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Hussein Sultan : La nécessité de trouver un vaccin contre le coronavirus a fait accélérer la recherche

May Atta , Mercredi, 11 mai 2022

Utilisée contre le coronavirus, la technologie de l’ARN messager fait l’objet de nombreuses recherches pour lutter contre plusieurs autres maladies. Dr Hussein Sultan, chercheur en immunologie à l’Université de Washington à Saint-Louis, raconte l’histoire.

Hussein Sultan

Al-Ahram Hebdo : Qu’est-ce que l’ARN messager et comment est-il utilisé dans la fabrication des vaccins ?

Dr Hussein Sultan: L’Acide Ribonucléique (ARN) messager est un acide nucléique chargé de transmettre l’information codée dans notre génome, pour permettre la synthèse des protéines. Dans la vaccination, le principe est le même, sauf que l’ARN messager ne vient pas du noyau, il est envoyé de l’extérieur, directement dans la cellule. L’idée est de donner à l’organisme humain la capacité de produire lui-même le composant contre lequel notre système immunitaire va apprendre à se défendre en cas d’une éventuelle attaque virale. Ainsi, une séquence ARN du coronavirus est isolée en laboratoire. Celle qui permet de produire la protéine Spike présente sur l’enveloppe du virus. L’ARN est directement injecté dans les cellules de l’organisme. Les cellules se mettent alors à produire elles-mêmes des protéines virales inoffensives, une petite partie du SARS-CoV-2. Il s’agit de la protéine Spike. Le système immunitaire identifie ces protéines virales comme un ennemi et produit des anticorps pour les éliminer. Lorsque le vrai virus se présentera, ces gardes seront déjà entraînés à l’éradiquer. Notons que la mémoire immunitaire n’empêche pas l’infection, mais réduit la nuisance du virus.

— Les vaccins à ARN messager ont soulevé des inquiétudes quant aux risques génétiques. Qu’en est-il ?

— L’ARN injecté via le vaccin n’a aucun risque de transformer notre génome ou d’être transmis à notre descendance dans la mesure où il se désintègre assez rapidement dans l’organisme. En outre, l’ARN injecté ne pénètre pas dans le noyau des cellules. Or, c’est dans ce noyau cellulaire que se situe notre matériel génétique.

— Il semblerait que les ARN messagers étaient en étude depuis de nombreuses années. Pourquoi on n’en a entendu parler qu’avec la pandémie de coronavirus ?

— C’est vrai, mais le principal obstacle fut l’amélioration de la stabilité de cet ARN messager. Parce que, lorsqu’on administre une substance à un organisme vivant, elle sera prise en charge et détruite rapidement. Pour que l’ARNm puisse mettre en oeuvre la réponse immunitaire, il faut qu’il arrive dans le cytoplasme des cellules. S’il est détruit trop rapidement, il sera sans effet. Dans les années 2000, les chercheurs ont envisagé de mettre une cape d’invisibilité à l’ARN messager en l’enfermant dans une enveloppe lipidique (des gouttes de graisse) pour leurrer l’organisme. Cela a pris un peu de temps, mais la nécessité de trouver un vaccin contre le coronavirus a fait accélérer la recherche.

— Les chercheurs étudient également la possibilité d’utiliser cette technologie pour traiter d’autres maladies. Cela signifie-t-il que les thérapies et les vaccins à base d’ARN deviendront la première ligne de traitement de nombreuses maladies ?

— Le succès impressionnant des vaccins à ARN messager contre le Covid-19 a encouragé les chercheurs à utiliser cette technologie pour concevoir des vaccins contre des maladies telles que la tuberculose, le paludisme et le VIH. Les vaccins antipaludiques actuellement disponibles sont à 30% efficaces, d’où le besoin de développer une nouvelle génération de vaccins. Actuellement, des scientifiques travaillent à la conception d’un vaccin à ARNm contre le paludisme, alors que des chercheurs des National Institutes of Health des Etats-Unis, en coopération avec des laboratoires, testent 3 vaccins à ARNm contre le VIH.

— Un grand intérêt existe déjà pour les vaccins contre le cancer. Dans quelle mesure cette technologie sera-t-elle efficace contre cette maladie ?

— Les cellules cancéreuses proviennent généralement de cellules normales ayant subi de nombreuses mutations. Ces mutations peuvent entraîner l’émergence de nouvelles protéines (antigènes) ou augmenter la quantité de protéines présentes dans les cellules cancéreuses par rapport aux cellules saines.

Les progrès technologiques ont permis l’analyse génétique des cellules cancéreuses. Il s’agit de trouver le bon antigène que l’on va utiliser pour entraîner l’organisme à se défendre. Une fois qu’on a retrouvé la protéine qui va donner une bonne réponse, l’ARN messager peut faire produire cette protéine depuis l’intérieur de l’organisme pour stimuler le système immunitaire contre les cellules cancéreuses sans affecter les cellules normales.

Mais l’efficacité réelle de cette technique peut varier selon le type de cancer. En fait, l’identification du code génétique approprié à utiliser dans le vaccin est un enjeu de taille, parce que chaque cancer est unique. Dans la plupart des cas, les protéines identifiées par le système immunitaire diffèrent d’un type de cancer à l’autre. Même pour le même type de cancer, ces protéines peuvent être différentes d’un patient à l’autre.

Ces facteurs réunis font que les vaccins préventifs contre les cellules cancéreuses restent à l’heure actuelle quelque peu difficiles à concevoir par rapport aux vaccins contre les virus ou les bactéries. Dans un premier temps, on s’attend à ce que la technologie de l’ARNm soit utilisée comme traitement des cellules cancéreuses qui se sont déjà formées à l’intérieur du corps, sauf si le cancer est causé par un virus, comme c’est le cas du papillomavirus humain qui cause le cancer du col de l’utérus. Dans ce cas, les vaccins préventifs peuvent sensiblement en réduire l’incidence.

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