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Alexandra Kinias : Le chemin de l’émancipation de la femme commence par le développement

Amira Doss , Mercredi, 14 décembre 2022

Alexandra Kinias, fondatrice de la plateforme « Women of Egypt », l’une des initiatives les plus populaires en Egypte et au Moyen-Orient, revient sur la création, le rôle et la stratégie de cette initiative pour renforcer et soutenir la femme en Egypte.

Alexandra Kinias

Al-Ahram Hebdo : Tout d’abord, pouvez-vous nous parler de la création de cette initiative et quel en était l’objectif ?

Alexandra Kinias: « Women of Egypt » est une entreprise sociale animée par son mouvement numérique de plaidoirie, une plateforme en faveur d’une cause, dont la mission principale est de soutenir les femmes, les aider à devenir plus fortes. Et ce, en mettant l’accent sur les questions qui entravent leur émancipation, en mettant en évidence les problèmes d’inégalité de sexe et en effectuant des changements positifs sur le plan social, culturel et professionnel. WoEgypt est une initiative lancée en 2016, elle a été créée en parallèle au sermon prêté par les 89 femmes parlementaires à la nouvelle Assemblée des députés. La représentation des femmes au parlement égyptien en 2015 a réalisé une augmentation record de 14,9%. Avec ce sermon, il était évident que la cause féminine allait connaître un tournant. Les femmes ont souffert d’un véritable déclin, surtout durant les années qui ont suivi la Révolution de 2011. Le parlement des Frères musulmans avait déjà pris des actions pour priver la femme d’importants acquis, tels que l’annulation de la loi du « kholea », en modifiant les pénalités imposées en cas d’excision et en préparant un projet de loi autorisant le mariage des jeunes filles de moins de 16 ans.

Heureusement, ce parlement a été dissous avant que ces lois ne rentrent en vigueur. Avec la Révolution de 2013, les droits des femmes ont commencé à prendre de l’ampleur. Et le sermon des 89 parlementaires était donc la flamme pour notre initiative.

— Comment votre plateforme contribue-t-elle à soutenir la cause des femmes ?

— Women of Egypt a été créée pour de nombreuses raisons. En premier lieu, motiver, inspirer et renforcer les femmes. Pour réaliser cet objectif, il fallait booster le moral des femmes en mettant sous les projecteurs les histoires de succès de femmes actives capables de surmonter toutes sortes de défis, celles qui osent briser les tabous et les stéréotypes sociaux, qui créent leurs propres opportunités. A travers le réseau social et les publications de WoEgypt, notre initiative offre aux femmes égyptiennes une plateforme de soutien en ligne où elles peuvent trouver une source d’inspiration, d’encouragement, mais avant tout savoir qu’elles ne sont pas seules.

Malgré le nombre énorme de magazines, de journaux et de publications sur Internet destinés aux femmes en Egypte, les acquis et les accomplissements des femmes ont été soit ignorés, soit marginalisés aux dépens d’autres sujets de moindre importance et valeur. WoEgypt a donc décidé de combler ce vide. Dès le départ, WoEgypt a tenté de renforcer les femmes en retraçant leur perspective de l’avenir, avec chaque post publié. Tout au long des six dernières années, la plateforme a présenté des histoires de milliers de femmes qui se sont distinguées en tant que femmes actives, professionnelles, artistes, championnes sportives, athlètes, académiciennes, scientistes, entrepreneuses, ou même des femmes ordinaires qui luttent contre les barrières du genre et des tabous. Notre médium n’a pas seulement présenté les activités de ces femmes, mais il a également agi en tant qu’intermédiaire et outil de connexion et de networking pour ouvrir des opportunités d’éducation et de travail pour toutes les femmes qui suivent WoEgypt quotidiennement. C’est ainsi que WoEgypt est devenue une source d’informations crédible et recherchée par les médias imprimés et électroniques, les centres de recherche, les organisations internationales, les ONG en Egypte ou à l’étranger.

— Pouvez-vous nous donner un aperçu du contenu que Women of Egypt présente à son audience ?

— Profitant de cet accès global, nous avons donc présenté des articles qui tentent de changer le regard de l’Occident sur la femme en Egypte. C’est pourquoi les posts sont publiés à la fois en arabe et en anglais. Nous avons réalisé que nombreux de nos abonnés étaient des étrangers. WoEgypt souhaite aussi faire revivre la mémoire des femmes héroïnes du mouvement de suffragette qui ont mené des batailles pour les droits des femmes, leur rôle et leur contribution dans l’histoire ont souvent été marginalisés et leurs noms sont donc tombés dans l’oubli. Nous avons réalisé que les sujets qui abordent la beauté et la mode sont déjà présents dans les médias. Notre mission est différente. Nous voulons parler des femmes qui surmontent des défis et créent leurs propres histoires. Ainsi, le contenu est différent. Même en parlant de mode, ce qui nous importe ce n’est pas le produit, mais la femme créatrice de ce produit. De nombreuses femmes nous envoient des articles dans lesquels elles s’expriment. Nous avons le plaisir de faire parvenir leur voix.

Notre initiative lance également des campagnes de mobilisation portant sur les sujets qui portent atteinte à l’émancipation de la femme, tels que la violence domestique, l’excision, le harcèlement verbal ou sexuel, le mariage précoce, la misogynie. Des campagnes qui ciblent des dizaines de milliers d’individus partout dans le monde. Nos histoires parlent des femmes de tous les coins de l’Egypte. Elles présentent des histoires de succès dans les villages, les bourgs et les zones rurales les plus conservatrices où les traditions et les coutumes contrôlent les femmes et limitent leur potentiel et mobilité. Nous les soutenons aussi financièrement en faisant la promotion de leurs petits projets.

Ces success-stories apportent de l’espoir à d’autres femmes. WoEgypt leur donne la reconnaissance qu’elles méritent, en les motivant et les encourageant à continuer de lutter contre tous les obstacles qui entravent leur chemin, parfois même plus que l’esprit peut imaginer.

— Votre plateforme est digitale. Comment l’équipe fonctionne-t-elle ?

— Notre initiative est une initiative verte respectant l’environnement, nous n’avons ni siège fixe ni bureaux. Nous sommes fiers parce que non seulement c’est une initiative numérique, mais aussi parce qu’elle fonctionne à distance. Notre équipe est partout dans le monde, la fondatrice est aux Etats-Unis, un groupe de bénévoles qui croit en la cause féminine consacre du temps et des efforts pour créer une communauté globale constituée de femmes égyptiennes fortes. Cet activisme digital ne cesse effectivement de prendre de l’ampleur dans le monde et nous en profitons pour atteindre le plus d’audience possible. Il suffit de cliquer un bouton pour que tous les posts atteignent chaque coin du globe. Nous avons de la chance de vivre dans cette époque où nous pouvons voir instantanément l’impact de notre message. Nos abonnés sur les différents réseaux sociaux, Facebook, Instagram, LinkedIn, Twitter, magazines et lettres de presse varient entre 850000 et 900000 abonnés. En juin 2022, nous avons réussi à cibler 4 millions d’individus en Egypte et ailleurs. Certains posts atteignent plus d’un million de personnes. L’interaction que nous recevons est immense. En moins d’une demi-heure, un post ou une histoire peuvent faire le tour du monde.

— Comment évaluez-vous le statut de la femme en Egypte actuellement ?

— WoEgypt est convaincue que le chemin de l’émancipation de la femme commence par le développement, le renforcement des valeurs des individus et leur estime de soi. C’est en fait ce principe qui constitue la pierre angulaire de notre initiative depuis sa création. Il fait partie de toutes les activités, publications et gestion de nos articles sur les réseaux sociaux et nos e-magazines. Le statut de la femme en Egypte connaît un essor, même si nombreux sont à l’encontre de cette opinion. Mais il suffit de faire la comparaison avec ce statut il y a dix ans pour constater les acquis réalisés sur le terrain. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a dédié l’année 2017 à la femme égyptienne. Depuis cette date, des lois et des amendements de lois déjà existantes ont été instaurés, renforçant les pénalités en cas d’excision, de harcèlement, de cyber-bullying, de mariage précoce et de violence contre la femme. Il reste certainement beaucoup à faire. L’essentiel, c’est que les sujets concernant les femmes ne sont plus marginalisés ; le gouvernent écoute, le Conseil de la femme agit, lance des campagnes de mobilisation dans chaque village, et des maisons d’accueil, ainsi qu’une assistance psychologique sont offertes aux femmes qui souffrent de violence domestique. Evidemment, plus de lois doivent voir le jour, mais il ne faut pas s’attendre à un miracle surtout s’il s’agit d’une cause qui a souffert de stagnation pour des décennies. Les défis associés aux mentalités et aux cultures sont pesants, mais le changement est inévitable.

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