Tout le monde sait bien que le nouveau premier ministre, Ibrahim Mehleb, ingénieur qui a été éduqué dans les écoles françaises, était le ministre le plus brillant du gouvernement précédent. Tout le monde sait aussi que cela ne revient pas à son appartenance politique ou idéologique, ou une participation effective à la révolution du 25 janvier 2011 ou du 30 juin 2013. Mehleb a été nommé ministre du Logement dans le gouvernement de Beblawy en raison de son expérience, ce qui était une obligation dans une phase extrêmement critique. Et bien que Mehleb ait été précédemment membre de l’un des comités techniques au Parti national démocrate de Moubarak, il n’a jamais été considéré parmi les hommes politiques corrompus. C’est pourquoi il mérite le surnom de « technocrate aux grandes réalisations ».
L’expérience professionnelle de Mehleb est donc indiscutable et il est plutôt question d’expérience politique nécessaire dans la phase actuelle. Une expérience considérée par certains comme indispensable pour traiter avec les adversaires du courant civil dans un grave climat de polarisation. Cependant, il faut s’interroger : Faut-il à l’Egypte un premier ministre politicien ou technocrate ? Et puis le changement ministériel Beblawy/Mehleb était-il politique ou indispensable ?
Avant de répondre, il faut prendre en considération l’instant politique actuel en plus de certaines considérations, dont la plus importante est que l’Egypte se prépare à deux événements électoraux importants : les élections présidentielle puis législatives. Ensuite, le gouvernement Beblawy a laissé une scène en feu en raison de quelques dossiers qui restent encore ouverts, comme celui des Frères musulmans et la nonchalance avec laquelle il est traité, l’économie et les décisions mal étudiées, le dossier de l’enseignement et enfin l’implication de l’Etat dans des promesses et des décisions économiques difficiles à réaliser à l’heure actuelle, comme le salaire minimal. Alors que le retard dans ce dossier a causé des grèves. Tout cela, en plus de l’échec au niveau de la majorité des dossiers internationaux.
Pour revenir à la question « Pourquoi Mehleb ? », la réponse est que le changement arrive avec retard. Dans ce contexte de polarisation et de tension politique, il faut organiser les élections en présence d’un gouvernement impartial avec tous les adversaires politiques en présence. Et là Mehleb, en tant que technocrate, est meilleur que Beblawy pour la phase à venir. Là aussi Mehleb est un premier ministre de nécessité, qui doit gérer les deux difficiles processus électoraux à venir de manière apolitique. L’objectif est de ne pas influencer les électeurs et de ne pas exploiter les appareils d’Etat ouvertement ou secrètement au profit d’un électeur et au détriment d’un autre.
Pour revenir à la deuxième nécessité, la lenteur de Beblawy face au tournant économique dangereux fait de Mehleb une urgence de première nécessité pour les appareils d’Etat. Il est évident que Mehleb, le ministre des initiatives et des actions rapides, influencera les autres ministres, que ce soit les nouveaux ou les anciens.
Mais d’un autre côté, les craintes sont aussi pesantes. Pour le courant civil, qui représente la révolution de janvier et qui avait le premier mot dans le gouvernement de Beblawy, le changement de gouvernement à cet instant précis est inutile. Alors, il a commencé à exprimer des craintes que ce changement constitue lui-même un grand problème. Selon ce courant, Mehleb ne pourra dépasser la crise rapidement, ce qui peut faire du changement un élément d’accélération de la chute, se basant sur le fait que la technocratie est un défaut et non un avantage. Pour ce courant, l’origine de la crise égyptienne, aux apparences sécuritaires et économiques, est politique. Et donc, le nouveau premier ministre n’est pas la solution à la crise.
Pour parler objectivement, le départ de Beblawy supprime, pour le courant civil, la possibilité de négocier à l’intérieur même de l’Etat. Le ramenant ainsi au 29 juin 2013 et à la même ligne de départ pour le prochain Parlement. Le courant civil a donc perdu l’avantage d’être présent à l’intérieur du cercle de prise de décision.
Mehleb peut représenter un nouvel espoir pour la majorité des électeurs qui, à mon avis, appartiennent au « Parti du canapé », qui sont « les néo-électeurs » dont l’influence est apparue lors du dernier référendum sur la Constitution. Mais au fond, sa nomination constitue un problème pour le reste des courants politiques qui dominent la scène médiatique, et qui placeront Mehleb, dès le début, sous pression. Cela va l’obliger, qu’il le veuille ou non, à s’engager dans des combats politiques, ce qui n’est pas sa spécialité. Il nous reste à espérer le bien pour l’Egypte et que Mehleb représentera une solution et non un problème.
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