Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Mode de vie >

Ce doux retour aux sources

Hanaa Al-Mekkawi , Lundi, 01 mai 2023

Pendant les fêtes, Le Caire se vide de ses habitants originaires des provinces, qui accordent une importance particulière à célébrer toutes les occasions parmi les leurs, dans leur village natal. Un voyage au goût singulier.

Ce doux retour aux sources
Assister aux rituels de célébration avec la famille dans le village natal est très important.

Il est 23h, Lawendi, sa femme et leurs deux enfants se tiennent debout dans la rue, devant l’immeuble où ils résident et travaillent comme concierges. Devant eux, de grands sacs en plastique et des cartons bien fermés et noués avec des cordes de la même couleur, afin de pouvoir les distinguer facilement. Ils attendent le microbus qui va les emmener à Abou-Gourgas, leur village natal au gouvernorat de Minya, en Haute-Egypte, afin de passer la fête avec leurs parents. A part les places réservées à cette famille, le microbus arrive plein à craquer. Le chauffeur commence à charger leurs bagages sur le toit du véhicule et prend la route pour arriver à sa destination tout juste avant l’aube. « Il faut réserver sa place dans le microbus au moins 15 jours avant la fête, car tous les villageois venus travailler au Caire attendent impatiemment les quelques jours de vacances pour passer la fête en famille », explique le chauffeur Abou-Ahmad, qui fait des voyages quotidiens au gouvernorat de Minya. Mais à l’occasion des fêtes ou d’autres jours fériés, il peut faire plusieurs allers-retours par jour. « Faire une réservation à l’avance est indispensable seulement durant les saisons de fêtes, autrement, il suffit de passer un coup de fil la veille du voyage », dit Abou-Ahmad.

Chaque jour, il fait le tour du Caire pour prendre les passagers devant leurs lieux de résidence. Et une fois arrivés à destination, il les dépose devant leurs maisons dans les petits villages à Minya. Son père a exercé le même métier, quant à lui, il le pratique depuis 20 ans. Abou-Ahmad connaît presque tous les passagers et leurs familles ici et là-bas. Les chauffeurs de microbus, les personnes et les familles originaires de provinces sont habitués à se rendre de temps en temps, lors des occasions de fêtes, dans leurs villes et villages d’origine.

« Ce n’est pas seulement une question de transport, ce chauffeur connaît tous les membres de notre famille. On peut même envoyer avec lui de l’argent pour nos parents, et eux, ils nous envoient du beurre, des volailles et autres spécialités de la campagne », dit Amal qui est venue pour la première fois au Caire il y a 30 ans, accompagnant son mari pour commencer leur vie ici comme concierge dans un immeuble à Héliopolis. Ce couple a fondé une petite famille dans la petite chambre qui leur sert de logis au rez-de-chaussée. Ils ne sont ni les premiers ni les derniers à être venus de leurs villages pour la même raison. Alors, ils vivent au sein d’une petite communauté qui rassemble les membres de leurs familles ou d’autres personnes originaires du même village, arrivés avant ou après eux.

Une longue histoire d’exode rural

C’est la situation de toutes les personnes qui sont arrivées dans la capitale cherchant une meilleure chance de gagner leur pain. Un exode rural qui a commencé depuis les années 1920, comme le mentionne Mohamad Ahmad, chercheur à l’Université du Caire, dans une étude qu’il avait faite sur la géographie humaine en Egypte. Le chercheur affirme que la migration est devenue un phénomène notable dans la société égyptienne au début du XXe siècle, en majorité des migrations forcées pour creuser des canaux. La situation est devenue plus compliquée après la Révolution de 1952 et continue de l’être jusqu’à ce jour. Fuir les conditions difficiles de la campagne pour chercher du travail en ville est la principale raison de cette migration. La plupart des provinciaux occupent des emplois précaires : gardiennage, travaux dans le secteur de la construction, dans les cafés et un certain nombre d’autres emplois marginaux.

Tout un rituel

« Etre présent lors de la prière de l’Aïd et assister aux rituels de célébration avec la famille dans le village est un moment très important que je ne rate jamais. Après des mois de dur labeur, l’objectif est de voyager avec ma femme et mes enfants et rendre visite à nos familles au gouvernorat de Charqiya pour célébrer l’Aïd avec elles », dit Sameh Achraf, 37 ans, chauffeur, qui travaille au Caire depuis 5 ans. Il commence à se préparer pour ce voyage plusieurs semaines à l’avance. D’abord, il commence par acheter de nouveaux vêtements pour ses trois enfants et même pour sa femme, puis prépare les cadeaux qu’il va offrir à ses proches. En général, il préfère prendre des produits détergents et du savon, et pour sa mère une jolie djellaba. Avant son retour dans la capitale, il reçoit lui aussi des cadeaux. Des produits qui vont lui manquer au Caire, comme le pain « bataw », des galettes, du fromage « mech » et quelques poulets de ferme élevés sur le toit de la maison. Visite au cimetière, faire le tour des maisons des membres de sa famille pour leur souhaiter une bonne fête, ce sont les premières choses que Mohamad tient à faire le jour de la fête. Vêtu d’une ample djellaba, qu’il ne porte guère au Caire, il prend ses enfants habillés eux aussi en tenue traditionnelle et ils font le tour du village. Pour lui, le fait de se trouver dans son village natal lui donne un certain prestige au sein de sa famille, ce qu’il ne ressent pas lorsqu’il est au Caire, où il exerce un travail modeste dans un café et où personne ne le connaît dans cette grande ville.

Avant que les personnes originaires de province n’entreprennent ces voyages, on peut remarquer l’état d’effervescence dans certains endroits ; les grandes stations de microbus sont bondées, les gares aussi, puisque certains préfèrent le train, alors le nombre des trains augmente durant ces périodes de l’année. Des microbus se déplacent partout chargés de l’intérieur par des passagers et de l’extérieur par des bagages entassés sur le toit. Des marchands ambulants profitent pour exposer partout leurs marchandises constituées de vêtements et de jouets modestes pour les vendre aux clients qui ont décidé de faire le voyage. L’embouteillage est à son comble. Alors que pendant les jours de la fête, la capitale se vide, la circulation devient plus fluide et Le Caire est aux Cairotes.

Un fort attachement aux racines

Quel que soit le nombre d’années qu’ils ont passées ici, ces anciens villageois gardent un lien très fort avec leur village natal. Certes, selon le sociologue Taha Abou-Hussein, les habitants de chaque village ou gouvernorat forment une sorte de communauté et restent étroitement liés les uns avec les autres, mais cette proximité n’est jamais suffisante, et tous attendent la moindre occasion pour retourner au village et revoir la famille. Comme s’ils voulaient recharger leur batterie pour pouvoir terminer leur labeur ici. Et même si de longues années se sont écoulées au Caire, c’est toujours pour eux un séjour temporaire, et ce sont les quelques jours de vacances impatiemment attendus qui leur permettent de se ressourcer.

« C’est la nature des villageois. Comme la plupart d’entre eux sont à l’origine des agriculteurs, ils restent attachés à leur terre, donc à leur village natal », dit Abou-Hussein. C’est pour cela qu’ils insistent sur le fait de s’y rendre à chaque occasion, fêtes religieuses, noces, funérailles … « Les mariages, on peut ne pas y assister si on n’arrive pas à prendre de vacances, mais en cas de décès, on doit être présent. Tous les membres de la famille du défunt qui se trouvent au Caire louent un ou plusieurs microbus et se dirigent directement vers le village pour passer quelques jours et soutenir la famille en deuil », dit Karima, 70 ans, femme de ménage, dont le mari, originaire du Fayoum, travaille comme portier. Cette femme vit au Caire depuis l’âge de 9 ans. Jeune, elle attendait impatiemment que ses parents se rendent au village pour pouvoir jouer et passer du temps avec des filles de son âge. « Là-bas tout est différent, la fête, la nourriture, les relations. On se sent vraiment chez soi », s’exprime Karima, qui attend avec impatience de se rendre dans son village en compagnie de ses enfants.

Même la génération née au Caire garde le lien avec la terre des aïeux. Le fils de Karima, qui vit au Caire depuis sa naissance, a décidé de se marier avec l’une de ses cousines vivant au Fayoum. Depuis ses fiançailles, ses allers-retours ont doublé. Après le mariage, le couple va vivre dans la capitale. Mais les jeunes mariés vont continuer à se rendre régulièrement au village pour visiter les leurs. Une histoire à répétition.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique