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L’individuel versus le collectif

Rasha Hanafy , Mercredi, 24 août 2022

Lauréat du Booker arabe en 2022, Khobz Ala Tawlat Al-Khal Milad (du pain sur la table de l’oncle Milad), le roman du Libyen Mohamed Al-Naas, dépeint la souffrance de l’individu face à la tyrannie de la société.

L’individuel versus le collectif

«  C’est un ouvrage qui offre une critique profonde et méticuleuse sur les concepts dominants de masculinité et de féminité (…). Il se situe au coeur des questions soulevées de par le monde sur les différences des genres, tout en étant ancré dans un environnement local arabe ». Telles sont les raisons mentionnées par le jury du Prix international de la fiction arabe (Booker), justifiant son choix du roman Khobz Ala Tawlat Al-Khal Milad (du pain sur la table de l’oncle Milad), primé en 2022.

Il s’agit du premier roman de Mohamed Al-Naas, 31 ans, écrivain et journaliste libyen, ayant achevé ses études en génie électrique à l’Université de Tripoli en 2014. Les événements se situent en Libye, dans un village fermé sur ses habitants. C’est là où Milad, fils de boulanger, s’efforce d’être un « mâle idéal », tel défini par la société. Après avoir rencontré sa future épouse, Zeinab, il décide cependant de faire table rase de toutes ses idées préétablies et d’être lui-même. A la maison, il accomplit les tâches ménagères que la société réserve généralement aux femmes, tandis que Zeinab travaille et fait vivre la famille. Milad ignore les moqueries des gens du village, jusqu’à ce que son neveu y attire son attention. Le roman remet en question les idées reçues sur la question du genre et défend la liberté des individus face à la tyrannie de la collectivité. Il explique en détail comment l’individu est écrasé sous le poids d’une société cruelle, qui n’accepte pas la différence.

« La littérature libyenne moderne a été soumise à une marginalisation systématique. Nous avons des générations entières d’écrivains qui ont été emprisonnés depuis 1976. C’est donc une littérature timide. Après la chute du régime de Kadhafi, il était plus facile pour les jeunes de s’exprimer librement à travers la littérature », a déclaré le romancier, deuxième plus jeune écrivain à remporter le prix du Booker arabe, lors de la soirée de dédicace organisée par la maison d’édition Sefsafa. Et d’expliquer: « J’ai écrit ce roman en six mois, pendant le confinement, alors que Tripoli était sous les bombardements. L’écriture du livre était mon seul refuge contre la folie, dans une ambiance marquée par le Covid et par la guerre ».

Une société à paradoxes

Le proverbe dont le roman est inspiré dit: « Une famille et son oncle est Milad ». C’est un proverbe relativement récent qui n’a pas de trace dans le patrimoine populaire libyen. Il signifie: celui qui ne contrôle pas les femmes de sa maison n’est pas un homme. L’ouvrage raconte l’histoire d’un jeune homme, vivant dans la campagne libyenne, de qui tout le monde a essayé de faire « un vrai homme », selon les normes du village: son père, son oncle, son cousin, le superviseur militaire. Tous voulaient faire de lui un homme oriental, au vrai sens du terme: un chef, un commandant, un défenseur de l’honneur de la famille, un agresseur s’il le faut, etc. Il a beau essayer d’être l’homme que tout le monde voulait, mais il n’a pas réussi. Il fait alors deux tentatives de suicide, sans succès.

Al-Naas montre dans son roman la faiblesse de caractère de Milad, à travers le rapport qu’il entretient avec ses soeurs, mais aussi avec son épouse, étant le vrai maître à bord. En effectuant son service militaire, il subit de nombreuses intimidations de la part de son commandant, et ce, à cause de sa faible personnalité.

Bien que le roman dénonce les stéréotypes hommes-femmes, la fin prête à confusion. Milad a égorgé sa femme parce qu’elle l’a trahi avec un autre homme. La réaction de Milad n’est compatible ni avec les critiques avancées durant tout le roman, ni avec le caractère docile du personnage.

De plus, il commet son crime de sang-froid, a cherché à effacer toutes les traces qui peuvent l’inculper, de quoi pousser le lecteur à se demander: Milad a-t-il fini par adhérer aux idéaux de la société ?

Le prestigieux prix du Booker arabe est financé par le département de la culture et du tourisme d’Abu-Dhabi, capitale des Emirats arabes unis. Au montant de 50000 dollars (environ 47000 euros), il récompense les auteurs contemporains de langue arabe et les promeut sur la scène internationale.

Khobz Ala Tawlat Al-Khal Milad (du pain sur la table de l’oncle Milad), de Mohamed Al-Naas, aux éditions Sefsafa, 2022, 357 pages.

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