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A la recherche des lucioles perdues

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 23 novembre 2022

Dans le recueil de poèmes Orpailleur de Lucioles, Eric Quintric- Divérrès puise dans la tradition de la poésie romantique où le lyrisme s’impose pour proposer une configuration d’un « je » en quête de lumière au bout du tunnel.

A la recherche des lucioles perdues

Parfois moroses, parfois rêveurs, les poèmes du dernier recueil en date d’Eric Quintric-Divérrès semblent engager des conversations, sinon dégager des cris de révolte, de détresse, d’amour, etc. Le titre Orpailleur de lucioles miroite le statut du poète-orpailleur : à l’instar des chercheurs de paillettes d’or, il cherche des lucioles. Des vers luisants qui symbolisent la lumière dans l’obscurité, ainsi que le mystère et la magie de la vie. Cependant, il ne se révèle pas en tant qu’un ayant du savoir-faire, mais plutôt en tant qu’un poète pour qui des actes comme « écrire » et « crier » deviennent synonymes. D’ailleurs, il le dit dès le premier poème dont le premier s’ouvre sur une paronomase « Pourquoi j’écris, pourquoi je cris ». Ce rapprochement sémantique laisse penser que le sens des mots est également lié.

Composé de 58 poèmes divisés en 5 chapitres thématiques, ce recueil se présente dans sa totalité comme un récit à plusieurs fragments. Il commence par un cri de révolte à cause du déclin de la poésie, et parle de son rôle, ainsi que de sa passion de poète, avant d’aborder l’amour dans le chapitre qui suit, puis parle de la culture bretonne. Ensuite, il entretient des jeux de mots dans des poèmes qu’il qualifie de « loufoques comme notre époque » et clôt sur des poèmes sombres sur l’enfance et le monde.

En effet, les poèmes ont été disposés selon un certain ordre (par l’auteur ou par l’éditeur) qui donne lieu à une certaine gradation. Chaque chapitre porte un titre, ainsi qu’une citation ou un vers d’un grand poète. La première partie, Auto-psy d’un poète enragé, commence par une citation d’André Suarès ; la deuxième, Tout feu tout femmes, par un vers d’Arthur Rimbaud. La troisième, Nuits Divérrès De Bohars à Saint-Pabu, où il s’agit d’un jeu de mots entre Divérrès et d’ivresse (Bohars et Saint-Pabu sont des quartiers de Brest, sa ville), par une citation de Victor Hugo. La quatrième, Poèmes loufoques comme notre époque, par un vers de Charles Le Quintrec, et la cinquième, La topographie de douleur, par une citation d’André Malraux.

Baigner dans la poésie romantique

Ces cinq grands écrivains révèlent l’état d’âme du poète. Leurs vers ou citations semblent être des seuils à franchir, pour déchiffrer le for intérieur de ce dernier. Ainsi, ils s’imposent au début de chaque partie comme pour offrir une piste de réflexion au lecteur qui, à force d’avancer dans la lecture, décrypte son message. Une sorte de gradation s’impose : un prélude justifiant la valeur de la poésie pour le poète, puis un développement centré sur l’amour et la séparation pour s’achever sur un crescendo : la folie et la douleur qui conduisent au rejet d’un monde incompréhensible. La temporalité est alors double. Elle s’annonce non seulement au niveau du fond, mais aussi au niveau de la forme. On passe de la fin du XIXe siècle, avec Suarès et Rimbaud, à la fin du XXe siècle avec Le Quintrec et Malraux.

On est donc dans le règne de la poésie romantique par excellence. Un code glissé par Eric Quintric-Divérrès ? Pourquoi pas ? Ce recueil est fortement marqué par la dimension autobiographique, voire lyrique, caractéristique de la poésie romantique. Dès le premier vers, on note l’anaphore du « je », qui se répète tout au long des autres poèmes. Le pronom personnel est suivi d’un verbe d’action, ce qui marque la détermination. Pourtant, ces actions semblent accomplies de manière machinale et le poète est surtout centré sur ses sentiments. La dimension autobiographique fournit donc le cadre externe à une méditation sur l’acte d’écriture et ses visées. Un dialogue intérieur semble être instauré : le poète cherche à s’identifier à travers l’acte de l’écriture. Cependant, il semble égaré et désespéré. « Un désespéré que le monde rend dingue », dit-il.

Correspondance avec la nature

La tonalité est souvent pathétique. Mais il s’agit d’un pathétique qui s’inscrit dans la tradition romantique, où s’établit une sorte de correspondance entre les sentiments du poète et la nature qu’il décrit : la nature prend part pour consoler. A titre d’exemple, dans le poème intitulé Archéologie de l’enfance, le poète fait le schéma d’une nature qui déborde de mélancolie : « Des crépuscules ternes … », « Les éclipses enténébrer les horizons » … Cette obscurité intérieure ou nuit de l’âme fait penser à la mélancolie, caractéristique des poèmes romantiques du XIXe siècle. Toutefois, il cherche, avec le poème qui suit, à sortir de la mélancolie pour se diriger vers l’espoir.

Pour faire son autoportrait dans le malheur, le poète se prend pour un illusionniste qui « enfile les nuages comme des pantoufles », qui « dissimule la laideur du monde d’un échafaudage de rimes », qui « moissonne quelques rayons de soleil pour illuminer le rêve de celui qui dort. Et éclairer les chemins de l’espoir dans son sommeil ». Seul, le poète cherche à faire face à la laideur de ce monde. Et dans cette solitude, la nature l’accompagne. Elle semble capable d’être la confidente de sa douleur et de l’apaiser. Comme souvent c’est le cas dans le Romantisme.

Dans « mutation vers le mutisme », le « tu » apparaît pour la première fois pour évoquer une intimité qui s’agence par la suite dans Absence, Le crépuscule des idoles, Odes à l’enfant. Ce « tu » n’est pas toujours uniforme : il renvoie à sa bienaimée, son père ou son ami.

Il s’agit d’un voyage intérieur à dimension spirituelle, voire mystique. Mais une lecture métaphorique de cette temporalité permet d’évoquer la représentation imagée d’une vie humaine. Un parcours qui commence par le cri et l’écriture et se termine par l’amour enseveli. Cependant, le poète ne se résigne pas et garde en son coeur la persévérance de l’enfant : « Et j’héberge toujours ce pauvre gosse/ Fragile/Qui cherche encore sa place ». C’est ainsi qu’il clôt son recueil. La forte présence du « je » nous laisse entrevoir une poésie lyrique. Toutefois, ceci ne nous empêche pas de nous demander comment le définir ? Est-ce un jeu réel ou fictif ? Ou bien s’agit-il d’une tension entre les deux afin de plonger dans l’expérience de l’altérité ? Le poète s’empare des thèmes tels l’amour, la rupture, l’enfance, pour en faire une expérience de valeur universelle et poétique. Ce poétisme est, en outre, révélé dès le choix du mot « luciole » qui figure dès le titre de ce recueil. On le retrouve de même dans la dédicace faite à ses enfants comparés à des lucioles. D’ailleurs, comme des paillettes d’or, ce mot est dispersé tout au long du recueil. Le poète ne s’est-il pas identifié dès le début en tant qu’orpailleur de lucioles ? Ces dernières donnent de l’espoir lorsque tout semble sombre. Elles éclairent votre chemin dans le voyage qu’est votre vie. La luciole signifie que, même si vous semblez terne dans la journée, lorsque vous brillez, vous rayonnez de votre lumière intérieure.

Orpailleur de lucioles, poèmes d’Eric Quintric-Divérrès, 115 pages, aux éditions Plume Libre, 2022.

Bio express

Ayant passé sa jeunesse en Egypte où il a fait des études en sciences po à l’Université américaine du Caire, Eric Quintric-Divérrès s’est lancé dans plusieurs aventures professionnelles avant de se donner entièrement à l’écriture. En 2013, il revient dans son village maternel de Lampaul-Plouarzel (département du Finistère) pour se consacrer à l’écriture. Il en résultera un premier recueil, Exils Salutaires, ainsi qu’un roman : Rêve d’en France.

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