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Csaba Körösi : La solidarité est le meilleur moyen de parvenir à des solutions à tous les problèmes

Sahar Zahran , Mercredi, 28 septembre 2022

Csaba Körösi, président de la 77e session de l’Assemblée générale de l’Onu, s’exprime sur les enjeux de cette session et les défis mondiaux. Il accorde une attention particulière à résoudre les grands problèmes qui divisent le monde à travers la solidarité entre les Etats membres.

Csaba Körösi

New York,
De notre correspondante 

Al-Ahram Hebdo : L’Egypte organise cette année la COP27. Quel est le rôle des Nations-Unies dans ce dossier ? Comment l’Egypte a-t-elle été choisie pour présider cet événement international et quelles en sont vos recommandations ?

Csaba Körösi: Charm Al-Cheikh sera un tournant décisif qui doit aboutir à des accords applicables. La COP27 doit focaliser sur trois points essentiels. Premièrement, il faut tenir les promesses d’aides financières à ceux qui sont les plus impactés par le changement climatique et qui ont contribué le moins à la pollution climatique actuelle, je veux dire les pays les moins développés et les petits Etats en développement. Il faut que la priorité soit accordée à l’heure actuelle au financement climatique. Deuxièmement, nous avons besoin de changements urgents et radicaux pour les émissions des gaz à effet de serre. Le G20 et surtout le G7 doivent être des exemples à suivre. Nous devons à tout prix changer le cours que nous empruntons aujourd’hui. Troisièmement, l’eau. Le changement climatique nous impacte de plus en plus chaque jour, engendrant davantage de catastrophes, d’inondations, de sécheresses aigües et répétées. Raison pour laquelle je fais de mon mieux pour encourager la complémentarité des agendas de l’eau et le climat avec les niveaux locaux en préparation à la COP des années à venir. Nous devons mettre en priorité les questions relatives à l’eau sur les niveaux mondiaux.

— Vous avez mentionné à plusieurs reprises la crise de l’eau. Il existe un différend entre l’Egypte et le Soudan, d’une part, et l’Ethiopie, de l’autre, à cause de l’intransigeance d’Addis-Abeba dans le dossier du barrage de la Renaissance. Ce dossier figure-t-il sur l’agenda de l’Assemblée générale ?

— Il est probable que la pénurie de l’eau devienne la prochaine crise à résoudre, d’autant plus qu’un nombre de pays membres est concerné. La crise de l’eau engendre d’importantes séquelles sur la voie des Objectifs de Développement Durable (ODD) car elle influence la sécurité alimentaire, l’économie, la santé, l’enseignement et la production énergétique, entre autres. Le problème de l’eau sera prioritaire au cours de la Conférence de l’Onu sur l’eau l’année prochaine. C’est la première fois depuis 1977 que l’Onu consacre toute une conférence à l’eau. Mon bureau est chargé de tenir une réunion préliminaire sur ce sujet en octobre prochain et je souhaite que les pays membres y apportent leur contribution et leurs solutions pour la réforme. Par cette conférence, nous visons à établir la confiance et renouveler la solidarité à la question de l’eau. En réalité, l’eau peut devenir une source de coopération et non pas de conflit. Nous pouvons ensemble agrandir les bénéfices émanant d’une planification complémentaire des bassins fluviaux, la gestion des ressources d’eau, d’énergie et de nourriture. La gestion de l’eau n’est pas un jeu. Nous pouvons récolter des bénéfices économiques des ressources hydriques, comme le fait de générer de l’énergie à partir des barrages capables de résister aux changements climatiques et de minimiser les dangers climatiques.

— Vous avez prôné l’arrêt de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Comment cela est-il réalisable et comment l’Assemblée générale de l’Onu peut-elle jouer un rôle à cet égard ?

— L’Assemblée générale a appelé en mars dernier à l’arrêt immédiat de l’agression sur l’Ukraine. En dépit de cela, la guerre a persisté et a causé la souffrance de millions d’Ukrainiens, de Russes et de voisins. L’impact a même atteint des gens des régions lointaines à des milliers de kilomètres à cause de l’arrêt des chaînes d’approvisionnement et de la hausse de l’inflation globale. La guerre a approfondi la polarisation et le manque de confiance entre les pays membres de l’Onu de la part de ceux qui croient que l’institution mondiale peut jouer un rôle plus important et pionnier dans l’arrêt des hostilités. Nous devons rechercher de nouvelles voies en faveur des partenariats et de la confiance.

— La Russie est un Etat fondateur de l’Onu. Nous avons besoin de sa coopération. Comment persuader les Etats membres de l’importance de son rôle vu la situation actuelle ?

— Tout d’abord, il faut que Moscou cesse les hostilités en Ukraine. Et ce, si la Russie veut poursuivre son rôle d’exportateur de nourriture. Elle doit éviter les armes autour des sites nucléaires. Je répète qu’il faut un cessez-le-feu conforme à la Charte de l’Onu et au droit international. Mais nous devons comprendre que la persistance des hostilités est accompagnée de destruction et de morts. La crise des réfugiés s’aggrave et l’infrastructure est démolie.

Pensez-vous qu’avec la récente escalade de violence, il devienne de plus en plus difficile d’établir la paix, surtout avec l’augmentation du nombre de réfugiés et de personnes déplacées fuyant la violence ?

— Malheureusement, la guerre en Ukraine n’est qu’un des nombreux conflits auxquels nous sommes confrontés. Aujourd’hui et plus que jamais auparavant, des personnes ont été déplacées de force. Outre les réfugiés fuyant les conflits armés, les changements climatiques entraînent également des déplacements de population en nombre record. La communauté internationale et particulièrement l’Assemblée générale de l’Onu disposent de cadres pour traiter avec les migrations, les réfugiés et les déplacements internes. Le Pacte mondial pour les réfugiés est l’un de ces outils, ainsi que la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Ce qu’il faut, c’est que la coopération soit la règle plutôt que l’exception.

Le déplacement forcé transfrontalier est par définition un phénomène international, et l’Assemblée générale peut être un forum de dialogue afin d’aboutir à un dialogue et à des solutions basées sur les meilleures pratiques qui respectent le droit international.

— Depuis votre nomination à la présidence de l’Assemblée générale des Nations-Unies pour l’année courante, vous avez adopté le slogan « Parvenir à des solutions grâce à la solidarité, la durabilité et la science ». Quelles sont les principales solutions que vous proposez ?

— Le monde est confronté à des divisions géopolitiques croissantes et à des incertitudes persistantes, en raison de la pandémie de Covid-19, de la guerre en Ukraine et d’autres conflits dans le monde, de la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales et du changement climatique. Les Etats membres affrontent des défis majeurs dans le contexte du manque de confiance et des divisions. C’est pour cela que la solidarité est le meilleur moyen de parvenir à des solutions à tous ces problèmes. Les inégalités augmentent depuis des années, ce qui conduit à plus de tensions et de crises. Nous, en tant que communauté internationale, ou bien nous sommes solidaires ou bien nous tombons tous ensemble dans de grandes crises. Nous avons besoin de solutions se basant sur la science pour prévoir les répercussions de tout acte et aussi caractérisées par la durabilité et qui auraient des effets positifs sur la planète et sur les habitants.

— Comment l’Assemblée générale peut-elle contribuer à faire face aux défis auxquels de nombreux pays dans le monde sont actuellement confrontés ?

— L’Assemblée générale est la maison de tous les peuples parce qu’elle accorde les mêmes droits à tous les Etats membres. Par exemple, l’Assemblée générale s’est immédiatement réunie pour discuter de la situation en Ukraine après le déclenchement du conflit. Tous les Etats membres qui souhaitaient s’exprimer ont été autorisés à être entendus. En avril dernier, l’Assemblée générale a décidé de se réunir automatiquement dans les dix jours si le veto est utilisé au Conseil de sécurité par l’un des cinq membres permanents. Tout recours au veto déclenche donc désormais une réunion de l’Assemblée générale, au cours de laquelle tous les membres des Nations-Unies pourront examiner et commenter le veto. L’Assemblée générale travaille également en étroite coopération avec le Conseil de sécurité, ainsi qu’avec le Conseil économique et social et avec les agences, fonds et programmes des Nations-Unies sur le terrain. Ainsi qu’avec la société civile, les groupes de jeunes, la science et le milieu universitaire. Ensemble, nous pouvons élaborer des plans solides, conformes à notre agenda commun avec le secrétaire général, ainsi que les ODD et sa vision au niveau international.

Vient ensuite le rôle des Etats de transformer les résolutions adoptées au siège de l’Onu en politiques nationales et locales, conformément à leurs sociétés.

— Nous souffrons aujourd’hui d’une crise majeure, qui est la perte de confiance dans l’ordre mondial. Quel est votre rôle pour restaurer et renforcer cette confiance ?

— Il faut rétablir la confiance. J’ai l’intention  d’organiser  régulièrement  des  consultations officieuses entre des groupes limités et diversifiés d’Etats membres, autour de questions critiques qui ont une influence directe sur les délibérations de l’Assemblée générale. Je pense également que nous devrions tous faire mieux en tant que communauté internationale pour trouver un  terrain  d’entente  et  l’utiliser  comme  base permettant de parvenir à des solutions durables.

Je prévois également d’inclure des parties qui ne font pas partie de l’Onu, par le biais de consultations avec la société civile, des organisations non onusiennes et des organisations religieuses. Je veux leur donner l’occasion d’informer les Etats membres de leurs points de vue, afin qu’ils puissent proposer des décisions politiques intégrées. En fin de compte, nous voulons des décisions politiques inclusives, transparentes et fondées sur la science. Nous représentons le patrimoine commun de l’humanité.

— Vous avez promis que votre bureau promouvrait les valeurs du multiculturalisme et du multilinguisme. Qu’entendez-vous par là et de quelle manière le ferez-vous ?

— Le multiculturalisme est une valeur partagée. Nous appartenons à des pays très différents qui ont des traditions et des cultures très différentes. Ensemble, nous représentons le patrimoine universel de l’humanité. J’encourage les Etats membres à partager leur patrimoine via des événements, des expositions ... Il existe dans mon bureau des représentants de toutes les régions qui nous aident à planifier et à organiser notre travail de sorte à assurer un contexte culturel et linguistique diversifié. En ce qui concerne le multilinguisme, il existe six langues officielles aux Nations-Unies parmi lesquelles figurent l’arabe et le français. Les réunions officielles de l’Assemblée générale ont une interprétation simultanée dans ces six langues autant que possible. Je déploie de grands efforts pour donner un élan à ce multilinguisme. Nous prêterons également attention aux autres langues à travers le monde, car elles font également partie de notre patrimoine culturel universel.

En outre, en décembre 2022, je lancerai la « Décennie des langues autochtones », un effort international dirigé par les Etats membres et l’Unesco et qui renforcera le multilinguisme au-delà des langues traditionnelles associées aux gouvernements.

— Le monde est confronté à de grands défis comme le changement climatique, le changement biologique et l’insécurité alimentaire. Comment les agences onusiennes peuvent-elles contribuer à l’élaboration d’une feuille de route pour résoudre ces crises ?

— Les agences, les fonds et les programmes des Nations-Unies sont des partenaires solides parce qu’ils se concentrent sur des questions spécifiques et ils sont souvent présents sur le terrain pour comprendre les problèmes et les complexités locales. Lorsque je parle de travailler avec des partenaires et de collecter les informations de différentes sources, la famille des Nations-Unies y joue un rôle-clé. Comme je l’ai dit dans mon discours à l’Assemblée générale des Nations-Unies, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (IPCC) s’est avéré un outil inestimable pour le soutien des décisions politiques de lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ses conséquences. Il faut envisager de reproduire son succès dans d’autres domaines comme l’eau, l’énergie, l’alimentation et la biodiversité. Ce qui permettra de créer une base scientifique efficace pour le travail.

— Quel est votre point de vue autour de la réforme du Conseil de sécurité après l’apparition de nombreuses divergences internes et des appels à élargir ses pouvoirs pour devenir plus représentatif de la communauté internationale ?

— Tout d’abord, mon rôle en tant que président de l’Assemblée générale est de nommer les coprésidents des négociations intergouvernementales et de les aider à continuer à faire avancer le débat qui dépend entièrement des Etats membres. A mon tour, je les exhorterai à continuer à trouver des solutions aux divergences.

Par ailleurs, je suis de près depuis plus de 20 ans les discussions sur la réforme du Conseil de sécurité, que nous appelons les « négociations intergouvernementales ». J’ai entendu tous les arguments — les avantages et les inconvénients — et j’ai également vu les résultats, ou l’absence de résultats. A mesure que le monde change, les défis changent et deviennent plus complexes. Il est clair que les sociétés attendent de l’Onu qu’elle travaille mieux pour leur sûreté et leur sécurité. Je pense que le Conseil de sécurité a un grand rôle à jouer à cet égard, un rôle très spécial. Par conséquent, je pense que les négociations intergouvernementales devraient se poursuivre et être axées sur la réalisation de résultats. Bien  sûr,  je  nommerai  des  co-facilitateurs,  et je leur demanderai de se concentrer sur la réalisation de résultats palpables.

— Les demandes sont nombreuses pour que la Palestine devienne un Etat membre à part entière à l’Onu. Soutenez-vous ces demandes ?

— Un processus clair régit l’adhésion à l’Onu, il est prévu par la Charte des Nations-Unies et le règlement intérieur. Si les Etats membres présentent une décision à ce sujet, nous faciliterons certainement les choses.

— Vous avez cité les paroles d’Abraham Lincoln : « Vous ne pouvez pas échapper à la responsabilité de demain en vous soustrayant à celle d’aujourd’hui ». Qu’entendez-vous par cette citation ?

— J’ai cité Abraham Lincoln dans mon discours à la première séance plénière de la 77e session de l’Assemblée générale en disant que nous devons tirer parti de la science si nous voulons enregistrer des progrès dans le développement durable. Il ne suffit pas d’évaluer où nous en sommes, nous devons utiliser la science pour frayer une voie plus efficace afin d’atteindre nos objectifs. Nous ne pouvons pas non plus échapper à un avenir sombre si nous ne travaillons pas sur des politiques efficaces. Nous avons une responsabilité non seulement envers notre génération, mais aussi envers les générations futures.

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