Depuis plus d’une décennie, presque un tiers des découvertes de gisements de pétrole ont été faites en Afrique. Selon le bilan énergétique de 2021, l’Afrique abrite 12 des 50 premiers pays producteurs de pétrole au monde et recèle environ 15 % des réserves mondiales d’hydrocarbures.
Cela n’empêche que la transition énergétique est bel et bien lancée. Les défis de cette transition étaient au coeur des discussions de la 5e édition de l’Egypt Petroleum Show (EGYPS 2022), tenue du 14 au 16 février sous le slogan « L’Afrique du Nord et la Méditerranée ... Assurer l’approvisionnement énergétique ». Cet important rassemblement international et régional de l’industrie pétrolière et gazière du nord de l’Afrique et de la Méditerranée a témoigné d’une large participation africaine des ministres du Pétrole et de l’Energie, de chefs et dirigeants d’entreprises, d’organisations pétrolières et gazières internationales, ainsi que d’experts de l’industrie pétrolière. Au cours de la conférence, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a exhorté les pays développés à fournir un soutien financier aux Etats africains pour faire face au changement climatique et à prolonger la période de transition pour respecter les engagements en matière d’énergies renouvelables. « Les pays africains ne sont pas prêts, jusqu’à présent, à attirer les investissements dans les énergies renouvelables en raison des conflits et de l’instabilité. Par conséquent, l’Afrique est le continent le moins développé. La majeure partie de la population du continent africain vit sans électricité », a déclaré le président Sissi. En effet, si plusieurs pays africains regorgent d’une grande variété de ressources naturelles qui peuvent les aider au développement durable, sur les 800 millions de personnes qui n’ont toujours pas accès à l’électricité à travers le monde, 600 millions se trouvent en Afrique subsaharienne.
« Les principaux défis auxquels est confrontée la production pétrolière en Afrique peuvent être identifiés en deux groupes. Le premier concerne les défis internes, tels que la sécurité, la stabilité politique et la corruption, en particulier dans le processus d’attribution des contrats d’exploration, ainsi que dans la détermination des proportions de l’Etat dans les revenus pétroliers. Le deuxième concerne les défis externes, représentés par la dépendance totale de ce secteur vis-à-vis de l’extérieur, de la production à l’exportation, ce qui contribue à la fragilité du secteur pétrolier du continent noir », explique Samar Al-Bagouri, professeure adjoint au département d’économie à la faculté des études supérieures africaines de l’Université du Caire. Pourtant, les sous-estimations par certaines institutions et multinationales pétrolières concernant le niveau du potentiel pétrolier africain sont contradictoires. « Les Etats africains producteurs sont très loin de disposer d’un minimum d’information crédible sur leur potentiel en hydrocarbures. Ce sont les sociétés étrangères qui détiennent toutes les informations sur les gisements miniers et pétroliers à partir des études géologiques, géophysiques et géochimiques entreprises souvent depuis l’époque coloniale. Elles sont les seules à connaître la valeur réelle de notre sous-sol », souligne Mahaman Laouan Gaya, ex-secrétaire général de l’Organisation des producteurs de pétrole africains (APPO).
Double défi
Abritant 17 % de la population mondiale, l’Afrique produit moins de 5 % des émissions annuelles mondiales et ne représente que 3 % des émissions cumulées mondiales, selon l’APPO. Cependant, 35 sur 54 des pays africains se sont engagés à atteindre des émissions nettes nulles. Mais, l’investissement requis, estimé à 2,8 billions de dollars, pour faire passer la base énergétique actuelle de l’Afrique des combustibles fossiles d’ici 2050, est inabordable pour la plupart des pays africains. Ainsi, l’Afrique fait face à un double défi de la transition énergétique et de la lutte contre la pauvreté énergétique. « Alors que l’importance de la décarbonation mondiale et d’une planète durable est primordiale, le cheminement vers l’objectif net zéro met clairement en évidence le risque d’enraciner davantage le fossé entre les gagnants et les perdants économiques. Les réserves africaines perdront davantage leur valeur et leur importance à mesure que la marche vers la transition énergétique se poursuit », estime Samar Al-Bagouri.
En outre, les restrictions dues à la pandémie de Covid-19 ont perturbé le secteur africain, déjà faible, du marché du pétrole et du gaz. Deux ans après l’apparition du virus, les pays africains producteurs de pétrole peinent toujours à se remettre de l’impact de la pandémie. Quelques mois avant l’apparition du Covid-19, la majorité de ces pays invitaient les compagnies pétrolières internationales à investir sur le continent. Mais un certain nombre de grands projets d’hydrocarbures comme au Ghana, au Niger et au Nigeria ont dû faire face à des retards de calendrier dès les premières mesures de confinement. Et les prix des matières premières ont ensuite chuté. Le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent, qui dépend des revenus pétroliers pour plus de 50 % de son budget et dont le pétrole représente 91 % de ses exportations, a perdu 65 % de ses revenus au cours des six premiers mois de 2020. Le Ghana a également perdu environ 50 % de ses revenus pétroliers.
Les principaux acteurs du secteur voulaient atténuer au plus vite leurs pertes avant que la crise ne s’aggrave. ENI et Total, les deux géants pétroliers internationaux les plus présents en Afrique, n’ont pas tardé à indiquer des réductions de 25 % de leurs investissements dans les projets d’exploration et de production en 2020.
Ces décisions n’ont pas été aussi bien accueillies par les nouveaux producteurs de l’Afrique, contraints de réduire leurs perspectives d’avenir, comme l’Ouganda, le Sénégal, le Mozambique et la Mauritanie. De même pour la Côte d’Ivoire, qui a récemment annoncé « une découverte majeure » de pétrole et de gaz naturel et qui espérait rejoindre les rangs des grands producteurs dès 2023, date à laquelle le pétrole offshore devrait commencer à couler.
Quelles attentes ?
Les dépenses d’investissement prévues en 2020-2021 sont passées de 90 milliards de dollars, avant le Covid-19, à 60 milliards de dollars. La production de pétrole a diminué de 19 % et la consommation de 14 %.
Néanmoins, la baisse des prix du pétrole et la pandémie n’ont pas empêché certains projets de continuer à se développer. Parmi les plus ambitieux figurent les projets de Tilenga et d’East Africa Crude Oil Pipeline du géant français Total en Ouganda. Le Rapport sur l’investissement dans le monde 2021 indique que malgré la diminution du volume des flux d’investissement vers l’Afrique pendant la période pandémique, les investissements dans le domaine des énergies renouvelables ont connu une croissance. « Il s’agit, entre autres, de projets d’énergie solaire et d’énergie éolienne en Afrique de l’Est », explique Samar Al-Bagouri. Mais, ajoute-t-elle, « la production est limitée et les coûts sont élevés par rapport aux sources d’énergies traditionnelles. Cependant, l’enjeu environnemental prenant de plus en plus d’importance, il est possible de voir s’accélérer le rythme de ces investissements ».
Parallèlement, les institutions internationales se montrent relativement optimistes, avec une reprise prévue de la demande et un retour à la hausse des prix du pétrole. Or, conclut Samar Al-Bagouri, « cette reprise doit être considérée avec prudence vu l’incapacité des pays africains à s’intégrer plus efficacement dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Et ce, pour ne pas se contenter du rôle de fournisseur de matières premières » .
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