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Bahig Ismaïl : Corruption des âmes

Traduction de Suzanne El Lackany, Mardi, 03 juin 2014

Entre deux pièces de théâtre, le dramaturge Bahig Ismaïl écrit des vers dans lesquels il garde le sens du conflit dramatique et qui reposent sur la description de détails déchirants. Extraits de son recueil Fassad al-arwah.

Litterature

Les enfants du jasmin

Des larmes des filles

Dieu crée

Les enfants

Il leur donne des jasmins au parfum particulier.

Et quand ils grandissent

Dans les pays accablés de dettes

Leurs âmes s’emplissent aussitôt

De tristesse

Et leurs visages mûrissent de brumes,

Très vite

La mort les atteint

Après un bref périple de souffrances,

Résignées et silencieuses

Les mères les enveloppent dans leurs vêtements neufs

Et les pères les portent

A travers les chemins étendus

Pour les cacher dans la terre

Avec l’espoir

Que Dieu les crée une seconde fois

A nouveau

Dans de nouveaux pays

Des enfants nouveaux

Ayant un parfum de jasmin.

Bouquet de roses

Les traits des visages qui tombent très vite

Au cours des voyages du week-end

Savent très bien

Que les fards contemporains

Ont la capacité de lifter la peau

Et que les cliniques secrètes

Sont capables de redonner la vie

C’est pour cela que seul l’argent les intéresse.

Les visages qui savent parfaitement

Que les exemples de vertu sont tombés par l’action du temps

Et par le verdict de la Haute Cour

Savent aussi qu’ils possèdent le pouvoir

De fixer leur image

Sur les réseaux d’Internet

Avec une longue histoire honorable

Qui s’étend peut-être sur deux cents ans,

Ces choses-là n’ont plus besoin de certification

Mais ont surtout besoin de deux faux témoins

Ou des historiens payés ayant des doctorats

C’est pour cela qu’ils ne sont intéressés que par l’argent.

Les portraits qui ont très bien compris

Que l’avenir est au fric

Et aux dieux des affaires

Passent leurs journées à tuer des oiseaux

Qui causent du vacarme

Et à tisser des filets aux papillons

— Irritant la lumière —

Chassant les renards

— Pourrissant les vignes —

Et ils passent leurs nuits à cueillir des fleurs

En une quête des choses nécessaires à l’exportation.

Les dieux de l’argent

N’oublient jamais de garder un dernier bouquet de fleurs

Placé au coeur de la salle prête à accueillir

La réunion des membres

Pour préserver l’image joliment présentable.

Chuchotements du vent

Tandis que je traverse le chemin qui mène aux jardins d’enfants

Voilà que mes yeux se posent

Sur un groupe de mouettes blanches

Au milieu d’une mare d’eau croupissante

J’ai cherché à savoir auprès de ceux qui s’y connaissent

En vie des oiseaux

Ils m’ont dit que ces oiseaux étaient perdus

Leur destination était la mer

Mais ils sont tombés dans les rets de la mare.

Je regarde encore une fois

Je vois que les mouettes battent des ailes comme en une joie

A leurs becs une chose pend, on dirait un poisson,

J’ai posé la question encore une fois aux connaisseurs :

« Mais elles respirent le bonheur »

Et il semble que les mouettes ne pourront pas se rendre compte du leurre

Ou penser au départ

On me répond: les mouettes sont habituées maintenant …

Ce qui s’accroche à leurs becs

Ce n’est pas un poisson

Mais des grenouilles noires

Car elles ne voient plus très bien dans l’obscurité de l’eau.

Au printemps,

Les mouettes ont pondu des oeufs, éclos ensuite,

Je regarde encore la mare à l’eau croupie

Je n’y trouve que les parents

Ils barbotent dans la vase et crient

Souillant leurs plumes de boue

Comme une coutume antique d’Egyptiens.

Je cherche encore à savoir, croyant que les oiseaux ont compris le piège,

On m’a dit: non, mais les petits des mouettes, ces oisillons,

Dès qu’ils avaient eu des ailes ils se sont envolés

Leur destination était la mer

Je demande: comment savaient-ils leur voie?

On me répond: par l’instinct

Mais une mouette traversait la région par hasard

Son cri ressemblait à un chant

Non, ce n’est pas l’instinct.

Il s’agit bien des chuchotements du vent.

Chanson pour l’avenir

Nous avons du travail

Pour les trois cents années à venir

Nous qui inspectons la terre

A la recherche de la mort qui guette

Sous l’écorce.

Pour les trois cents années à venir

Nous avons de la peur

Nous qui inspectons les jardins

A la recherche de la mort contenue dans les bouteilles

Qui n’ont pas eu l’occasion d’exploser

Depuis la dernière guerre

Et je ne leur accorde pas la chance

D’oublier la vengeance

Tout au long de ces années-là.

Durant trois cents années à venir

Nous aurons des tués qui arriveront

Des yeux diaboliques les épieront

Cachés dans la poussière

Attendant les passants

Qui mourront soudain

Dans les promesses échangées

Sur cette terre-là

Que l’on a ornée rapidement.

Pendant les dix années passées,

Dix années seulement,

On a vu mourir parmi nous,

Nous les inspecteurs experts,

Mille personnes

Et peut-être avant de délivrer la terre

Du poids de tant de fardeaux

La terre serait-elle peuplée, par d’autres milliers,

D’autres bombes

Qui se tiennent en embuscade

Guettant l’occasion qui viendra

Pour faire de toute la terre

Une seule bombe… vivante…

Face à laquelle toute prière sera inutile.

Satan

Taisons-nous

Car nos cris sont arrivés jusqu’au bon Dieu

Veuves et vieux ont hurlé

Et les enfants se sont tus

Quant aux jeunes

Ils ont continué à battre le tambour.

Le bon Dieu a dit qu’il existe deux issues

Soit une étoile filante foncera vers la terre

Et la détruira

Ou bien l’homme sera recomposé, rapidement sa formation se fera à nouveau.

Satan a dit: Et moi je propose deux solutions

Soit je tue tous les pauvres par la magie noire

Soit je les entraîne dans mon royaume inférieur

Et je les baptise par le feu

Pour en faire l’armée du futur.

Non loin de là

La miséricorde sommeillait

Sur une colline verte

En comptant un nombre incalculable de crânes d’enfants morts.

Disparition

Ceux qui croient aux lendemains

Attendent là-bas

Au jardin d’enfants,

Et ceux qui croient au jour d’hier

Comme un dernier don de Dieu

Attendent là-bas

Dans leurs mystérieuses cahutes

Au croisement de deux nuits

Ceux qui croient en rien

Attendent dans des cafés bien à eux

Avec la mélancolie languissante du thé

Et les éclats de rire qui résonnent dans les narguilés

Et moi je suis debout quelque part sur la route

Attendant l’inconnu qui arrivera

Selon un rendez-vous de jadis

Dont je ne me souviens plus du tout.

Bahig Ismaïl

Dramaturge égyptien et également poète, il compte de nombreuses contributions à la critique littéraire dans la presse égyptienne, et il est membre au Conseil Suprême de la culture. Parmi ses pièces de théâtre publiées : Baghbaghan tawil al-lessane (un perroquet à la langue pendue), Al-Aleha ghadeba (la colère des dieux), Innahom yaëkoloune al-hamburger (ils mangent du hamburger). Parmi ses recueils de poèmes : Telka al-ayam (ces jours-là), Al-echq, al-horriya, al-mout (la passion, la liberté et la mort) et Fassad al-arwah (corruption des âmes) aux éditions GEBO 2013, et dont nous publions ici quelques vers.

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