration en Egypte, le pays fondateur et le siège de l’Union. Cette célébration permettra de rendre hommage aux grands journalistes du monde. Il y aura également des plateformes médiatiques communes entre les pays arabes pour envoyer des messages clairs à tous ceux qui ciblent nos pays arabes et nos sociétés.

— Que voulez-vous dire par « ceux qui ciblent » les pays arabes ?

— Je veux dire que les pays arabes sont la cible de critiques injustes et non objectives nécessitant peut-être un examen minutieux. Il y a des aspects négatifs et des erreurs dans certains pays arabes certes, mais nous insistons toujours sur le fait que nos pays ne sont pas aussi mauvais que certains grands médias, qu’ils soient occidentaux ou non, le véhiculent. L’image qui est transmise dans certains médias et institutions occidentaux à propos des pays arabes est celle de pays arriérés, non démocratiques, sans droits de l’homme et sans loi. Cette image est fausse, à mon avis. Dans de nombreux pays arabes, il existe de véritables droits de l’homme et une liberté de la presse, et quiconque a une image négative n’a qu’à venir visiter nos pays et voir de ses propres yeux comment travaillent les journalistes, et cela, espérons-le, ouvrira la voie à éliminer ce stéréotype.

— Selon vous, pourquoi les pays arabes sont-ils souvent classés en bas des rapports internationaux sur la liberté de la presse ?

— Le problème avec les régimes arabes et les institutions médiatiques est qu’ils ne communiquent pas efficacement avec les organisations internationales et ne parviennent pas à transmettre les vrais messages à ces dernières. Il y a évidemment de réelles violations de la liberté de la presse dans certains pays arabes, et lorsque les organisations internationales établissent leurs classements, elles prennent en compte plusieurs considérations, notamment la situation économique, l’environnement du travail et les risques encourus par les journalistes. Il y a environ sept pays arabes où les risques pour les journalistes sont élevés, en particulier ceux qui ont connu des manifestations et des changements de régimes.

— Et comment évaluez-vous la situation de la presse dans les pays arabes actuellement ?

— Je ne prétends pas que la situation est bonne. En fait, nous sommes plutôt tristes, surtout en ce qui concerne les journaux imprimés et leurs conditions difficiles actuelles. La liberté d’expression et d’opinion n’est pas totalement garantie dans tous les pays arabes et nécessite plus d’efforts et de compréhension. Les gouvernements doivent réaliser que les journalistes ne sont pas des ennemis de l’Etat, mais plutôt que la plupart travaillent pour améliorer leur profession et contribuer au développement de leurs pays. Je pense qu’il est désormais nécessaire de donner plus de liberté d’opinion et d’expression aux journalistes arabes, afin qu’ils puissent mener à bien leur travail. Nous devons travailler à faire passer un message clair à tous les dirigeants arabes selon lequel les journalistes sont une aide, pas un ennemi, et que leur métier consiste à signaler les aspects négatifs et à mettre en lumière les entités ou les personnes corrompues, afin que ces gouvernements puissent s’en occuper.

— Quels sont les autres défis auxquels le paysage médiatique arabe est confronté ?

— Outre les dangers pour la vie des journalistes dans certains pays, il y a une répression inacceptable des libertés, comme je l’ai précédemment mentionné. Il y a également la situation économique difficile des journalistes, et des facilités et des soins doivent être fournis à plusieurs niveaux. Même les grandes institutions médiatiques de plusieurs pays arabes souffrent d’une situation économique difficile. Ce sont des défis importants, ainsi que les lois négatives en matière de liberté d’expression et les lois qui entravent le métier de journaliste. Ces défis doivent être relevés avec courage et persévérance, car nous croyons que la liberté de la presse est essentielle à la croissance et au développement de nos pays.

— Est-ce qu’il y a des discussions menées par l’Union avec les gouvernements arabes pour surmonter les problèmes dont vous parlez ?

— L’Union a soulevé ces questions dans le passé, en particulier celles qui concernent l’obstruction au travail et les lois qui limitent les libertés. Nous essayons constamment de rencontrer les dirigeants arabes pour les inciter à instaurer des lois qui aident les journalistes à travailler professionnellement et à réduire la pression énorme qui pèse sur certains d’entre eux, allant de l’intimidation à la menace jusqu’à l’emprisonnement et aux poursuites judiciaires. Nous avons discuté de tous ces sujets avec de nombreux responsables arabes, certains approuvent nos propositions et d’autres ne comprennent toujours ni la situation, ni le métier des journalistes. Nous discutons de ces lois avec les présidents des parlements arabes et assistons régulièrement à des réunions des parlements arabes et à des conférences organisées par la Ligue arabe, où nous abordons ces questions. Nous essaierons encore une fois de légiférer des lois qui protègent la liberté d’expression et de la presse.

— Le rapport de « Reporters Sans Frontières » sur la liberté de la presse montre un recul des pays arabes par rapport à l’année précédente. L’Iraq a par exemple chuté de la 163e à la 172e place. Qu’en pensez-vous ?

— Je ne suis pas d’accord avec ce constat en Iraq. Au cours des trois dernières années, aucun journaliste n’a été enlevé ou tué, et aucun journaliste n’est détenu pour des raisons d’opinion et de publication. Cependant, il est vrai que les journalistes ont été confrontés à de nombreux dangers depuis 2003, où le nombre de journalistes tués est le plus élevé dans le monde. Plus de 500 journalistes ont été tués en Iraq depuis cette date, un chiffre qui dépasse même les pertes de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre du Vietnam. Nous avons également un grand nombre de journalistes tués en Syrie, en Libye et au Yémen, sans oublier les crimes d’Israël contre les journalistes palestiniens, notamment le meurtre de la journaliste martyre Shireen Abu Akleh. Les risques sont bien réels, avec les opérations terroristes aussi. Tout cela exerce une pression sur les journalistes et met leur vie en danger.

— Dans ce contexte, quel rôle joue l’Union des journalistes arabes ? Et quelles sont vos priorités ?

— Notre première priorité est de protéger les journalistes. Il n’est pas important d’obtenir une exclusivité journalistique, mais il est essentiel de garantir la sécurité des journalistes. Notre deuxième priorité est de poursuivre les assassins et les criminels qui ont ciblé les journalistes pour les porter devant la justice. Dans de nombreux cas, ils ont échappé à la justice. Nous sommes également préoccupés par la prise en charge des familles des victimes. Dans certains pays, ces familles ont reçu une assistance et une protection adéquates, mais dans d’autres pays, les journalistes sont assassinés et leurs familles n’ont même pas droit à une pension de retraite. Nous avons réussi dans de nombreux pays à fournir des pensions de retraite aux familles des victimes, comme ceci est le cas en Iraq.

— La presse est-elle réellement un quatrième pouvoir dans notre région ?

— Ce n’est pas seulement le quatrième pouvoir, parfois elle est la première autorité. Tous les régimes, personnalités et responsables que j’ai rencontrés parlent de la presse avec méfiance et crainte, et essaient de rendre leur image rose devant les médias.

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