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Tout le monde a son roman

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 24 mai 2023

Pour la deuxième année consécutive, le Salon du livre francophone du Caire est organisé par l’Institut français d’Egypte. Des événements dédiés au livre et à la langue française se sont déroulés du 17 au 20 mai avec, comme invité d’honneur, l’écrivain bestseller David Foenkinos. Focus.

Tout le monde a son roman
David Foenkinos et Nourhane Nabil, au café littéraire de l’IFE, la semaine dernière.

 Un livre est plus qu’une série de mots qui s’enchaînent sur des pages, et derrière chaque livre, un homme — ou une femme — qui a son propre univers. C’est ce que l’on retient, entre autres, de la rencontre avec l’écrivain français David Foenkinos, qui a eu lieu vendredi dernier au patio de l’Institut français d’Egypte. Animée par Nourhane Nabil, chevalière des Arts et des Lettres, et présidente des librairies Renaissances au Caire, la rencontre avec Foenkinos était une parenthèse pour raconter son parcours, aborder son caractère d’auteur et parler évidemment de ses ouvrages.  « Un artiste accompli puisqu’il s’intéresse à toutes les formes d’arts ». C’est ainsi que Nourhane Nabil a décrit l’auteur dès le départ du « café littéraire ». Et ce, après avoir énuméré ses talents pour la création romancière, le cinéma, mais aussi la musique et la peinture. 


Le Mystère Henri Pick, roman adapté à l’écran.

Avec 1 million 60 000 exemplaires vendus de son roman intitulé La Délicatesse traduit en 40 langues, David Foenkinos a eu un succès redoutable. « Qu’est-ce que ça te fait de revenir en Egypte 20 ans après avoir été couronné de succès ? ». Une première question adressée par Nourhane Nabil à l’auteur. « Je me souviens encore quand j’ai eu l’invitation pour l’Egypte. C’était magnifique et inoubliable. C’est en Egypte que j’ai eu la chance de rencontrer Antoine Gallimard, le président des éditions Gallimard, et aussi Florian Zeller qui a conquis Hollywood et a remporté deux oscars. Il s’est inspiré de son voyage au Caire pour rédiger son ouvrage La Fascination du pire. Je me souviens de la façon généreuse avec laquelle j’ai été accueilli, de mon invitation à la radio pour faire un entretien avec un journaliste qui parlait un français tellement pur et beau … ». Des souvenirs qui dépassent les frontières de la capitale pour atteindre la ville côtière d’Alexandrie …Un séjour gravé dans sa mémoire.


Audrey Tautou a incarné La Délicatesse.

La modératrice de la rencontre n’a pas hésité à lui demander si on est écrivain sans le savoir ou on le devient en travaillant ? « Je pense que chacun a un rendez-vous à un moment donné avec quelque chose qu’il sait faire ou aime faire. Personnellement, je me suis senti plus à l’aise avec les mots, et le monde de l’imagination », a affirmé Foenkinos qui avait un rendez-vous particulier avec l’amour de la lecture et de l’écriture à cause d’une maladie rarissime qui l’a attaqué tout jeune et l’a obligé à être hospitalisé pendant un certain temps. « Mon destin aurait pu être différent : en 1991, quand j’étais hospitalisé, il n’y avait pas d’Internet, ni Instagram, ni Netflix …je n’avais rien à faire à part lire des livres …Etant en soins intensifs, je me mettais à écrire beaucoup de lettres. C’était ma façon de m’exprimer. Je ne sais pas qu’est-ce que je serais devenu avec le Wi-Fi maintenant. Peut-être qu’il y a de grands écrivains aujourd’hui qui ratent totalement leur vocation à cause de cela ». Nombreuses oeuvres de Foenkinos ont été adaptées au cinéma. « Une trahison de son âme d’écrivain ? », s’interroge la modératrice, à qui Foenkinos affirme avoir des adaptations très réussies, d’autres très ratées. « L’adaptation c’est la dictature de l’image sur l’esprit », répond-il. 

La discussion nous a plongés dans les oeuvres de l’auteur, en choisissant comme point de départ de lui poser une question sur la présence de personnages polonais dans la plupart de ses livres. « Un talisman ? » Foenkinos approuve cette remarque en soulignant que seul son roman Charlotte en fait exception. Il raconte que lorsqu’il avait 25 ans, il avait fait une histoire avec deux Polonais, parce qu’il aimait bien les auteurs polonais, mais aussi le grotesque des pays de l’Est. Et, il s’était dit pourquoi ne pas envoyer son texte à un éditeur et voir ce que cela allait donner. Six mois plus tard, il avait eu une réponse positive de la part de Gallimard. « Je me suis dit que les Polonais sont porteurs de chance. 20 ans après, ils sont toujours là ! », a-t-il dit, en souriant. Charlotte, qui a valu à l’auteur le prix Renaudot en 2014, ne ressemble pas à ses autres oeuvres. Ce roman est tout à fait différent de Qui se souvient de David Foenkinos, ou La famille Martin. Est-ce la peur de l’écrivain en manque d’inspiration ? Cette angoisse d’être trompé par la page blanche ? Pour répondre à cette question, Foenkinos a expliqué qu’il a mis 8 ans à écrire ce roman. Il a le luxe de pouvoir vivre de sa passion, et de pouvoir mettre son temps. 

 « La vraie angoisse n’est pas liée à la page blanche, mais plutôt à la médiocrité. Tout le monde a envie d’être génial, d’être incroyable. Quand on écrit, on est confronté au maximum de ses limites. Et cela est parfois insuffisant. Et, c’est là, la difficulté d’être écrivain », a déclaré l’auteur, mettant souvent en avant des personnages qui ont un côté toujours bienveillant : « C’est marrant ! Je me suis dit qu’il fallait que j’aille vers des personnages plus méchants, plus violents, plus scéniques. En effet, ce qui m’intéressait c’est d’aller chercher la vérité en chaque personne, d’en comprendre les motifs. C’est déjà difficile d’aller mal, et c’est encore plus difficile lorsque les autres vont bien ». 

Souvenirs d’une personne oubliée
David Foenkinos explique par la suite comment notre rapport au passé, à la nostalgie, au voyage, aux émotions … pourrait constituer de la nourriture qui se transforme en matière romanesque. « On se laisse guider par le hasard de son inspiration ». Dans Charlotte par exemple, il retrace la vie de Charlotte Salomon, jeune artiste allemande morte à vingtsix ans. Après une enfance à Berlin marquée par une tragédie familiale, elle a été exclue progressivement par les nazis de toutes les sphères de la société allemande. Elle a vécu une grande passion amoureuse avant de devoir tout quitter pour se réfugier en France. 
Exilée, elle entreprend la composition d’une oeuvre picturale autobiographique d’une modernité fascinante, Leben ? oder Theater ? (vie ? ou théâtre ?). Celle-ci a tant inspiré notre auteur. Son roman devient plutôt le récit d’une quête. Celle d’un écrivain hanté par une artiste, et qui part à sa recherche. Un roman dont l’écriture est très esthétique, oscillant quelque part entre la prose et la poésie. Cette écriture qui ressemble à une fine dentelle lui a valu tant de prix dont, entre autres, le prix Goncourt des Lycéens et le prix Renaudot. Cependant, l’auteur ne s’attendait pas à un tel succès, car le roman a commencé par susciter des réactions plutôt réticentes, mais il était content de l’avoir achevé au bout de 8 ans d’écriture et de recherche. Très poétique et émotionnel, l’auteur pensait à un échec redoutable de l’ouvrage, surtout que les premiers retours allaient dans ce sens. « C’est bouleversant de pouvoir mettre en lumière une personne oubliée. Et Charlotte était une personne extraordinaire qui a transformé autant de souffrances et de tragédies en une source de création. Pour moi, elle est le symbole de la résurrection par la création ». 

Cet autre qui écrit
La modératrice de la rencontre lui a demandé par la suite d’expliquer une phrase qu’il avait citée dans l’une de ses interviews : « La création est un adultère du quotidien ». Et c’était à Foenkinos de répondre que la création lui octroie une double vie. Car lorsqu’il écrit, il se sent ailleurs, et très différent, étant déconnecté par rapport à sa vraie personnalité. 
Dans son roman La famille Martin, la question de la création est abordée différemment. Le personnage principal, qui est un écrivain en faute d’inspiration, se jette dans la rue à la recherche d’idées. Il arrête la première personne qu’il croise, et l’histoire démarre. « Tout le monde a son roman. Chacun a des failles, et des souffrances ». 

Etre deuxième
Dans son dernier roman en date, Numéro Deux, l’auteur se penche sur le destin de Martin Hill, qui, ayant été repéré par le producteur des films Harry Potter en 1999, échoue au casting final face à l’auteur Daniel Radcliffe. Il ne parvient pas à surmonter son sentiment d’échec du fait d’être témoin en tous lieux et en toutes circonstances du phénomène Harry Potter et du succès grandissant du garçon qui lui a « volé » son destin. C’est surtout à la notion de l’oubli que s’intéresse Foenkinos, mais aussi aux thèmes de l’épreuve et de la deuxième chance, très récurrents dans la plupart de ses oeuvres. Une heure de discussions n’a pas suffi pour aborder à fond toutes les oeuvres de l’écrivain, ainsi que ses aventures dans le monde de l’image et de la musique. La rencontre s’est terminée par la lecture d’un extrait de Charlotte. Des phrases d’une grande douceur.

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