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Jumeaux : Quand tout est multiplié par deux !

Chahinaz Gheith , Mercredi, 23 mars 2022

L’arrivée d’un nouveau-né change la vie, celle de jumeaux la chamboule. Avec son lot de galère, de charges physiques et financières, mais aussi de joie et de complicité. Témoignages de mamans de jumeaux à l’occasion de la Fête des mères.

Jumeaux : Quand tout est multiplié par deux !

« Voyez-vous ce que je vois ? », lance la gynécologue à Rowayda Kamal, 28 ans. Sur l’écran, deux petites formes gigotent. C’est l’échographie de routine. La jeune femme est enceinte de 12 semaines. Et elle vient d’apprendre qu’elle attend des jumeaux. L’annonce d’une grossesse gémellaire est pour elle un gros choc. Stupéfaite, elle va faire une autre échographie pour s’en assurer. Comme il n’y a pas de jumeaux dans sa famille, elle ne s’y attendait pas. Un déferlement de sensations l’envahit : joie, excitation, angoisse, découragement, insécurité… Tout se mêlait dans sa petite tête. « Serait-ce une grossesse compliquée ? Arriverais-je à m’occuper de deux enfants en même temps? Que se passera-t-il si l’un des deux n’est pas correctement alimenté? Et s’ils naissent prématurément ? ». Tant de questions se sont bousculées en elle.


Ghazala Khamis, qui a donné naissance à des septuplés, 4 garçons et 3 filles, après 10 ans de leur naissance.

Porter des jumeaux est plus fatigant au fil des mois, car ce sont deux foetus qui grandissent et le ventre qui grossit davantage. Sans oublier les troubles liés à la grossesse qui sont généralement plus intenses, tels que l’empoisonnement, le risque constant de fausse couche et les difficultés respiratoires. Heureusement, l’accouchement s’est bien passé et Rowayda est rentrée chez elle, avec ses deux garçons : Ahmad et Mahmoud.

Depuis, le calvaire a commencé et elle tentait de survivre entre les biberons, les couches et les coliques. « Je me suis sentie seule à devoir tout gérer, car mon époux ne m’aidait pas comme je le souhaitais », confie-t-elle, tout en ajoutant que les premiers jours, allaiter en tandem était une tâche irréalisable. Car les nouveau-nés apprennent à téter, et il faut souvent vérifier leur prise du sein et l’ajuster. «  Au début, j’ai préféré allaiter mes jumeaux séparément afin de passer un moment privilégié avec chaque bébé. Mais ensuite, j’ai choisi plutôt d’allaiter mes bébés en même temps pour gagner du temps », poursuit-elle.


Des jumeaux d’Abou-Atwa, le village des jumeaux, placé au 3e rang mondial des villages ayant le plus haut taux de grossesses gémellaires. (Photo : Mohamad Adel)

Chaque jour, un marathon

Idem pour Rania Labib, maman des jumeaux dizygotes (de sexe différent). Débordée par deux bébés qui ne lui laissent jamais une minute de répit, constamment exténuée en raison du manque de sommeil, l’envie de tout laisser tomber la prend de temps à autre, et elle en a marre d’entendre dire que c’est un double bonheur. « Non, au début, c’est double galère, double fatigue, double angoisse. Il n’est simple pour aucune mère de voir arriver deux enfants en même temps. Sur le plan technique et plus encore psychologique, la tâche est toujours ardue, cela vire au marathon », lâche-t-elle tout en ajoutant que les premiers mois de ses jumeaux n’étaient pas une course contre la montre, mais plutôt une course de fond, durant laquelle elle a appris à se ménager. « Je souhaitais ne pas les faire dormir ensemble, dans le même lit. Ils avaient chacun son lit. Mais j’ai passé une première nuit horrible. J’ai donc décidé de les faire dormir dans le même lit pendant quelque temps, puis les séparer progressivement. Le temps que le premier finisse sa bouchée, je dois nourrir la deuxième. Il faut savoir être rapide et jongler facilement d’une bouche à l’autre. Avec le temps, mes enfants ont appris à être patients », raconte Rania, qui se consolait en se disant que plus les enfants grandissent, plus le quotidien devient facile. Et bien que l’aide de ses soeurs ait été précieuse, Rania avait juste envie qu’elles lui fassent un câlin, qu’elles lui disent: « aujourd’hui, je m’occupe des bébés, va te promener, va prendre l’air », ou qu’elles lui proposent une nuit off, pour qu’elle dorme suffisamment pour se remettre sur pied.


Le nombre de jumeaux a augmenté ces dernières années, en raison d’une consommation fréquente de médicaments à base de progestérone.

« Le burn-out maternel est plus fréquent chez les mamans de jumeaux. Un épuisement qui survient pendant la grossesse et après la naissance. Et ce, en dormant systématiquement en même temps que les bébés, puisque chaque heure de sommeil compte, en ne restant pas isolée, et en sollicitant au maximum la famille et les amies pour avoir de l’aide », explique Dr Mohamad Yasser, psychiatre. Et de poursuivre: « Quand ils sont tout petits, c’est plus facile, c’est surtout l’organisation qu’il faut savoir gérer. Ça devient plus dur quand ils se mettent à marcher. Quand on dit non à l’un, il faut retourner derrière pour dire non au deuxième. Et comme ils font les mêmes choses, on n’en finit pas … ».

Une facture qui monte, monte …

Quant à son mari, bien qu’au début, il ait été réjoui en lui disant que ça va être double bonheur, aujourd’hui, il est toujours stressé étant donné que la situation est d’autant plus compliquée, à cause du budget. Etant donné qu’avec des jumeaux, le budget fait fois deux, voire plus. Couches, lait, tétines, médicaments, etc., la facture grimpe vite et il faut assurer financièrement, en recherchant les bons plans et en optant pour des dépenses raisonnées. « Je ne sais plus où donner de la tête entre la boîte de lait qui coûte aujourd’hui 120 L.E., le paquet de couches à 320 L.E., et les médicaments. Sans compter la garde-robe qu’il faut refaire tous les deux ou trois mois, et les frais de transfusion pour l’un des jumeaux qui souffre d’anémie », raconte Rachad, comptable, qui a dû trouver un deuxième emploi pour assumer ses responsabilités. Et plus tard, c’est la garderie fois deux, les frais de scolarité fois deux …

Avoir des jumeaux est à la fois un défi et une chance.

Abou-Atwa, le village des jumeaux

En fait, il n’y a jamais eu autant de naissances de jumeaux de par le monde. « Plus de 1,6 million de paires de jumeaux naissent chaque année dans le monde », selon une étude publiée dans la revue scientifique Human Reproduction. L’une des raisons est l’augmentation de la Procréation Médicalement Assistée (PMA) et des maternités plus tardives. En Egypte, le village d’Abou-Atwa, dans le gouvernorat d’Ismaïliya, défraie la chronique. Avec 600 jumeaux issus de seulement 200 familles, il est aujourd’hui au 3e rang mondial des villages ayant le plus haut taux de grossesses gémellaires. « Ce boom de jumeaux dans ce hameau surnommé le village des jumeaux s’explique tout d’abord par le facteur héréditaire, ensuite par les traitements hormonaux, et enfin la consommation de médicaments boostant la fertilité. Sans oublier que la probabilité d’une grossesse gémellaire augmente avec l’âge. Lorsqu’elles vieillissent, le taux de la FSH des femmes, hormone responsable de l’ovulation, augmente dans le sang. Par conséquent, la probabilité que deux ovules soient fécondés en même temps augmente aussi. Ainsi, la fréquence de grossesses multiples atteint son pic entre 35 et 40 ans », explique Dr Ahmad Abdel-Azim, gynécologue à l’hôpital d’Ismaïliya, tout en précisant qu’il y a deux types de jumeaux : les homozygotes qui sont de vrais jumeaux du même sexe, issus d’un même oeuf scindé en deux, et les dizygotes qui sont de faux jumeaux de sexes différents ou non, issus de deux oeufs distincts.

Double calvaire, mais double bonheur

Deux d’un coup! Or, si pour certains la naissance de jumeaux représente un calvaire, pour d’autres, il s’agit d’un bonheur multiplié par deux. Tel est le cas d’Israa Tareq, déjà mère d’un petit garçon de 4 ans. Elle était très contente lorsqu’elle a appris qu’elle mettrait au monde des jumelles identiques. A 40 ans, elle ne pouvait espérer mieux pour agrandir sa famille en une seule grossesse. Une fois passées les difficultés que cela représente au quotidien, Israa le reconnaît: ce n’est que du bonheur. « J’ai une double dose de tout: de fatigue, mais aussi de câlins, d’amour et de cadeaux à la Fête des mères … », sourit-elle. D’ailleurs, il lui arrivait parfois de les confondre lorsque ses filles, Lama et Tara, sont dans le bain tellement leur similitude est surprenante. Mais heureusement que l’une d’elles a un grain de beauté sous l’orteil, ce qui lui permet de les différencier en cas de doute.

Etre maman de jumelles a sûrement été l’une des plus belles aventures de sa vie. « Quand tu vois des bébés d’un mois, la main dans la main, la tête contre la tête, à se faire des câlins, rien que ça, ça donne des forces pour gérer tout le reste », raconte-t-elle, tout en se remémorant ces moments précieux de tendresse entre ses deux bébés inséparables, et comment elle habillait ses jumelles toujours de façon différente, et cela depuis leur naissance. « De même que pour les coiffures, elles n’étaient jamais coiffées pareilles ! », ajoute Israa. Il faut être à l’écoute de chacune d’elles, accepter les différences, et surtout ne pas les comparer l’une à l’autre! « Je me suis toujours dit que c’était deux bébés nés le même jour, mais c’est tout, en aucun cas qu’elles étaient identiques en tout », indique-t-elle également.

Pour sa part, Lama, âgée aujourd’hui de 10 ans, soutient que les jumeaux ont tendance à penser qu’ils sont indissociables l’un de l’autre. « Je ne trouve pas que je ressemble à ma jumelle et nous n’avons pas la même personnalité. Par contre, ma soeur est une partie de moi. Je n’imagine pas un jour être loin d’elle. Nous nous partageons nos secrets et nous avons les mêmes pensées simultanément. C’est comme si nous étions connectées », confie-t-elle.

Justement, le psychiatre Mohamad Yasser estime que malgré le fait que dans certains cas, les qualités physiques diffèrent, la complicité entre les jumeaux est unique. Les liens qui les unissent semblent indestructibles. Pourtant, il refuse ce qu’on appelle le couplage, estimant que chaque individu, même jumeau, est singulier. « Les parents doivent prendre l’habitude de verbaliser les différences et de s’adresser individuellement à chaque enfant. Il est important d’assurer l’enfant de sa singularité, de lui accorder un statut d’unique et de donner à l’un et l’autre l’occasion de mettre en place des représentations mentales et personnelles. Car chacun a ses idées, ses opinions, ses rêves et ses projets », conclut Dr Yasse.

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