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Craintes légitimes

Marawane Younès , Lundi, 16 décembre 2013

Craintes légitimes
(Photo:AP)

Il n’est pas étrange que la Constitution rédigée après une révolution populaire contre un régime religieux despote revête des orientations claires. En effet, la Constitution de l’après-révolution s’aligne sur la liberté et non le despotisme. Elle tient à protéger les libertés et les élargir, optant pour le droit du citoyen face à la violence du pouvoir et s’intéressant aux droits individuels, aux droits de l’homme et au respect des conventions internationales qui les organisent.

Il n’est pas curieux qu’après une révolution contre un régime fasciste religieux, la Constitution soit imprégnée d’une couleur révolutionnaire et se débarrasse des articles imposés aux Egyptiens par les Frères musulmans dans leur Constitution votée à la hâte, puisque leur objectif était d’imposer une autorité religieuse chapeautant toutes les autres.

La nouvelle Constitution réussit à se défaire de la marque des Constitutions précédentes envers l’Etat à la défaveur du citoyen, affichant la volonté palpable de réaliser la justice sociale. La nouvelle Constitution s’aligne également sur le peuple et son avenir grâce aux articles relatifs à l’enseignement et à la santé, les qualifiant de droits et non de services. Ce qui ouvre la porte à un processus de développement global dans ces domaines d’une grande importance, pour exprimer les revendications de deux révolutions n’ayant pas encore réalisé d’objectifs clairs.

Au niveau de la forme, la nouvelle Constitution apparaît flexible et précise, avec des articles ressemblant plus à ceux de la loi en général qu’à des articles constitutionnels. Cette forme a son explication : après 3 ans de méfiance entre le citoyen et le pouvoir — et même entre citoyens eux-mêmes — et avec l’apparition de courants fascistes armés dans la société, la Constitution a voulu remédier à cet état de fait. Ainsi, le législateur a décidé de placer ses rêves et ceux des Egyptiens dans un texte constitutionnel pour les protéger contre le despotisme probable d’un Parlement ou d’un président. Du coup, le législateur est tombé dans le piège du règlement des questions temporelles dans la situation d’exception vécue en ce moment par l’Egypte. Il a tenté de réaliser des équilibres politiques et sociaux pour dépasser les circonstances actuelles et aboutir à un vote d’adoption positif. Néanmoins, il se peut que cette situation conduise, à l’avenir, à des problèmes plus importants malgré les bonnes intentions.

La première des craintes qui animaient le comité de rédaction de la nouvelle Constitution concernait la question du jugement des civils par la justice militaire. C’est pourquoi la définition du crime militaire est précise pour ne pas laisser cette mission au Parlement. Apparaissent sur cette question, la préoccupation de l’armée en ce qui concerne ses droits et celle du comité des 50 (chargé de rédiger la Constitution) pour que l’armée n’opprime plus les libertés du peuple. Cela, dans une tentative d’imposer un équilibre politique.

La deuxième crainte concerne les excès de discriminations positives. Par exemple, la Constitution stipule la nécessité pour certains groupes et partis d’accéder au pouvoir. Il s’agit selon le texte des ouvriers et des paysans, des femmes, des jeunes, des chrétiens et des handicapés. Le quota élargi peut s’ancrer dans le pays, mais aussi conduire à une loi électorale inconstitutionnelle, que la justice rendra ensuite caduque. Nous resterons donc face à un dilemme judiciaire avec un danger pour l’avenir de la nation.

La troisième crainte concerne la possibilité d’exercer le pouvoir dans la stabilité et les articles de la Constitution sont extrêmement nobles dans la description de l’équilibre des pouvoirs et leur contrôle. Selon la coutume constitutionnelle, il faut choisir un régime politique objectif, capable de résister, d’instaurer la stabilité et de pratiquer le pouvoir. L’extrémisme de la Constitution dans cet équilibre fait que les textes portant sur le pouvoir législatif sont liés au pouvoir exécutif pour éliminer la méfiance envers le président de la République au détriment de la facilité de pratiquer le pouvoir. L’élargissement des prérogatives du Parlement dans l’état actuel de polarisation politique du pays pourrait aussi ouvrir grand la porte à des conflits. Deux cas sont envisagés : le président obéit au Parlement et tout échec est endossé par le peuple qui n’aura personne à qui demander des comptes ; ou le président s’oppose au Parlement et le pouvoir restera instable d’un Parlement à un autre et d’un référendum à un autre.

La réalité est que la nouvelle Constitution d’Egypte et son application constituent le premier des nouveaux défis. Il faut que tous s’engagent à appliquer les articles de la Constitution avec noblesse et patriotisme. Et si les décideurs de l’après-juin 2013 veulent encore faire passer leur appartenance politique et sociale en premier, la Constitution deviendra le terrain de nouvelles querelles. La balle est maintenant dans le camp du peuple, sur lequel nous continuons à parier .

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