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Vers un retour à la normale entre l'Egypte et les Etats-Unis

Lundi, 20 janvier 2014

Les Etats-Unis normalisent progressivement leurs rapports avec l’Egypte. La décision du Congrès, le 17 janvier, d’alléger les restrictions pesant sur l’octroi de l’aide militaire et économique annuelle en vue d’une reprise presque normale de celle-ci, confirme cette intention. La Chambre des représentants et le Sénat ont en effet approuvé 1,3 milliard de dollars d’aide militaire et 250 millions d’assistance économique pour l’année fiscale 2014.

Le Congrès a attaché au déboursement de l’aide deux conditions qui n’en sont pas réellement. La première est que l’Egypte maintienne son « partenariat stratégique » avec les Etats-Unis alors que la seconde est le respect par Le Caire de ses « obligations » découlant du traité de paix avec Israël. Premièrement, l’Egypte n’a jamais exprimé son intention de renier son partenariat ou son alliance avec Washington. Au contraire, elle a toujours souligné tenir à ses liens privilégiés avec les Etats-Unis. Les récentes déclarations de responsables égyptiens exprimant leur colère et leur intention de réviser les relations avec les Américains n’étaient en fait qu’en réaction aux pressions américaines et à la volonté de la Maison Blanche et du Congrès d’intervenir pour infléchir la politique intérieure du gouvernement intérimaire, notamment vis-à-vis des Frères musulmans. La récente ouverture du Caire en direction de la Russie était également, en grande partie, motivée par les pressions américaines et la tension avec Washington, consécutive à la destitution de l’ex-président Mohamad Morsi et à la répression des membres de la confrérie. En voulant montrer aux Américains que l’Egypte ne devait être prise pour acquise, le rapprochement avec Moscou, loin de vouloir signifier une volonté de rupture, visait plutôt à ramener Washington à de meilleurs sentiments à l’égard du Caire.

Deuxièmement, l’Egypte, y compris sous les Frères musulmans, n’a jamais mis en doute son respect du traité de paix avec Israël et de ses obligations qui en découlent. L’envoi par l’armée égyptienne, dans le cadre de la récente campagne antiterroriste au Sinaï, de renforts militaires dépassant ceux autorisés par le traité dans la zone frontalière de la bande de Gaza, s’est fait avec l’approbation d’Israël, qui a un intérêt majeur, lui aussi, à combattre les groupes islamistes à sa frontière. Tel-Aviv est tellement satisfait de la lutte antiterroriste au Sinaï et des récents développements politiques en Egypte qu’il est intervenu, via le lobby pro-israélien aux Etats-Unis, pour presser le Congrès et la Maison Blanche de reprendre l’aide au Caire.

Le Congrès a saisi l’occasion de la tenue du référendum sur la Constitution, qui représente la première étape majeure dans la période de transition vers un retour à l’ordre constitutionnel, pour annoncer sa décision. Dans ce cadre, le Congrès a indiqué qu’une première tranche de l’aide de 975 millions de dollars sera versée quand le secrétaire d’Etat John Kerry confirmera — chose presqu’acquise après l’organisation du référendum — que le gouvernement égyptien prend des mesures en faveur d’une transition démocratique. La seconde tranche de 576,8 millions de dollars sera versée à la suite de l’organisation d’élections présidentielle et législatives, prévues au printemps et en été prochains. A cet égard, Kerry doit également certifier devant le Congrès que le prochain gouvernement égyptien prendra des mesures pour gouverner de manière démocratique.

La décision du Congrès ne constitue cependant pas de revirement. Elle était prévisible depuis la « loi sur la réforme de l’assistance à l’Egypte en 2013 » votée par la commission des relations extérieures du Sénat, le 18 décembre dernier. Cette loi a réduit les restrictions que les Etats-Unis ont attachées à l’aide après la destitution de Morsi. Washington avait décidé le 9 octobre de suspendre 560 millions de dollars de l’assistance militaire à l’Egypte. Il avait également gelé la livraison des chasseurs F-16, des hélicoptères Apache, des chars M1A1 Abrams et des missiles antinavire Harpoon. Mais la loi du 18 décembre a permis au secrétaire d’Etat de passer outre cette suspension de l’aide pour 180 jours renouvelable une fois s’il prouve au Congrès que la poursuite de l’assistance à l’Egypte constitue un intérêt vital pour la sécurité nationale des Etats-Unis et que le gouvernement égyptien oeuvre en faveur de la restauration de la démocratie et de l’Etat de droit et prend des mesures pour la tenue d’élections libres et transparentes, selon un calendrier raisonnable.

Cette loi était le tournant dans la politique de l’aide à l’Egypte. Elle traduisait la constatation faite par les responsables de l’Administration de Barack Obama et du Congrès des limites de la pression et de l’influence américaines sur l’Egypte. La décision du 17 janvier n’est que le prolongement logique de ce raisonnement. Au départ, plusieurs parlementaires américains ont critiqué le « laxisme » de la Maison Blanche à l’encontre du Caire, après le renversement du président démocratiquement élu. Ils voulaient que Washington suspende l’ensemble de son aide militaire et économique ou lui attache des conditions draconiennes afin de faire pression sur l’Egypte. Mais depuis, l’ensemble de ces députés se sont graduellement rendus à l’évidence : l’arme de l’assistance est incapable d’infléchir la politique du gouvernement intérimaire dans une affaire aussi capitale qu’est le dossier des Frères musulmans. Ils se sont donc rangés du côté de ceux, nombreux, au sein de l’Administration qui veulent la reprise de l’aide américaine, afin de ne pas aliéner un allié aussi stratégique au monde arabe et au Moyen-Orient que l’Egypte.

Les responsables de l’Administration américaine n’étaient pourtant pas unanimes sur cette question. Alors que la Maison Blanche, notamment la conseillère du président pour la sécurité nationale, Susan Rice, était partisane d’une politique plus ferme vis-à-vis du Caire, le ministère de la Défense et le Département d’Etat penchaient pour une reprise rapide de l’aide militaire et économique. John Kerry avait ainsi à diverses reprises loué la progression du processus de transition en Egypte. Lors de sa dernière visite au Caire, début novembre dernier, Kerry avait annoncé que son pays était satisfait de l’application de la feuille de route. Il avait également minimisé la portée de la suspension de l’aide décidée en octobre, soulignant qu’elle joue un rôle mineur dans les fortes relations entretenues par les deux pays.

La décision du 17 janvier marque donc la volonté des Etats-Unis d’un retour progressif à la normale dans leurs rapports avec un allié capital dans le monde arabe et le Moyen-Orient. C’est une reconnaissance de l’importance majeure des intérêts américains en Egypte et du rôle crucial que cette dernière joue dans la région. C’est aussi un constat d’échec de la politique de pression sur Le Caire via l’aide.

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