Les récents succès militaires dans le nord de l’Iraq de l’Etat Islamique en Iraq et au Levant (EIIL), qui s’inspire de l’organisation terroriste d’Al-Qaëda, ont surpris par leur rapidité et leur ampleur. Sa progression sur le terrain pose une sérieuse menace à l’unité du pays et le risque de son possible démembrement suivant des lignes ethno-confessionnelles, sunnite, chiite et kurde.
La percée de l’EIIL était pourtant prévisible en raison de la politique sectaire du gouvernement du premier ministre Nouri Al-Maliki. Celui-ci, qui appartient à la majorité chiite (60-65% de la population), mène depuis cinq ans une politique de marginalisation des sunnites, en réplique à la marginalisation politique des chiites sous Saddam Hussein. Sur le plan sécuritaire, cela s’est traduit par la révocation des commandants sunnites et kurdes dans les régions à majorité sunnite et kurde, dans l’ouest et le nord du pays, et leur remplacement par des chiites de Bagdad et du sud de l’Iraq, où est concentrée la communauté chiite, ou par des membres du parti politique de Maliki, Al-Dawa.
Dans la même veine, Maliki a démantelé les comités Al-Sahwa (réveil), formés d’auxiliaires de sécurité appartenant aux tribus sunnites dans le but de combattre l’organisation d’Al-Qaëda en Iraq, qui a été incorporée plus tard dans l’Etat islamique d’Iraq (créé en 2006), ancêtre de l’EIIL, aussi connu sous son acronyme de Da’ech en arabe. Ces quelque 100000 combattants tribaux avaient réussi, en collaboration avec l’armée régulière, les forces de sécurité iraqiennes et l’armée américaine, à vaincre en 2007 et 2008 Al-Qaëda en Iraq, un groupe de djihadistes sunnites qui combattent à coups d’attentats suicides le régime politique tenu par les chiites en vue d’établir un califat islamique.
En retour de leurs services, le gouvernement avait promis aux combattants d’Al-Sahwa de les intégrer dans l’armée, la police et les services de sécurité. Mais cette promesse est restée lettre morte, Maliki jugeant finalement que l’intégration des sunnites dans l’armée et les services de sécurité est une menace, de nature à favoriser une insurrection sunnite contre son régime. En conséquence, le gouvernement a procédé au démantèlement des comités d'Al-Sahwa, dont il ne restait plus rien vers 2013. En raison de cette marginalisation et la promesse gouvernementale non tenue, plusieurs membres de ces comités, mais également d’anciens officiers sunnites de l’armée et de la police sous Saddam, ont fini par rejoindre les rangs de l’EIIL.
Cet état explique le soutien dont bénéficient les quelque milliers de combattants de Daech dans les régions à majorité sunnite et la rapidité de leur progression dans ces zones. Autre explication: les commandants militaires chiites nommés par le gouvernement dans ces régions estimaient inutile de risquer leur vie pour des régions peuplées essentiellement de sunnites. Ils ont donc abandonné leurs postes de commandement, suivis rapidement des soldats qui ont pris la fuite. Ceci explique le peu de résistance opposée par les troupes régulières et les forces de sécurité aux combattants de Daech, qui ont pu ainsi avancer rapidement.
La guerre civile en Syrie est l’autre facteur majeur qui a bénéficié à l’EIIL, qui a ajouté le « Levant » à son nom à partir de 2013, à la faveur de la montée en puissance des mouvements islamistes au sein de l’opposition armée. Daech a trouvé dans la prolongation du conflit et le désastre humain qu’il a provoqué, un terrain favorable à l’extension de son idéologie islamiste rigoriste et ses idées radicales. Plus important, il a bénéficié de la bienveillance du régime de Bachar Al-Assad, qui l’utilise comme un épouvantail, autant pour la population syrienne que pour les Etats occidentaux, afin de paraître finalement comme l’alternative la moins mauvaise, et accroître ainsi ses chances de rester au pouvoir. L’EIIL a même bénéficié de l’indulgence de ses adversaires au sein de l’opposition syrienne armée, en raison de ses succès militaires sur le terrain.
Cet état lui a permis de se renforcer après avoir contrôlé une partie du territoire syrien, au nord-est, adossée à la frontière nord-ouest de l’Iraq, où se trouvent les régions à majorité sunnite. Pour se financer, Daech prélève des impôts dans les régions qu’il contrôle. Lors de sa conquête de Mossoul, au nord de l’Iraq, il aurait volé 429 millions de dollars et plusieurs lingots d’or de la succursale de la Banque Centrale, faisant de lui le mouvement rebelle iraqien, et syrien, le plus riche. La médiatisation dont l’EIIL a bénéficié, notamment dans les chaînes satellites arabes et occidentales, l’a aidé à accueillir un flux de combattants étrangers, venus du Moyen-Orient, mais aussi de l’Asie centrale et l’Europe occidentale.
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