
L’autonomisation économique est le mot d’ordre pour contrer le phénomène. (Photo : Mohamad Moustafa)
« Gharemate ». Le mot revient sur toutes les bouches et à toutes les occasions. Le débat autour d’elles aussi. Les « gharemate », ce sont ces femmes endettées qui risquent la prison et qui sont au centre des intérêts de nombre d’ONG. Fautil les considérer coupables d’un délit, voire d’un crime, celui de ne pas avoir remboursé les dettes qu’elles avaient contractées ? Ou faut-il voir en elles des victimes du besoin et des diktats d’une société souvent trop exigeante ? La polémique fait toujours rage. Chacun tenant à sa position. Les défenseurs des gharemate vont jusqu’à demander une législation appropriée. En effet, un projet de loi a été présenté au parlement pour amender l’article 341 de la loi pénale n°58 de l’année 1937 pour faire de la question de l’endettement un procès civil sous le titre : « Vers une modification législative au profit des gharemate ». Ce projet de loi, résultat d’un travail effectué par des députés, des experts juridiques et des représentants de la société civile, vise à présenter des alternatives à la peine de prison ferme, afin que les personnes endettées (hommes ou femmes) ne soient pas jugées comme des criminels et ne se retrouvent pas avec ceux qui ont commis des délits graves ou des crimes. Mais à condition de prouver que la dette n’ait pas été contractée pour lancer un business avec à terme un but lucratif. Le député Abdel-Moneim Imam explique que le nouveau texte, actuellement en discussion, propose notamment des peines alternatives aux personnes dans l’incapacité de rembourser leur dette, comme le fait de travailler sans rémunération auprès du commerçant à qui elles doivent de l’argent.
L’objectif de la loi, dit-il, est de bloquer à la source le circuit des récépissés de fractionnement de la dette. Parallèlement, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a demandé le lancement d’une plateforme numérique destinée aux personnes endettées. Une plateforme qui sera reliée aux différentes institutions et ONG oeuvrant dans ce domaine, et aura pour mission de faire les recherches nécessaires et d’étudier la situation de ces personnes au cas par cas, afin de parvenir aux solutions adéquates.
La raison de la dette, un facteur déterminant
En effet, tout dépend de la raison qui a poussé ces personnes, souvent des femmes issues de milieux défavorisés, à s’endetter.
Eslam Salheen a déjà travaillé en tant que programmateur radio pour le compte de l’ONG Masr Al- Kheir, qui oeuvre à rembourser les dettes de ces femmes, et a classé les gharemate en fonction de la raison pour laquelle la femme en question s’est endettée : il y a celles qui se portent garantes d’une dette contractée par leurs maris et qui se retrouvent obligées de la rembourser après la disparition de l’époux pour une raison ou une autre, il y a celles qui marient leurs filles et qui doivent préparer le trousseau et il y a celles qui achètent des électroménagers à crédit et qui se trouvent dans l’impossibilité de payer le crédit en question. L’ONG Masr Al-Kheir, comme bien d’autres, tente de régler ces dettes pour éviter aux femmes la prison. Cela est notamment fait par le biais du zakat (l’aumône légale) car, d’un point de vue religieux, le zakat peut être destiné au remboursement des dettes.

De même, certaines de ces femmes se font tout simplement arnaquer. A l’exemple de Mariam. « J’ai acheté une chambre à coucher pour mes 3 enfants à 12 000 L.E. et le commerçant a apposé mon empreinte digitale sur les 12 récépissés portant le paiement des échéances. Mais la somme totale de ces récépissés s’élevait à 30 000 L.E. », racontet- elle, ce dont Mariam ne s’est pas rendu compte à cause de son ignorance. Heureusement pour elle, l’Association des enfants des prisonnières a réglé sa dette.
En attendant que la loi soit amendée et que la plateforme soit créée, les pour et les contre continuent de s’opposer sur le moyen de gérer la question, surtout ce qui concerne les femmes qui s’endettent pour marier leurs enfants. Celles-ci, qui ne figurent pas en tête de liste des personnes prioritaires, sont au coeur du débat. Pour le député Abdel Moneim Imam, ces femmes ne veulent qu’améliorer les conditions de vie de leurs enfants. « Elles sont victimes de la pauvreté, elles pensent offrir une vie décente à leurs filles et le fait de préparer un trousseau de mariée exceptionnel peut leur conférer du prestige », pense-t-il. Un avis totalement rejeté par de nombreuses figures publiques, telle l’actrice Chérine, qui n’a pas hésité à déclarer qu’elle ne soutenait pas la cause des gharemate parce qu’elles s’endettent de manière anarchique et sans raison logique. Dans le même contexte, Amna Nosseir, professeure à l’Université d’Al-Azhar, pense que de nombreuses gharemate s’imposent un fardeau irrationnel, engendrant ainsi des frais inutiles alors qu’elles n’ont pas les moyens, ce qui peut être lourd de conséquences pour elles. Il n’est pas rare de voir des femmes défavorisées dépenser de grosses sommes pour l’achat d’articles jugés inutiles, superflus ou en quantité exagérée. « J’ai reçu une invitation de la prison pour femmes d’Al-Qanater. J’ai écouté beaucoup d’histoires de prisonnières, et très souvent, la cause de la dette est le mariage des enfants », raconte-t-elle. Elle ajoute qu’en rentrant dans les détails, elles lui ont fait savoir que la mariée doit entamer sa vie conjugale avec 24 couvre-lits, 12 robes de chambre et un tas de choses loin d’être essentiel. « Ceci est absolument ridicule. En voulant vivre au-dessus de leurs moyens juste pour se plier aux coutumes, ces femmes se sont retrouvées en prison. Il est temps de changer cette culture absurde », estime Amna Nosseir.
L’autonomisation de la femme, seule issue
Et entre ceux qui éprouvent de la compassion aux gharemate et ceux qui fustigent leur attitude, une troisième voie est possible : autonomiser les femmes pour éviter qu’elles ne tombent dans le piège de la dette. Nawal Moustafa, présidente de l’ONG l’Association des enfants des prisonnières, vient de recevoir le prix mondial de l’autonomisation de la femme de la part de la reine de Bahreïn, Sabika Al Khalifa. « C’est grâce au rôle qu’elle a joué dans le dossier de l’autonomisation des gharemate qu’elle a contribué au financement des ateliers de couture et d’artisanat au sein des prisons d’Al-Qanater à Qalioubiya, de Damanhour à Béheira, ainsi qu’au lancement de microprojets pour que les gharemate qui ont purgé leur peine puissent gagner leur vie, ce qui peut les aider à ne pas retomber dans les dettes à cause de la pauvreté », explique Maya Morsi, présidente du Conseil national de la femme.
C’est en 2007 que Nawal Moustafa a réussi à libérer de prison la première femme endettée. 5 000 autres ont suivi. Et son association a remboursé les dettes de 8 000 d’entre elles. « On fait toujours la distinction entre celles qui sont tombées dans le piège par ignorance ou négligence et celles qui se sont habituées à s’endetter en comptant sur les ONG pour rembourser leurs dettes », indique-t-elle. Ainsi, chaque femme ne sera aidée qu’une seule fois. Aussi et surtout, sensibilisation et autonomisation économique sont les mots d’ordre pour contrer le phénomène.
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